Récit "Le feu a foncé sur le village à une vitesse impressionnante" : comment un incendie a embrasé l'Aude en quelques heures

Article rédigé par franceinfo
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Un habitant de Tournissan, dans l'Aude, le 5 août 2025. (IDRISS BIGOU-GILLES / AFP)
Un habitant de Tournissan, dans l'Aude, le 5 août 2025. (IDRISS BIGOU-GILLES / AFP)

Attisées par un vent puissant et des températures élevées, les flammes ont provoqué le plus important incendie de l'été en une seule soirée. Habitants, secouristes et responsables politiques racontent cette catastrophe.

Des flammes surgissent dans le massif des Corbières. Il est tout juste 16 heures, mardi 5 août, lorsqu'un incendie se déclare dans le petit village de Ribaute, dans l'Aude. Les pins qui bordent la rivière Orbieu brûlent comme des torches. Le ciel se pare de rouge. Et le feu se propage à toute vitesse, de forêt en broussailles. "En quelques secondes, un tout petit foyer s'est transformé en ogre", décrit un vacancier auprès de BFMTV. Ce mardi, Météo-France a classé le département en rouge en matière de risques de feu, en raison de la sécheresse, du vent et des températures élevées. Un cocktail qui transforme ces premières flammes en brasier inarrêtable.

Poussé par des rafales à 45km/h, l'incendie arrive à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse dès la fin d'après-midi. Les flammes s'invitent en pleine ville. "Le lotissement a été touché, il y a quatre ou cinq maisons qui ont été brûlées", explique Christian Bensen, le premier adjoint de la commune, les yeux rougis par les fumées. "C'est la première fois qu'on voit un feu comme ça, et surtout, qu'il gagne le village", renchérit une voisine, inquiète pour sa maison bordée de sapins.

En plein cœur de cette région viticole, la coopérative de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse est également en proie aux flammes. "Il y a le feu partout, c'est une catastrophe !", s'exclame un habitant, posté sur le parking du bâtiment, où des palettes sont déjà calcinées. "Tout le vignoble brûle", lance-t-il, alors que les pompiers viennent d'arriver sur place. "Le feu a foncé sur le village à une vitesse impressionnante, [il] a été quasiment encerclé par les flammes", confirme Anael Payrou, directeur de la cave coopérative.

"Des feux, on en voit chaque année, mais comme ça, jamais."

Anael Payrou, directeur de la cave coopérative de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse

à l'Agence France-Presse

Les flammes se rapprochent aussi dangereusement de plusieurs villages touristiques. L'ordre est donné d'évacuer deux campings à La Palme, et un à Lagrasse. "On n'est pas préparés, c'est un peu stressant", avoue Pablo, l'un des employés. Dans tout le secteur, les habitants, souvent en tongs et armés de simples tuyaux d'arrosage, tentent de contrer l'avancée des flammes. "J'avais la lance pour essayer d'arrêter les flammes, mais qu'est-ce qu'on peut faire avec une lance de jardin ?", déplore Jean-Loïc sur BFMTV.

"Il y avait les flammes au pied de la maison"

En un peu plus deux heures, l'incendie parcourt 1 000 hectares. Un centre opérationnel est ouvert à la préfecture, alors que des centaines de pompiers affluent vers la zone sinistrée, certains venus d'autre départements. A 19 heures, plus de 800 hommes sont déjà engagés sur le terrain, aidés par neuf Canadair, cinq avions Dash et deux hélicoptères bombardiers d'eau.

Face à l'avancée des flammes, les autorités continuent d'évacuer certaines localités et appellent au confinement de ceux qui habitent à proximité. "La situation est grave" et des habitations "sont menacées par le feu", prévient la maire de Tournissan, Marilyse Rivière, tandis que son collègue de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse décide d'évacuer une cinquantaine de personnes se trouvant "en lisière de l'incendie". La plupart ont tout laissé derrière eux, sans certitude sur l'avenir. "Au moment où j'ai voulu récupérer mes affaires, je n'ai même pas pu rentrer chez moi", souffle un habitant, sans se faire d'illusion. "Je suis parti, il y avait les flammes au pied de la maison…", complète-t-il, visiblement ému.

