Loi Duplomb : pourquoi il est si difficile de prouver avec certitude le lien entre néonicotinoïdes et maladies humaines

Pour les défenseurs de la loi Duplomb, qui prévoit de réintroduire un néonicotinoïde jusque-là interdit en France, les effets néfastes de ce pesticide sur la santé ne sont pas prouvés.

Article rédigé par Mathilde Bouquerel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Une pancarte lors d'un rassemblement contre la loi Duplomb devant l'Assemblée nationale à Paris le 8 juillet 2025 (JEROME GILLES / NURPHOTO)
Une pancarte lors d'un rassemblement contre la loi Duplomb devant l'Assemblée nationale à Paris le 8 juillet 2025 (JEROME GILLES / NURPHOTO)

"L'objectif [des agriculteurs] est de continuer à produire en France une des alimentations les plus sûres au monde." C'est ce qu'affirmait Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, sur franceinfo le 21 juillet. Le patron du principal syndicat d'agriculteurs réagissait aux débats autour de la très controversée loi Duplomb, qui prévoit notamment d'autoriser un pesticide de la famille des néonicotinoïdes jusque-là interdit en France : l'acétamipride. Adopté par les députés le 8 juillet, le texte a déclenché une spectaculaire mobilisation citoyenne contre lui, la pétition "Non à la loi Duplomb" s'approchant désormais des deux millions de signatures sur le site de l'Assemblée nationale.

Si l'Efsa, l'agence sanitaire européenne, autorise bien l'acétamipride, elle reconnaissait pourtant l'année dernière "des incertitudes majeures" sur l'effet de ce pesticide sur la santé (plus précisément : sur le développement du cerveau des jeunes enfants). Et c'est le point de crispation principal entre opposants et défenseurs de la loi Duplomb. Pour les uns, de nombreuses études scientifiques documentent l'apparition de maladies chez des populations exposées à l'acétamipride et donc, le principe de précaution devrait prévaloir. Pour les autres au contraire, il s'agit d'études isolées, menées sur de trop petites cohortes de population, qui ne prouvent donc rien en l'état.

Des corrélations mais pas de lien de causalité établi

Pourquoi alors est-il si difficile d'établir avec certitude le lien entre néonicotinoïdes et maladies humaines ? Premier élément d'explication : il est compliqué de dire précisément quand une population a été confrontée à un pesticide. "On peut y être exposé par l'air, par l'eau et s'il y a un épandage ça peut même passer par la peau", détaille Xavier Coumoul, professeur de toxicologie et de biochimie à l'Université Paris Cité et  directeur d’une unité à l'Inserm, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Pourtant, d'après le biochimiste, il existe de nombreuses études qui montrent "des associations" entre épandage de néonicotinoïdes et "certains événements de santé". Ainsi en 2007 dans une région agricole de Californie, des chercheurs ont constaté une baisse de deux points de QI chez des enfants qui avaient été exposés à des néonicotinoïdes (épandus à moins d'un kilomètre du domicile) quand ils étaient dans le ventre de leur mère. Une autre étude réalisée en Chine en 2022 montre également une corrélation entre l'exposition à l'acétamipride et les cas de cancers du foie. Autre exemple : en Espagne en 2024, des chercheurs ont découvert que les cas d'autisme étaient significativement plus nombreux dans les zones de fort épandage de pesticides, dont les néonicotinoïdes, que celles d'épandage faible.

"Ce sont de vrais signaux d'alerte, des études fiables, publiées dans des revues scientifiques avec un système de relecture et menées sur des échantillons de population de souvent 200 à 300 personnes donc quand même importants, explique Xavier Coumoul. Mais ce sont des études épidémiologiques, c'est-à-dire qu'elles constatent une corrélation entre deux phénomènes mais en général, elles ne permettent pas d'établir un lien de causalité. Par exemple : il y a une corrélation entre le fait d’être couché dans un lit et mourir, mais ce n'est pas le fait de se coucher qui provoque la mort, c’est juste le fait que l’on meure souvent dans un lit."

Mener des études sur des populations différentes

Pour pouvoir prouver le lien de causalité entre les néonicotinoïdes et ces maladies (troubles du développement neurologique, cancers, autisme), il faudrait plusieurs études épidémiologiques observant les mêmes corrélations sur des populations différentes. "C'est le cas pour la maladie de Parkinson, cite par exemple le chercheur. Il doit y avoir quinze à vingt études qui disent la même chose, c'est-à-dire que dès qu'on utilise des pesticides, on a une augmentation des cas de Parkinson dans la population. Donc c'est reconnu comme maladie professionnelle chez les agriculteurs."

Il faut aussi mener des études expérimentales sur le lien entre une maladie et un néonicotinoïde. "Pour faire une étude expérimentale, on va prendre par exemple des souris qu'on va diviser en deux groupes, détaille Xavier Coumoul. On va exposer l'un des groupes à l'acétamipride, l'autre non et on va observer les événements de santé. Comme on a le même type de souris et des conditions d'exposition très contrôlées, on va pouvoir dire avec certitude que c'est l'acétamipride qui provoque tel type de problème." Aujourd'hui, il existe des études expérimentales qui prouvent par exemple le lien entre néonicotinoïde et cancer mammaire chez la souris.

"Là où c'est vraiment intéressant, c'est quand on observe une convergence entre études épidémiologiques et expérimentales."

Xavier Coumoul, toxicologue et biochimiste

à franceinfo

Pour résumer : selon le toxicologue et biochimiste, il faut tout simplement plus de travaux de recherche – qu'ils soient épidémiologiques ou expérimentaux – sur les néonicotinoïdes et les conséquences sur la santé. "Je pense que le minimum pour un gouvernement qui décide de réintroduire une molécule comme l'acétamipride sur le marché, c'est de financer des études pour être sûr qu'elle est sans danger. Ici on réintroduit une substance qui a été interdite par le passé donc sur laquelle forcément il y a un doute, mais on ne met aucun fonds supplémentaires pour prouver son innocuité. Je trouve ça vraiment problématique."

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