"Une scène de crime particulière" : au procès de Frédéric Péchier, un policier raconte comment les enquêteurs ont traqué l'anesthésiste
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Olivier Verguet, chef de la brigade criminelle de la police judiciaire de Besançon, a dirigé les investigations depuis 2017. Il a dû se familiariser avec la technicité d'un dossier d'empoisonnements hors normes, où la scène de crime est un bloc opératoire et les armes des médicaments.
C'est sans aucun doute le dossier de sa vie. Olivier Verguet, 64 ans, n'imaginait pas "l'ampleur de la tâche" qui l'attendait pendant de "longues années" lorsque son service a été saisi de deux cas d'arrêts cardiaques suspects à la clinique Saint-Vincent de Besançon (Doubs), en janvier 2017. Sandra Simard, 36 ans, opérée des lombaires, a passé cinq jours dans le coma. Jean-Claude Gandon, 70 ans, a dû être réanimé in extremis lors de son intervention pour un cancer de la prostate. Le chef de la brigade criminelle de la police judiciaire de la ville a alors une solide carrière derrière lui. Mais il va découvrir la complexité d'un monde médical "particulièrement difficile à appréhender". Huit ans plus tard, le profane devenu initié a témoigné pendant huit heures devant la cour d'assises, au deuxième jour du procès de l'anesthésiste Frédéric Péchier, mardi 9 septembre.
Sa synthèse sous les yeux, Olivier Verguet, cheveux poivre et sel et costume beige, remonte le fil d'une "enquête volumineuse" pour expliquer comment lui et ses collègues ont fini par confondre l'accusé, jugé pour 30 empoisonnements de patients, dont 12 mortels, dans deux cliniques privées de Besançon. Signe du caractère inédit de cette affaire à la crim', les adjectifs "surprenant" et "improbable" parsèment son exposé.
Bloc opératoire "aseptisé" et "secret médical"
Pour comprendre ce qui se tramait à la clinique Saint-Vincent, où ces deux "évènements indésirables graves" (EIG) venaient de se produire à neuf jours d'intervalle, il a d'abord fallu se familiariser avec une "scène de crime particulière", celle d'un bloc opératoire "aseptisé", où traces d'ADN et empreintes digitales ont disparu. Il a fallu aussi "appréhender le fonctionnement d'une anesthésie", "comprendre quel type de médicaments pouvait être utilisé, absorber le vocabulaire"…
"Les armes utilisées sont différentes. On est habitués aux armes de poing, aux armes de guerre. Là, les armes, ce sont les médicaments."
Olivier Verguet, directeur d'enquêtedevant la cour d'assises du Doubs
"Pour un enquêteur, il n'y a rien de plus désagréable que de travailler sur une scène de crime sans l'avoir visualisée", souligne le policier, qui se rend donc sur place "pour prendre la température". Il se heurte au "secret médical", au "devoir de confraternité" et surtout, selon lui, au "déni" de "soignants à mille lieues d'envisager l'hypothèse qu'un criminel puisse rôder parmi eux". La "prise de conscience" est arrivée après la première garde à vue de Frédéric Péchier, en mars 2017.
Un "mode opératoire" identifié
Selon Olivier Verguet, l'anesthésiste s'est imposé comme principal suspect à mesure des recoupements effectués avec d'autres arrêts cardiaques inexpliqués remontant à 2008, principalement à la clinique Saint-Vincent, Frédéric Péchier n'ayant travaillé que six mois à la polyclinique de Franche-Comté. Des enquêtes avaient bien été ouvertes pour certains de ces cas, mais à cette époque, on cherchait une "erreur", "pas un crime". La liste s'allonge jusqu'à 43, puis 68 arrêts cardiaques suspects. L'OCRVP, office "chargé des affaires complexes et sérielles", arrive en renfort depuis Paris. "Au final, on fera évidemment un tri, car des dossiers ne correspondaient pas", résume l'enquêteur. En mai 2019, Frédéric Péchier est de nouveau placé en garde à vue, pour 36 cas, puis mis en examen. Il nie toute responsabilité, pointant des erreurs médicales ou l'incompétence de ses collègues.
"A chaque fois qu'on posait une question technique, il nous faisait une réponse médicale et nous étions dans l'incapacité de rebondir."