Des véhicules calcinés à Fontjoncouse, dans l'Aude, le 6 août 2025. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)
Des véhicules calcinés à Fontjoncouse, dans l'Aude, le 6 août 2025. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Pour accueillir ces rescapés, des salles communales sont ouvertes à la hâte. "On a pu manger et parler un peu avec des personnes. C'est chaleureux", se réjouit Nathalie, évacuée de Joncquières, auprès de BFMTV. Le lit de camp ou le matelas gonflable ne seront pas nécessaires. "On souhaite nous héberger, mais on ne peut pas dormir. C'est très stressant", explique-t-elle. A Lagrasse, une vingtaine de résidents du camping vont, eux, profiter des tatamis de judo pour tenter de se reposer un peu.

"Ça n'est pas un spectacle, c'est un combat"

Malgré ces évacuations préventives, la préfecture annonce, peu avant 21 heures, que deux habitants ont été blessés. L'un d'entre eux, "gravement brûlé", se trouve en urgence absolue. Le feu, lui, continue d'avancer à toute vitesse. En deux heures, il a quadruplé de surface et parcouru plus de 4 000 hectares.

L'ampleur de l'incendie est telle que le président de la République prend la parole. "Tous les moyens de la Nation sont mobilisés", assure Emmanuel Macron sur X. "Dans cette épreuve, chacun doit appliquer la plus grande prudence et respecter les consignes des autorités", intime-t-il. Il faut dire que certains continuent de braver les consignes. "Ça n'est pas un spectacle, c'est un combat", martèle le sous-préfet de l'Aude, Rémi Recio, sur les chaînes d'information en continu, déplorant des "amas de gens qui s'arrêtent en bordure de route pour prendre des photos ou regarder".

Ces axes vont désormais être entièrement vidés. Le long de la Méditerrannée, l'A9 est coupée entre Perpignan et Narbonne. Puis c'est au tour de l'A61, interdite aux automobilistes en direction de l'Espagne, à compter de 22h30. La nuit est tombée, mais le brasier continue de rougeoyer. Plus de 8 000 hectares ont désormais été ravagés et de premiers blessés sont décomptés parmi les pompiers. Ils vont pourtant devoir continuer à lutter contre l'incendie, sans l'appui des avions, cloués au sol jusqu'au petit matin.

Une légère accalmie au cœur de la nuit

La nuit est déjà tombée depuis deux heures sur l'Aude, mais Laurent ne trouve toujours pas le sommeil. Les flammes n'en finissent plus de grignoter les environs de Fabrezan, sa commune. Alors, malgré l'épuisement, il fait le guet depuis sa baie. "Si ça vient à trop se rapprocher, on ferme la maison et on [partira]. Ce n'est pas le plus important. C'est surtout de se mettre à l'abri", témoigne-t-il au micro d'ICI Roussillon.

D'autres habitants continuent d'épauler les pompiers avec les moyens du bord. Sylvie va passer la nuit debout, tuyau d'arrosage dans la main. "Ma voisine était seule aussi, on s'est vues plusieurs fois dans la nuit parce qu'on avait peur", raconte-t-elle au micro de RTL

Les fumées des feux de forêt de l'Aude visibles depuis Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), le 5 août 2025. (OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP)
Les fumées des feux de forêt de l'Aude visibles depuis Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), le 5 août 2025. (OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP)

A la préfecture de l'Aude, aussi, la lumière reste allumée. La cellule de crise est pleinement mobilisée. A 1h30, nouveau communiqué : le brasier a parcouru plus de 10 000 hectares dans le massif des Corbières. Changement de stratégie. "On va positionner beaucoup de moyens sur l'autoroute afin d'attaquer le feu à cet endroit, ce qui pourrait constituer une barrière" à la progression des flammes, prévient la secrétaire générale de la préfecture de l'Aude, Lucie Roesch, jointe par l'AFP. Elle le sait : "Ce feu va nous mobiliser pendant plusieurs jours, c'est un chantier au long cours".

Le colonel Christophe Magny, qui commande les pompiers de l'Aude, a un début de bonne nouvelle à communiquer aux équipes. Avec la nuit qui avance, le taux d'humidité augmente. "Elle était à 20 à 25% dans l'après-midi. Elle est passée à 75%. Ce sont des éléments favorables pour nous."

Une femme meurt chez elle

Dans la quinzaine de communes touchées, une nuit blanche se profile. A 4h15, un habitant de Fabrezan publie sur Facebook deux photos qu'il vient de prendre depuis chez lui, quai d'Orbieu. Les flammes sont à quelques mètres. "Un désastre", commente un internaute, lui-même encore éveillé. "Pas d'évacuation ?", demande quelqu'un. Réponse laconique : "Non". 

