: Tribune A69 : le droit de l’environnement sert-il encore à quelque chose ?
Des avocats et universitaires alertent sur de récentes décisions de justice sur de grands projets d’infrastructures, comme celui du chantier de l'A69. Face à ce qu'ils considèrent comme "une atteinte à la démocratie environnementale", ils en appellent à une réforme des procédures.
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Dans un texte signé par une centaine d'entre eux que publie franceinfo, jeudi 9 janvier, des avocats et universitaires s’inquiètent du traitement du projet de l'autoroute A69 Castres-Toulouse par la justice. Selon eux, ce cas démontre de manière plus large un dysfonctionnement de la justice environnementale avec, pour conséquence, la défiance des citoyens envers l'institution judiciaire et, plus largement, l'État de droit. Ils redoutent "une politique du fait accompli" où "tout est fait pour préserver les intérêts économiques" au détriment du droit. Ils réclament une réforme en profondeur, "avec l'instauration d'une véritable démocratie participative", "une suspension automatique des travaux lorsqu'un recours est déposé", sous certaines conditions, ainsi que "la mise en place de procédures accélérées".
Le tribunal administratif de Toulouse a rendu une décision inattendue le 9 décembre 2024 concernant l'autorisation environnementale de l'autoroute A69 Castres-Toulouse. En lieu et place du délibéré attendu, le tribunal a rouvert l'instruction du dossier à la suite d’une note en délibéré, sans véritables éléments nouveaux décisifs, des préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne.
Cette décision survient après que la rapporteure publique ait recommandé l'annulation des autorisations du chantier, en se fondant sur l'absence de "raison impérative d'intérêt public majeur" du projet autoroutier, et alors que le juge des référés avait précédemment rejeté des demandes de suspension des travaux pour défaut de "doute sérieux" quant à la légalité de l’autorisation environnementale. Le tribunal a indiqué qu'une nouvelle audience se tiendrait "dans les prochains mois" pour statuer sur la légalité desdites autorisations. Mais pendant ce temps, les travaux se poursuivent à grand train et la mise en service est annoncée pour la fin 2025.
Une politique du fait accompli au détriment du droit
Pendant que la justice prend son temps pour délibérer, le chantier avance. Le risque que la décision finale intervienne trop tard et rende toute annulation irréaliste se profile nettement. Le cas de l’A69 n’est pas isolé. Nombreux sont les exemples qui illustrent cette stratégie du "fait accompli" : contournement de Châtenois, déviation de Beynac, barrage de Fourogue, route de désenclavement à Pont-Sainte-Maxence… autant de projets qui ont été construits en toute illégalité et ont été annulés a posteriori par des décisions de justice.
A cet égard, la prise en compte des conséquences économiques en cas d’annulation du projet ne doit pas être un critère de décision pour les juges. Favoriser la prise en compte que l’impact d’une décision de justice peut avoir sur le plan économique, c’est accepter l’idée que le respect du droit est accessoire. Si un projet comme l’A69 apparaît illégal, il doit être annulé, peu importe les conséquences économiques qu’une telle décision entraînerait pour les porteurs du projet.
L'impartialité de la justice administrative remise en cause
L’Etat de droit implique une protection juridictionnelle effective, incluant un accès à la justice avec des juridictions indépendantes et impartiales. Le fait que la justice accorde de nouveaux délais dans le dossier de l’A69, alors même qu’une clôture d’instruction était intervenue trois mois plus tôt avec des conclusions de la rapporteure publique défavorables au projet, soulève des interrogations légitimes sur l’impartialité de la justice.
Par cette décision, la justice envoie le message que les aménageurs ont tout intérêt à mettre en œuvre des procédés dilatoires pendant les procédures d'instruction, pour se donner toutes les chances qu’une annulation du projet soit rendue impossible.
Sous couvert de "modernisation du droit", les pouvoirs du juge administratif ont été étendus pour lui permettre, en cas d’irrégularités, de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation, afin de ne pas remettre en cause le projet dans son ensemble. Les industriels se trouvent ainsi libérés de toute entrave juridique qui pourrait freiner le développement de leur projet. En d’autres termes, tout est fait pour préserver les intérêts économiques du pétitionnaire afin que le projet puisse arriver à son terme. Une méthode qui questionne l’effectivité du droit et fait naître une défiance dangereuse des citoyens face à l’institution judiciaire.
Atteinte à la démocratie environnementale
De telles affaires posent également des questions fondamentales de démocratie environnementale concernant la participation du public au processus décisionnel. Malgré la participation du public, la phase de l’enquête publique n’est bien souvent qu’une étape de validation des projets. Même en cas d’avis défavorable ou très réservé du commissaire enquêteur, les projets sont validés.
La procédure de l’autorisation environnementale telle qu’elle est conçue avec l’enquête publique souffre d’une incapacité structurelle à mener à bien un véritable débat contradictoire qui prenne réellement en compte les avis opposés.
