Reportage Agriculture : pour "se passer des pesticides à large spectre qui font des dégâts invraisemblables", des chercheurs étudient l'odorat des insectes nuisibles

L'objectif est de fabriquer des produits répulsifs ou attractifs qui détourneraient les insectes ravageurs des cultures, sans utiliser de pesticides.

Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Un agriculteur épand des pesticides sur un champ, le 9 mai 2016 à Fromelles près de Lille. Photo d'illustration. (DENIS CHARLET / AFP)
Un agriculteur épand des pesticides sur un champ, le 9 mai 2016 à Fromelles près de Lille. Photo d'illustration. (DENIS CHARLET / AFP)

C’est l’une des pistes pour réduire l’utilisation des pesticides : développer la lutte biologique en utilisant l’odorat des insectes ravageurs, pour pouvoir fabriquer ensuite des produits répulsifs ou attractifs qui les détournent des cultures. Si certains de ces pièges existent déjà, la science cherche à les rendre plus efficaces et moins chers. Un travail qui nécessite de mieux comprendre le fonctionnement du système olfactif de ces animaux.

La tête apparaît en gros plan sur l’ordinateur de Jérôme Casas, professeur d’écologie à l’université de Tours : "C'est un bombyx, de la famille des vers à soie. Les mâles, comme les femelles, ont des antennes multi-échelles." Les antennes, c’est le nez des insectes. Un appendice bien plus sensible que chez les mammifères, capable de capter quelques molécules perdues au sein d’un vaste volume d’air mais qui suffiront pour alerter, par exemple, sur la présence d’un partenaire prêt à l’accouplement.

"Créer de meilleurs diffuseurs"

Avec le projet PhéroInnov qu’il vient de démarrer avec son université et le CNRS, Jérôme Casas entend donc mieux comprendre le fonctionnement de ces antennes et de leur pendant, les glandes émettrices : "C'est un organe qui est sorti par la femelle lorsqu'elle appelle les mâles. Dedans, il y a de la production de phéromones qui arrivent à la surface de la glande. Mais comment se fait le transport de la surface jusqu'à l'air ? Ça, c'est inconnu." Autant de réponses à trouver pour pouvoir fabriquer ensuite des pièges artificiels beaucoup plus performants que ceux existants. 

"Les phéromones sexuelles sont utilisées en agroécologie puisqu'elles sont, la plupart du temps, assez spécifiques. Et du coup, vous pouvez vous passer des pesticides à large spectre qui font des dégâts invraisemblables."

Jérôme Casas, professeur d'écologie

à franceinfo

"Mais par contre, elles coûtent assez cher, ces phéromones, poursuit Jérôme Casas. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de cultures dans lesquelles on ne peut pas encore les employer parce que ce n'est économiquement pas viable. Avoir des diffuseurs qui utiliseraient beaucoup moins de phéromones qu'actuellement parce qu'ils les diffuseraient mieux, c'est notre espoir dans ce projet. Créer des diffuseurs qui seraient meilleurs."

"Identifier des odeurs capables de super-activer un récepteur ou de le bloquer"

À Versailles, Emmanuelle Jacquin-Joly travaille au laboratoire de l’Inrae. Cette directrice de recherche au département d’écologie sensorielle concentre ses travaux sur les neurones olfactifs des insectes. Là où la molécule odorante vient se poser, s’emboîter pour activer un récepteur, à l’image d’une clef dans une serrure : "La stratégie, ça va être d'essayer d'identifier des odeurs capables, soit de super-activer un récepteur, donc de rendre la réponse encore plus forte que ce qu'elle n’est. Soit, au contraire, un système antagoniste qui va venir ralentir la détection voire la bloquer donc l'insecte sera anosmique à cette odeur-là. Il ne sent plus."

Modélisation en 3D d un récepteur à odeurs qu'on retrouve à la surface des neurones olfactifs des insectes. (OLIVIER EMOND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Modélisation en 3D d un récepteur à odeurs qu'on retrouve à la surface des neurones olfactifs des insectes. (OLIVIER EMOND / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Outre ces outils pour tromper l’odorat des insectes, les travaux menés par ces chercheurs permettent de développer des nez artificiels, de minuscules capteurs qui peuvent détecter la présence d’un insecte avant qu’il n’envahisse une culture. Des outils utilisables aussi dans un tout autre domaine, et qui intéressent donc les militaires : la détection des explosifs.

Agriculture : les odeurs, alternatives aux pesticides : reportage d'Olivier Emond

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