Une heure et demie plus tard, nouveau communiqué de la préfecture. Premier décès. Une femme âgée a été retrouvée morte chez elle, à Saint-Laurent-de-la Cabrerisse. Plus tôt, avec les gendarmes et un conseiller municipal, le maire Xavier de Volontat avait fait évacuer les habitants menacés par l'incendie. Tous ont quitté leur domicile, sauf "cette dame qui n'a pas voulu malheureusement sortir de sa maison, en disant qu'elle ne risquait rien", confie-t-il, marqué, sur BFMTV.

"Le feu est arrivé à une vitesse très rapide et elle a été prise dans ce piège de sa maison en feu. On l'a retrouvée cette nuit complètement carbonisée."

Xavier de Volontat, maire de Saint-Laurent-de-Cabrerisse

à BFMTV

"C'est toujours une tristesse de perdre une habitante dans ces conditions", s'attriste le maire. La commune avait pourtant ouvert les portes de sa salle polyvalente aux sinistrés. "Les pompiers nous ont dit : 'Allez voir votre maison pour que ça vous rassure si elle n'a rien, mais il faut retourner au foyer parce qu'il y a trop de fumée et pas d'électricité'", lâche une femme évacuée, interrogée par les équipes de France Télévisions. Michel semble perdu : "On a fait pour le mieux, on a perdu la maison. On a perdu un chat, on en a sauvé un. (…) Plus de papiers, plus rien."

"Votre mobilisation fait toute la différence"

Le jour se lève sur l'Aude. Bonne nouvelle : le feu a "progressé de façon plus lente" durant la nuit, annonce la préfecture. Les rotations des appareils bombardiers d'eau vont pouvoir reprendre. Quatre Canadair, deux Dash et un hélicoptère bombardier d'eau vont décoller vers 6h30. Ils seront aidés dans la matinée par cinq autres Canadair et cinq Dash, liste la secrétaire générale de la préfecture de l'Aude, Lucie Roesch. Pour lutter contre le plus important incendie de France à ce stade de la saison estivale, le dispositif est "colossal", insiste la sous-préfète. Elle dénombre 1 820 pompiers mobilisés, appuyés par 400 engins au sol.

Un hélicoptère survole le ciel de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), le 6 août 2025. (IDRISS BIGOU-GILLES / AFP)
Un hélicoptère survole le ciel de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), le 6 août 2025. (IDRISS BIGOU-GILLES / AFP)

Pour ravitailler les soldats du feu, la mairie de Fabrezan lance sur sa page Facebook un appel aux dons. "Denrées sucrées, denrées salées pour les aider à tenir lors des repas (…), votre mobilisation fait toute la différence. Merci pour votre soutien indéfectible !" Dans les kiosques, les clients se ruent sur L'Indépendant. "Apocalypse sur les Corbières", titre le journal local ce mercredi matin. Radios et télés sont, elles aussi, en boucle sur ces flammes qui "poursuivent leur sinistre chemin dans le massif des Corbières", selon les mots de France Inter.

Vinci Autoroutes fait le point sur les difficultés en cours sur l'A9 et l'A61. Bouchon de sept kilomètres en direction de l'Espagne, cinq en direction de Toulouse, trois en direction d'Orange… Cent gendarmes sont mobilisés pour veiller à ce que les interdictions d'accès à certains axes routiers soient bien respectées, "pour renseigner la population [et] appuyer élus locaux dans les évacuations". Ils sont "renforcés par 50 gendarmes mobiles", précise la gendarmerie à franceinfo.

Le feu reprend de plus belle

Vers 10h30, les conditions se dégradent à nouveau. En cause notamment, "une reprise de vent", selon le porte-parole de la sécurité civile. Le feu avance "à 5 km/h, c'est une vitesse exceptionnelle pour cette typologie d'incendie", souligne le colonel Alexandre Jouassard, interrogé par franceinfo.

Les uns après les autres, les responsables politiques annoncent qu'ils se rendent sur place. François-Noël Buffet, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur ; François Bayrou, le Premier ministre ; Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur.

"L'incendie dans l'Aude a maintenant parcouru 13 000 hectares. C'est comparable à la surface totale de ce qui a brûlé sur toute la France en 2024 et plus de deux fois la surface de 2023", écrit sur X la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, vers 11 heures. Trois heures plus tard, le chiffre grossit encore, atteignant 16 000 hectares. Soit le plus grand incendie en France au cours de deux dernières décennies. A 16 heures, le dernier bilan fait aussi état d'une personne tuée, de deux civils blessés, dont un en urgence absolue, et de sept sapeurs-pompiers blessés.

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