Inégalité des armes
Le déséquilibre entre les moyens dont disposent les requérants - associations et citoyens - et ceux dont disposent l'État et les industriels est désormais parfaitement assumé : des délais rallongés à loisir pour l’Etat et un calendrier serré pour les requérants, dont les demandes de report sont rarement accordées et les notes en délibéré rarement communiquées et, en tout état de cause, ne donnent presque jamais lieu à réouverture de l’instruction.
Concernant l’A69, le fait qu’une note en délibéré des préfets ait conduit le tribunal à rouvrir l’instruction en reportant l'audience "dans les prochains mois" crée un contraste saisissant entre la célérité initiale de la procédure et ce nouveau délai, inhabituellement long à la suite d’une note en délibéré.
"Il est temps d’une refonte procédurale autour des grands projets d’infrastructure comme l’A69"
Les signataires de la tribuneà franceinfo
Pour préserver l'État de droit, il est urgent d’envisager une réforme du contentieux administratif pour les grands projets d’infrastructures. Premièrement, avec l'instauration d'une véritable démocratie participative respectueuse des engagements de la France vis-à-vis de l'Europe, notamment ceux découlant de la Convention d'Aarhus. Deuxièmement, en appliquant une suspension automatique des travaux lorsqu'un recours est déposé contre un projet ayant reçu des avis défavorables d'instances indépendantes. Troisièmement, avec la mise en place de procédures accélérées pour le traitement de ces dossiers dans des délais raisonnables, à l’instar de ceux dont bénéficient les projets liés aux énergies renouvelables.
Une telle réforme permettrait d’éviter des atteintes graves et irréversibles à l’environnement et mettrait fin au gaspillage des fonds publics. Elle permettrait en outre de restaurer un climat de confiance des citoyens envers les institutions décisionnaires et judiciaires.
Liste des signataires :
1. Laure Abramowitch, avocat au barreau de Dijon
2. Florence Alligier, avocate au barreau de Lyon
3. Claude Amari de Beaufort, avocat au barreau de Toulouse
4. Christophe Arnould, avocat au barreau de Paris
5. Mathilde Bachelet, avocate au barreau de Toulouse
6. Clémentine Baldon, avocate au barreau de Paris
7. Raphaël Balloul, avocat au barreau de Rennes
8. Anne-Sophie Barrère, avocate au barreau de Toulouse
9. Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux
10. Rose-Marie Beaufort, avocate au barreau de Paris
11. Tatiana Béchaux, avocate au barreau de Lyon
12. Sébastien Bécue, avocat au barreau de Lyon
13. Jean Bernardot, avocat au barreau de Marseille
14. André Berne, avocat au barreau de Paris
15. Thierry Billet, avocat au barreau d’Annecy
16. Pascale Billing, avocate au barreau de Paris
17. Ugo Birchen, avocat au barreau de Paris
18. Benjamin Bizzarri, avocat au barreau de Sarreguemines
19. Marie Blot De La Iglesia, avocat au barreau de Saint-Brieuc
20. Stéphane Boisard, maître de conférences en droit public à l'Institut Universitaire Jean-François Champollion
21. Marine Boissier-Defrocourt, avocate au barreau de Paris
22. Anais Bonnet, avocate au barreau de Toulouse
23. Jérémy Bousquet, avocat au barreau de Toulouse
24. Lydie Brecq-Coutant, avocat au barreau de Paris
25. Julien Brel, avocat au barreau de Toulouse
26. Paul Bru, avocat au barreau de Toulouse
27. Pierre Brunet, professeur de droit public à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
28. Benoist Busson, avocat au barreau de Paris
29. Charlotte Cambon, avocate au barreau de Toulouse
30. Clément Capdebos, avocat au barreau de Paris
31. Lara Cavalli, avocate au barreau de Lyon
32. Yasmine Chevreul, avocate au barreau de Paris
33. Océane Chotel, avocate au barreau de Toulouse
34. Yann Choucq, avocat honoraire
35. Antoine Clerc, avocat au barreau de Lyon
36. Jérôme Consigli, avocat au barreau de Paris
37. Pierre Cottaz-Cordier, avocat au barreau de Lyon
38. Benjamin Cottet-Emard, avocat au barreau de Lyon
39. Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse
40. Arnaud Coustenoble, avocat au barreau de la Charente
41. Marion Crecent, avocat au barreau de Bordeaux
42. Mireille Damiano, avocate au Barreau de Nice
43. Jean Danet, professeur de droit émérite
44. Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris
45. Victor David, chercheur en droit de l'environnement
46. Carine David, professeure à Aix Marseille Université
47. Lucie Davy, avocate au barreau de Lyon
48. Samuel Delalande, avocat au barreau de Rennes
