: Témoignages "On a acheté des pistolets à eau" : face à la canicule dans les écoles, maires, parents et enseignants sont contraints au "système D"
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La canicule qui écrase la France hexagonale épuise les enfants, confrontés à des températures exceptionnelles dans des établissements scolaires peu adaptés à la chaleur.
Dans la classe de Jade, professeur d'anglais en collège à Aix-en-Provence, le thermomètre a affiché 36°C. A Besançon, le mercure est monté à 37°C dans la salle de Vanessa, lundi 30 juin au matin, et même à 41°C l'après-midi. "Les petits étaient assommés, on ne pouvait rien faire, ils étaient trop fatigués", témoigne l'enseignante en CE1-CE2.
Des milliers de professeurs et d'enfants se retrouvent dans cette situation, alors que le mercure atteint des sommets en ce début d'été. Si le pic de l'épisode caniculaire a été atteint, mardi 1er juillet selon Météo-France, les risques pour la santé demeurent. Plus de 2 200 écoles ont fermé temporairement, d'après le ministère de l'Education nationale. Ailleurs, c'est la "grande débrouille" pour limiter les conséquences néfastes de cette surchauffe. Enseignants, parents, élus municipaux... Tous décrivent un "système D" généralisé pour gagner quelques précieux degrés.
Quiz, films et batailles d'eau
Quand il devient impossible de faire cours normalement, les enseignants adaptent leur programme. "Les enfants sont à l'ombre, en face d'un ventilo, avec un brumisateur et un livre pour qu'ils ne s'agitent pas", décrit Vanessa. Son école possède de nombreuses baies vitrées, et il n'y a pas d'ombre dans la cour. "On a abandonné les révisions pour des activités qui n'ont plus rien de scolaire", reconnaît-elle.
"Même passer un film était compliqué" lundi, relate aussi Jade. Comme d'autres enseignants, elle laisse les élèves se livrer des batailles d'eau pour se rafraîchir, "même si c'est interdit". "On organise des activités entre 8 heures et 10 heures, puis on propose des choses où ils ne bougent pas trop, comme des quiz où ils sont assis", rapporte l'enseignante. Dans son école, l'une des salles "moins exposées" chauffe tout de même à près de 30 degrés, et "quand on met 30 enfants dans une salle, forcément, ça monte…"
Les rares lieux préservés de la fournaise sont convoités. "Une seule des six salles est climatisée, donc les classes la prennent à tour de rôle", explique Apolline Letowski, enseignante en CM1-CM2 à Cissé (Vienne) et cosecrétaire départementale du syndicat FSU-Snuipp.
Ventilateurs, brumisateurs et pistolets à eau en pagaille
Parfois avec leurs propres moyens, les enseignants bricolent des solutions temporaires. "La première chose que j'ai faite, c'est apporter mon ventilateur personnel pour la classe", décrit Florentine, professeure en CM1-CM2 dans l'Ain. Tant pis si ça n'est "normalement pas autorisé, car pas aux normes de l'Education nationale". Les jeux d'eau sont aussi de la partie. "Ma collègue a acheté une trentaine de pistolets à eau", relève l'enseignante, désabusée.
"On a l'habitude du système D, mais ça repose sur la bonne volonté des enseignants."
Florentine, professeure en CM1-CM2 dans l'Ainà franceinfo
Les parents aussi mettent la main à la poche. "On a acheté des pistolets à eau et des brumisateurs", confie Eglantine Habib, mère de deux enfants scolarisés à Marseille et avocate engagée auprès de la FCPE des Bouches-du-Rhône. "Les enfants sont arrosés au maximum du matin au soir, mon enfant est trempé quand je le récupère", sourit-elle. Ventilateurs, brumisateurs, même climatisations d'appoint dans certains établissements… Tout y passe. "Comme la chaleur dure depuis un moment, on commence à avoir du mal à trouver des brumisateurs", rapporte Philippe Pautre, coprésident de la FCPE de Seine-Saint-Denis.
A Juigné-sur-Loire (Maine-et-Loire), des parents d'élèves ont lancé une cagnotte participative pour financer l'achat de climatiseurs, mais la mairie a préféré investir elle-même dans huit ventilateurs et un climatiseur, rapporte France 3 Pays de la Loire. "On avait alerté les institutions sur la vague de chaleur, et la réponse a consisté en un grand 'débrouillez-vous'", déplore Philippe Pautre, assurant que "les parents sont très solidaires des enseignants". Certains fournissent aussi l'huile de coude : à Marseille, l'association des parents d'élèves de l'école maternelle Alexandre-Copello a installé des voiles d'ombrage dans la cour, sans attendre d'autorisation, rapportait franceinfo fin juin. Le lendemain, la Ville a fait démonter ces ombrières pour installer une pergola en bois.