Olivier Verguet, directeur d'enquêtedevant la cour d'assises du Doubs
Les enquêteurs de la brigade criminelle se sont donc appuyés sur d'autres éléments pour identifier un "mode opératoire" : saisie des dossiers médicaux et des "séquestres" (les médicaments conservés après les interventions), consultation des résultats d'autopsies, exhumation de certains corps, auditions des familles et des médecins, "le soir tard", quand ils n'étaient pas au bloc… Un scénario se dessine : "l'empoisonneur" cible le "premier patient de la journée", le lundi, en polluant en amont les poches de perfusion le week-end avec des anesthésiques locaux (de la lidocaïne et de la mépivacaïne), du potassium ou de l'adrénaline, des produits difficilement détectables par la suite.
La "signature du crime" détectée ?
Frédéric Péchier finit par tenir le premier rôle dans ce scénario, en raison de sa présence "troublante" à "quasiment" toutes les réanimations, lors desquelles il administre "le bon antidote".
"On n'a pas eu d'autre suspect envisagé dans ce dossier-là, c'est le seul qui revenait systématiquement, sa présence nous tombait dessus."
Olivier Verguet, directeur d'enquêtedevant la cour d'assises du Doubs
L'accusation s'engouffre. "Si on n'avait pas découvert la poche de potassium de Sandra Simard, on aurait été sur des crimes parfaits ?", interroge l'avocate générale. L'enquêteur acquiesce. Selon Olivier Verguet, qui manie désormais le vocabulaire médical avec brio, c'est l'utilisation de "gluconate de calcium" pour réanimer la jeune femme, alors que personne ne soupçonne encore une intoxication au potassium, qui va "mettre Frédéric Péchier en difficulté". "C'est peut-être la première erreur fatale commise, la signature du crime", lance l'enquêteur à la barre.
Selon lui, le piège se referme sur l'anesthésiste avec l'arrêt cardiaque de son patient Jean-Claude Gandon, le 20 janvier 2017, perçu par l'accusation comme un "EIG alibi". "Le criminel ne pouvait être que présent au moment de l'empoisonnement à la mépivacaïne", estime le policier.
Un "mobile" fragilisé par la défense
Olivier Verguet poursuit sa démonstration avec "le mobile" : Frédéric Péchier était "au cœur de nombreux conflits au sein du milieu des anesthésistes bisontins". Des différends financiers, professionnels et personnels, qui coïncident, selon l'enquêteur, avec les arrêts cardiaques subis par des médecins et surtout leurs patients, "victimes collatérales". Au passage, le policier n'hésite pas à charger la barque de l'accusé quant au nombre de victimes. "Je voudrais quand même mentionner qu'on peut en rajouter d'autres, car le sentiment que nous avons est d'avoir laissé des patients sur le bord de la route, faute d'éléments suffisants."
Frédéric Péchier encaisse, entouré de ses avocats. Quand vient le tour des questions pour la défense, Randall Schwerdorffer se lève et attaque, à fleurets mouchetés, la thèse de l'enquêteur : "Comment Péchier fait-il pour qu'une poche polluée par ses soins puisse cibler un patient pour atteindre un collègue ?" "Le docteur Péchier se déplaçait de façon continue dans les blocs et la salle d'accueil et pouvait poser une poche de soluté comme il en avait envie", répond le témoin, déstabilisé. "Combien de fois un soignant l'a vu poser une poche ?", enchaîne le pénaliste, micro en main, avant de répondre lui-même : "Zéro." "Qui a accès à ces poches de soluté ?", enchaîne l'avocat. "Tous les personnels du bloc opératoire", admet l'enquêteur. "Est-ce qu'elles sont prises par les infirmières de façon aléatoire ?" Affirmatif. L'une d'entre elles a dit choisir "parmi des centaines de poches", précise Randall Schwerdorffer, préparant sa nouvelle question : "Par quelle magie" la poche polluée arrive-t-elle de la salle où elle est stockée à la table d'opération du collègue visé ? Silence.
"Effectivement, on ne maîtrise pas tous les paramètres de l'enquête, il y a des situations où on ne sait pas comment la poche a été polluée", reconnaît le directeur d'enquête. La fatigue se fait sentir, la tension monte, l'audience est suspendue. Les jurés ont encore de longues semaines pour se forger leur intime conviction.
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