49. Nadja Diaz, avocat au barreau de Toulouse
50. Thomas Dubreuil, avocat au barreau de Vannes
51. Claire Dujardin, avocate au barreau de Toulouse
52. Claire Dumont, avocate au barreau de Marseille
53. Elohane Durand, avocate au barreau de Montpellier
54. Clémence Durand, avocate au barreau de Toulouse
55. Maria Dziumak, avocate au barreau de Paris
56. Marie-Christine Etelin, avocate honoraire
57. Christian Etelin, avocat au barreau de Toulouse
58. Jean Eudes Mesland-Althoffer, avocat au barreau de Marseille
59. Alexandre Faro, avocat au barreau de Paris
60. Anouk Ferté-Devin, avocate au barreau de Vannes
61. Clément Feulié, avocat au barreau de Paris
62. Vincent Fillola, avocat au barreau de Paris
63. Jérôme Fromageau, chercheur associé IRD Ecole Normale Supérieure de l'Université Paris Saclay
64. Laure Galinon, avocate au barreau de Toulouse
65. Nicolas Gallon, avocat au barreau de Montpellier
66. Jacques Gandini, ancien président du Syndicat des avocats de France
67. Sandrine Gelis, avocat aux barreaux de Mont-de-Marsan et Paris
68. Elsa Ghanassia, avocate au barreau de Grenoble
69. Marion Giard, avocate au barreau de Paris
70. Jérôme Graefe, avocat au barreau de Paris
71. Dorian Guinard, maître de conférences en droit public à l'université Grenoble-Alpes
72. Thomas-John Guinard, avocat au barreau de Paris
73. Pierre Heddi, avocat au barreau de Toulouse
74. Isabelle Henocque, avocate au barreau de Lille
75. Zahra Hsina, avocat au barreau de Strasbourg
76. Christian Huglo, avocat au barreau de Paris
77. Raphaëlle Jeannel, avocate au barreau de Paris
78. Simon Jolivet, universitaire
79. Sara Khoury-Cardoso, avocate au barreau de Toulouse
80. Catherine Kratz, avocate au barreau de Paris
81. Pauline Labro, avocate au barreau de Toulouse
82. Mathilde Lacaze-Masmonteil, avocate au barreau de Paris
83. Alice Lamailloux, avocate au barreau de Marseille
84. Louis le Foyer de Costil, avocat au barreau de Paris
85. Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris
86. Christophe Le Grontec, avocat au barreau de Paris
87. Corinne Lepage, avocat au barreau de Paris
88. Sébastien Mabile, docteur en droit, avocat au barreau de Paris
89. Sarah Maquet, avocate au barreau de Toulouse
90. Philippe Marc, avocat au barreau de Toulouse
91. Vincent Marin, professeur agrégé à l’Université d'Albi
92. Joséphine Marouby, avocate au barreau de Toulouse
93. Aymeric Martin-Cazenave, avocat au barreau de Toulouse
94. Maripierre Massou Dit Labaquère, docteure en droit, avocate au barreau de Pau
95. Alexandre Mazéas, avocat au barreau de Toulouse
96. Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris
97. Lilia Meunier-Mili, avocate au barreau de Narbonne
98. Lucie Montanari, avocate au barreau de Paris
99. Claudine Morain, avocat au barreau de Paris
100. Laure Ortiz, professeure de droit public émérite à Sciences Po Toulouse
101. Mathieu Oudin, avocat
102. Hugo Partouche, avocat au barreau de Paris
103. Maryse Péchevis, avocate Barreau de Montpellier
104. Marc Pitti-Ferrandi, avocat au barreau de Paris
105. Sonia Plazolles, avocate au barreau de Toulouse
106. Fleur Pollono, avocate au barreau de Nantes
107. Lorraine Questiaux, avocate au barreau de Paris
108. Camille Renard, avocate au barreau de Paris
109. Gaëlle Ripoll, avocat au barreau de Rouen
110. Marine Rogé, avocat au barreau de Paris
111. Anne Rossi, avocat au barreau d’Angers
112. Justine Rouiller, avocate au barreau de Rennes
113. François Roux, avocat au barreau de Montpellier
114. Julie Rover, avocate au barreau de Toulouse
115. Roxane Sageloli, avocate au barreau de Paris
116. Georges Salon, avocat au barreau de Paris
117. Sarah Sameur, avocate au barreau de Paris
118. Lucile Stahl, avocate au barreau de la Drôme
119. Alice Terrasse, avocate au barreau de Toulouse
120. Étienne Tête, avocat barreau de Lyon
121. Louise Tschanz, avocate au barreau de Lyon
122. Guillaume Tumerelle, avocat au barreau de Draguignan
123. Isabelle Vergnoux, avocate au barreau de Marseille
124. Julien Vieira, avocat au barreau de Bordeaux
125. Emmanuel Wormser, avocat au barreau de Lyon
126. Marine Yzquierdo, avocate au barreau de Paris
127. Philippe Zavoli, professeur de droit public à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour
128. François Zind, avocat spécialiste en droit de l'environnement, du barreau de Strasbourg, membre de la commission Environnement-Santé du SAF
129. Claire Zoccali, avocate au barreau de Lyon
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