Faire classe dehors, voire délocaliser l'école
Pour de nombreux parents, la principale préoccupation reste de trouver une solution de garde. "Je garde les enfants parce que j'ai le privilège de pouvoir les garder chez moi", explique Monique Demante, co-porte-parole de l'association Une école, un avenir. Mais tous ne peuvent pas se le permettre, souligne-t-elle. "On n'est pas tous parents au foyer. Là, je suis à Toulouse, je ne peux pas récupérer ma fille", regrette par exemple Eglantine Habib, rappelant que "plein de familles n'ont pas de plan B". "Tout ça dans une ambiance où on dit qu'il faut travailler plus longtemps et réduire les vacances d'été", tacle la responsable FCPE.
La canicule met aussi à rude épreuve les mairies, qui ont notamment la responsabilité des écoles maternelles et élémentaires. Dans leur grande majorité, ces établissements sont restés ouverts pendant la canicule, un choix qui relève plus "de la continuité des services publics que de la continuité pédagogique", à un moment de l'année où les activités ludiques prennent généralement le pas sur les cours, explique Leyla Temel, adjointe à la mairie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) chargée de l'éducation.
"Laisser les écoles ouvertes permet à des enfants d'avoir accès à des endroits ombragés, de s'assurer qu'ils s'hydratent et mangent bien, alors que certains vivent parfois dans des appartements très exposés à la chaleur."
Leyla Temel, adjointe à la mairie de Saint-Denisà franceinfo
La mairie de Saint-Denis, où de nombreux enfants vivent dans des grands ensembles peu ou pas adaptés aux fortes chaleurs, fournit aussi des ventilateurs et des brumisateurs aux quelque 90 écoles de la ville, tout en permettant aux classes qui le voudraient d'accéder gratuitement aux piscines publiques. "On privilégie aussi les classes dehors, et on a pensé nos écoles en pièces chaudes et moins chaudes", où les élèves pourront trouver un peu de frais.
Ce qui n'est pas toujours possible. Dans certaines écoles d'Allonnes, près du Mans (Sarthe), le mercure atteint les 35°C pendant les épisodes de fortes chaleurs. Des températures qui ont poussé le maire communiste, Gilles Leproust, à délocaliser en urgence, lundi matin, certaines classes dans un centre de loisirs voisin, proche d'une rivière et entouré d'arbres. Avec une conviction : les enfants sont mieux à l'école que chez eux. Dans l'Eure, la commune de Saint-Marcel a mis à disposition sa médiathèque climatisée, tandis que la ville de Carrières-sous-Poissy (Yvelines) a investi dans des "refuges fraîcheur", des salles climatisées où les élèves peuvent souffler, rapporte actu.fr.
"Je trouve dangereux de maintenir les cours"
Quand les écoles ressemblent à des marmites, la question de la santé des enfants se pose. "Lundi, il a fait tellement chaud dans ma classe que j'ai dû appeler les parents pour qu'ils récupèrent leurs enfants s'ils pouvaient", assure Vanessa, dont les élèves sont tombés comme des mouches l'après-midi. "Plusieurs élèves ont vomi, d'autres ont été victimes de saignements et un élève a fait une très grosse migraine", se désespère l'institutrice en CE1 et CE2 à Besançon, dont la direction a vu avec la mairie pour fermer l'école mardi. "Je suis remplaçante alors j'en fais, des écoles, mais 41°C, je n'avais jamais vu ça. Alors évidemment, je suis inquiète : on a la sécurité de gamins entre nos mains, et on se dit qu'ils pourraient s'évanouir ou chuter à cause de la chaleur."
Face à ces températures caniculaires, et alors que le bâti scolaire apparaît peu adapté, le système D ne suffira pas. Interrogé par franceinfo, le maire d'Andelys (Eure), Frédéric Duché (Horizons), réfléchit à installer la climatisation dans les établissements scolaires "si ça ne pollue pas la planète", ce qui apparaît assez compliqué. Depuis son collège d'Aix-en-Provence, Jade aimerait que le ministère se penche sur les rythmes scolaires. "Il fait très chaud depuis début juin. On a continué à travailler jusqu'aux conseils de classes, mi-juin, mais je trouve ça dangereux de maintenir les cours alors qu'il fait 36°C dans certaines classes." Pour Apolline Letowski, cosecrétaire départementale FSU-Snuipp dans la Vienne, cette nouvelle canicule révèle les carences de l'Etat en matière d'adaptation de l'école au changement climatique. "Encore une fois, tout repose sur les professionnels pour atténuer la situation."
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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