Censure de la loi Duplomb : pourquoi la décision du Conseil constitutionnel constitue une consécration pour la Charte de l'environnement

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
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Une pancarte contre la loi Duplomb, à Rennes, le 19 juin 2025. (MARC OLLIVIER / OUEST-FRANCE / MAXPPP)
Une pancarte contre la loi Duplomb, à Rennes, le 19 juin 2025. (MARC OLLIVIER / OUEST-FRANCE / MAXPPP)

La décision des Sages renforce le droit, pour chacun, "de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" prévu par ce texte du bloc constitutionnel, selon l'avocat Arnaud Gossement.

Une nouvelle jeunesse pour les vingt ans de la Charte de l'environnement. Ce texte, reconnaissant les droits et les devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement, a été promulgué en mars 2005. Mais il resta longtemps peu utilisé par les juges… Jusqu'au jeudi 7 août, lorsque le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur l'article premier de la Charte pour motiver sa décision de censurer l'article 2 de la loi Duplomb, qui prévoyait la réintroduction sous conditions de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Une décision "historique", selon certains experts. Franceinfo vous explique pourquoi.

Elle confirme la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement

La Constitution française du 4 octobre 1958 n'est pas le seul texte tout en haut de la pyramide des normes. Il existe en réalité un "bloc de constitutionnalité" qui regroupe l'ensemble des normes de référence disposant d'une importance égale à la Constitution. Parmi eux, on retrouve notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946… et la Charte de l'environnement, qui a été intégrée à ce bloc le 1er mars 2005 grâce à une révision constitutionnelle.

"Nous savions déjà qu'elle avait la même valeur constitutionnelle. Mais elle était rarement utilisée par les juges. Il y a peu de décisions dans lesquelles une loi ou un décret a été annulé en raison de la Charte de l'environnement", explique Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement. En conséquence, "certains se sont interrogés sur la portée concrète de cette charte…", complète-t-il. La décision du Conseil constitutionnel du 7 août vient éteindre ces interrogations. "Cela renforce l'autorité et la portée de la Charte", assure l'avocat.

Elle consacre l'article 1er "de manière autonome"

La censure du Conseil constitutionnel, s'appuyant sur la Charte de l'environnement, est singulière, estime Arnaud Gossement. Pourquoi ? "Parce que c'est la première fois que les juges décident d'une censure en se fondant seulement sur l'article premier de cette Charte", explique l'expert. Cet article prévoit que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". "C'est une décision historique et la consécration de ce droit de manière autonome", considère ce spécialiste.

Dans leur décision, les juges du Conseil constitutionnel ont, en effet, reconnu que le législateur avait "privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement", en "permettant de déroger dans de telles conditions à l'interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes".

Il est "très rare" que les juges constitutionnels s'appuient sur la Charte de l'environnement, confirme Bertrand-Léo Combrade, spécialiste en droit constitutionnel. "On a une soixantaine de décisions en lien avec la Charte de l'environnement, alors qu'elle date de 2005. C'est peu", renchérit son confrère Thibaud Mulier. Cela a notamment été le cas pour une décision concernant la loi d'orientation agricole rendue le 20 mars 2025.

"Ce n'est vraiment pas comparable", clarifie Arnaud Gossement. "Il s'agissait d'une 'petite censure' et le Conseil constitutionnel s'était aussi basé sur l'article 3 de la Charte", assure-t-il. "Jusqu'à présent, il avait besoin de combiner plusieurs dispositions. Là, il applique l'article premier de manière autonome". De plus, "la notoriété de la mesure censurée fait la notoriété de la décision du Conseil constitutionnel. La portée n'est pas la même", conclut-il.

Elle s'inscrit dans un contexte judiciaire favorable au droit de l'environnement

Les portes du Conseil constitutionnel ne sont pas entièrement hermétiques aux bouleversements de la société et du changement climatique. "Cette décision intervient dans un contexte d'émergence du droit de chacun à vivre dans un environnement sain et équilibré", développe Arnaud Gossement.

D'autant plus que la Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif allant dans le même sens, le 23 juillet. Les Etats ont "des obligations strictes de protéger le système climatique", y arguent les juges de la plus haute juridiction des Nations unies, et ceux qui violent leurs obligations climatiques commettent un acte "illicite". Une décision qui a dépassé les attentes des défenseurs du climat. Les législateurs, avocats et juges du monde entier peuvent dorénavant s'en saisir pour changer les lois ou attaquer en justice les Etats pour leur inaction.

D'autres procédures contentieuses pourraient ainsi être engagées sur le fondement de cet avis de la Cour internationale de justice et, en France, sur la Charte de l'environnement, au statut désormais renforcé. Certaines sont d'ailleurs en cours. Des associations de défense de l'environnement et des citoyens sinistrés ont annoncé, fin juin, avoir déposé un recours devant le Conseil d'Etat pour obliger le gouvernement à renforcer sa politique en matière d'adaptation au changement climatique. Ce recours juridique s'appuie sur "l'obligation générale d'adaptation à la charge de l'Etat, déduite des textes constitutionnels, en particulier la Charte de l'environnement", assurent les ONG Greenpeace, Notre affaire à tous et Oxfam.

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