"On est exsangue" : en "burn out", des soignants d'un hôpital psychiatrique de Seine-Maritime en grève de la faim
En grève de la faim depuis 16 jours, ils réclament des postes pour le centre hospitalier du Rouvray et dénoncent "une surpopulation chronique".
"C'est une journée compliquée, une de plus." Au centre hospitalier du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), quatre des sept grévistes de la faim de l'hôpital psychiatrique ont été hospitalisés "en urgence" depuis lundi 4 juin, rapporte à franceinfo Sébastien Ascoet, délégué syndical CGT. "Ils présentaient des risques de séquelles irréversibles", détaille le syndicaliste. Mercredi matin, seul un gréviste de la faim était encore hospitalisé.
Depuis le 22 mars, des salariés de cet établissement situé près de Rouen sont en grève illimitée et le 21 mai, quatre personnes (rejointes depuis par trois autres) ont entamé une grève de la faim pour obtenir davantage de postes de soignants. "Ils sont épuisés moralement et physiquement. L'un de nos collègues a perdu plus 10% de sa masse corporelle, il s'agit de la limite critique. Ils sont en danger", détaille Sébastien Ascoet.
C'est très dur de voir partir ses collègues sur un brancard du Samu.
Sébastien Ascoetà franceinfo
Tous ont été pris en charge par le service de nutrition du CHU de Rouen. A Sotteville-lès-Rouen, parmi les salariés mobilisés, "on est partagé entre la colère et une très forte émotion", témoigne Sébastien Ascoet. Le cadre de santé pointe le "silence des autorités : la direction de l'hôpital, l'Agence régionale de santé, la préfecture, le ministère... C'est très surprenant".
"Des méthodes que l'on avait un peu oubliées"
Les grévistes de l'hôpital dénoncent "une surpopulation chronique" et "une dégradation des conditions de travail et d'accueil". "On est complètement exsangue au niveau du personnel et en terme de moyens", explique le délégué CGT. "On est contraints de revenir à des méthodes que l'on avait un peu oubliées, comme l'enfermement ou les contentions, poursuit-il. C'est un retour en arrière."
"En arrivant, les patients sont vulnérables, en détresse et nous les accueillons dans des chambres, des placards ou des bureaux, sur des matelas, parfois par terre", décrit Katia Geslin, cadre de santé, interrogée par franceinfo. Parfois, de jeunes adolescents de 10 ou 11 ans sont accueillis "en chambres multiples avec des adultes qui ont des troubles mentaux divers", faute de places, raconte la cadre de santé.
Certains patients viennent de leur plein gré et malgré tout, nous les mettons en chambre d'isolement, porte ouverte certes, mais c'est quand même un matelas par terre avec un seau. C'est inadmissible, c'est indigne, on ne peut plus travailler comme ça.
Katia Geslinà franceinfo
"On pratique une médecine de crise", abonde Agathe Chopart, infirmière depuis une dizaine d'années au Rouvray. "Face à des personnes en dépression ou qui ont des idées suicidaires, on n'a pas le choix de leur donner des neuroleptiques pour éviter qu'ils passent à l'acte", témoigne l'infirmière. Elle dénonce "des solutions expéditives" : "On devrait pouvoir répondre aux demandes des patients et mener des entretiens infirmiers. Au lieu de cela, on ne fait que répéter 'plus tard'."
"Ces postes, ce n'est pas un luxe"
Côté personnel, Katia Geslin évoque un "épuisement physique, moral" et une situation de "burn out", lié à un sous-effectif chronique. "C'est aussi source d'angoisse pour les patients, parce que les infirmiers et les aides-soignants ne peuvent plus se tenir disponibles. Cela crée de l'agitation, on n'est plus présents pour eux", ajoute la cadre de santé.
Le nombre d'hospitalisations a augmenté de 8,4% entre 2014 et 2016, selon les données du dernier rapport d'activité de l'établissement. Entre 2014 et 2016, les effectifs en équivalent temps plein n'ont progressé que de 0,5%, passant de 1 941 à 1 951. Résultat : les grévistes réclament 52 postes d'aides-soignants, d'infirmiers, de brancardiers... "Ce n'est pas un luxe de demander [ces] postes, c'est un investissement", estime Katia Geslin. "On a un taux d'occupation des lits qui oscillent entre 100 et 115% au Rouvray", ajoute Agathe Chopart.
C'est révélateur d'un choix de société, les malades psychiques ne sont pas considérés. Donc, on ne nous donne pas les moyens.
Agathe Chopartà franceinfo
Jean-Pierre Salvarelli, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier à Bron (Rhône) et membre du bureau national du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, estime, lui aussi, qu'il y a "une certaine désespérance dans les hôpitaux psychiatriques". Interrogé par franceinfo, il témoigne d'une situation de détresse : "On a développé des tas de prises en charge spécifiques, pour l'alcool, pour les troubles divers du comportement, pour les troubles addictifs divers et variés. On démultiplie les prises en charge, on continue à prendre en charge la population en proximité par le déploiement du secteur, qui est une formidable réussite soignante, mais les moyens ne suivent pas à hauteur et ce sont là nos difficultés."
"On ne veut pas lâcher la pression"
Si la direction de l'hôpital se refuse à tout commentaire, elle a vanté dans un communiqué diffusé le 24 mai un "ensemble d'actions mises en place pour résorber la suroccupation des lits" de l'établissement. Elle a également annoncé le recrutement de cinq contractuels, un chiffre jugé "ridicule" par les syndicats. Dans un premier temps, le 29 mai, sur CNews, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a déclaré : "La difficulté, dans cet établissement, c'est le recrutement des psychiatres, nous n'en avons pas suffisamment." "Une provocation et un signe de mépris", estime Sébastien Ascoet.
Ce dont nous avons besoin, ce sont des soignants.
Sébastien Ascoetà franceinfo
Mardi, à l'Assemblée nationale, la ministre de la Santé a assuré être "extrêmement attentive à la situation des professionnels qui aujourd'hui ont entamé une grève de la faim". Agnès Buzyn a annoncé l'envoi de "trois personnes, un directeur des soins, un directeur d'établissement psychiatrique et un président de CME [Commission médicale d'établissement] de psychiatrie" pour "mener une enquête-flash, un audit" au sein de l'établissement "et voir quels moyens sont nécessaires".
Parallèlement, des négociations avec l'ARS de Normandie ont été entamées mardi après-midi. Les grévistes du Rouvray doivent se réunir mercredi après-midi en assemblée générale pour décider des suites à donner à leur mouvement. "On ne veut pas lâcher la pression. Pour l'instant, on a rien", explique Sébastien Ascoet, même s'il se "félicite que la question soit enfin entre les mains du ministère".
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