Au procès de Joël Le Scouarnec, un ancien collègue du chirurgien fait volte-face et cherche à se dédouaner
Face à la cour criminelle du Morbihan, un médecin ORL a contredit son propre témoignage de 2017 face aux enquêteurs. Il affirme aujourd'hui n'avoir jamais su que Joël Le Scouarnec avait été condamné en 2005 pour détention d'images pédopornographiques.
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Quelle responsabilité porte le monde médical dans l'affaire Le Scouarnec ? Cette interrogation est au cœur des débats depuis l'ouverture du procès de l'ex-chirurgien, le 24 février, alors que l'accusé de 74 ans est poursuivi pour viols aggravés et agressions sexuelles aggravées sur 299 patients. Ses anciens collègues se sont relayés à la barre au fil des semaines : beaucoup ont dit leur sidération de n'avoir rien vu.
D'autres, en revanche, ont reconnu lors de l'enquête avoir eu des informations pour le moins compromettantes à son sujet : c'est le cas d'Henri Sandillon, médecin ORL retraité de 73 ans, cité comme témoin, vendredi 16 mai, devant la cour criminelle du Morbihan. Il a côtoyé Joël Le Scouarnec pendant une petite dizaine d'années à l'hôpital de Jonzac (Charente-Maritime), de son arrivée en 2009 jusqu'à son arrestation en mai 2017, pour le viol de sa petite voisine.
Entendu par les enquêteurs quelques jours après cette interpellation, Henri Sandillon a reconnu avoir été informé par Joël Le Scouarnec de sa condamnation en 2005 à Vannes pour détention d'images pédopornographiques. "Je l'ai appris de sa propre bouche. Il m'a expliqué que les flics avaient trouvé des images sur son ordinateur. Il a minimisé en disant que c'était une bêtise de sa part", a-t-il déclaré face aux gendarmes, selon le procès-verbal de l'audition, que franceinfo a pu consulter.
Une version radicalement différente
Mais à la barre, ce témoin-clé fait volte-face et assure n'avoir jamais rien su de cette procédure judiciaire. Dans une salle d'audience médusée, il soutient en avoir appris l'existence "lors de la discussion avec le policier" qui l'interrogeait. La présidente Aude Buresi lui relit alors ses propos face aux gendarmes. "Je suis désolé, peut-être ai-je mal lu en signant le procès-verbal", suggère-t-il avec aplomb. L'ancien ORL affirme que Joël Le Scouarnec lui avait seulement mentionné avoir "fait des bêtises", sans en dire davantage.
N'en démordant pas, la présidente poursuit la lecture de son audition de 2017 à la gendarmerie, qui achève de l'enfoncer un peu plus. Interrogé sur sa réaction quand il a appris l'interpellation de son confrère de l'époque, voici sa réponse : "J'ai dit : 'Quel con, il a récidivé'. Cela m'a choqué. Par la suite, après en avoir discuté avec ma femme psychiatre, mon jugement a changé comme quoi c'est une perversion, et que l'on ne peut rien faire contre cela." Henri Sandillon botte en touche.
Romane Codou, avocate de parties civiles, l'enfonce un peu plus en mentionnant un extrait de l'émission "Envoyé spécial" qui contredit totalement ses allégations. Filmé en caméra cachée en 2020, Henri Sandillon réitère ce qu'il a dit aux gendarmes trois ans avant. Et de préciser avoir appris cette condamnation "trois, quatre mois" après l'arrivée de Joël Le Scouarnec à Jonzac.
Dans cet extrait, le médecin ORL va jusqu'à relativiser la condamnation de son confrère en 2005. "Je me suis dit : 'Oui, bon, il a été pris les mains dans le pot de confiture', ce sont des choses qui arrivent, comme ça peut vous arriver à vous", lance-t-il aux journalistes, surpris. "Moi, je suis tombé sur des sites un jour, bien sûr sans aller plus loin, parce que ce n'est pas mon style", explicite-t-il ensuite.
Plusieurs collègues au courant de sa condamnation
Le rôle d'Henri Sandillon est d'autant plus fortement pointé du doigt qu'il était président de la Commission médicale d’établissement (CME) de l'hôpital de Jonzac pendant toute la période où Joël Le Scouarnec y a exercé. "Une fonction honorifique", minore l'ORL aujourd'hui, mais qui lui permettait tout de même d'avoir accès au dossier complet de tout personnel soignant embauché au sein de l'hôpital de Jonzac, y compris à son casier judiciaire, ce qu'il réfute fermement.
"Toutes les candidatures passent par la CME : le dossier de Monsieur Le Scouarnec est forcément arrivé sur votre bureau", insiste Myriam Guedj Benayoun, avocate de parties civiles, qui rappelle que la décision d'accepter ou pas un nouveau soignant titulaire est votée par la commission. De même, l'ancien ORL affirme ne pas avoir eu connaissance de la condamnation en 2007 pour consultation d’images pédopornographiques d'un autre médecin : Jean-André Cuot, anesthésiste au bloc opératoire de l'hôpital de Jonzac lui aussi, venu témoigner la veille.
Les membres de la Commission médicale d’établissement sont pourtant chargés "de la qualité et de la sécurité des soins", rappelle Le Quotidien du médecin. Cela, en coordination étroite avec le directeur d'hôpital. Qui était une directrice à l'époque : elle sera entendue lundi 19 mai par la cour. Interrogée par les gendarmes, celle-ci a elle aussi reconnu avoir été informée de la condamnation de Joël Le Scouarnec et être passée outre.
"Il m'a expliqué qu'il avait fait l'objet d'une procédure judiciaire quelques années auparavant pour des visites internet sur des sites pédopornographiques", a-t-elle déclaré lors de son audition le 18 mai 2017, selon le procès-verbal consulté par Radio France. Et de relativiser d'emblée les faits : "De son aveu, c'était de la consultation internet chez lui. Comme il n'y avait pas eu d'agression physique, ce genre de précaution [éviter qu’il soit seul avec des patients mineurs] ne m'a pas paru nécessaire", explique-t-elle.
Des difficultés économiques à l'hôpital
Comment expliquer le peu de considération accordé à de telles accusations de la part d'une directrice d'hôpital et d'un président de CME ? Une piste se dessine, en creux, dans les propos d'Henri Sandillon. "Nous avions des difficultés de recrutement, nous n'avions aucune candidature", explique-t-il, précisant s'être "battu bec et ongle pour maintenir la chirurgie à Jonzac". "A l'époque, notre service était menacé de fermeture", ajoute-t-il encore, tout en affirmant que "le fait d'avoir un hôpital boiteux" ne l'aurait pas empêché d'agir s'il avait su que Joël Le Scouarnec avait été condamné.
Mardi, un psychiatre, Thierry Bonvalot, le seul à avoir donné l'alerte concernant l'ex-chirurgien, a témoigné d'une situation similaire à l'hôpital de Quimperlé : Joël Le Scouarnec "venait pour sauver l'hôpital de la fermeture de la moitié de ses activités", a-t-il relaté devant la cour criminelle du Morbihan. Malgré ses multiples alertes à la direction de l'établissement, le chirurgien n'a jamais été inquiété lors de son passage à Quimperlé.
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