"On connaissait la famille" : au procès de Joël Le Scouarnec, des enfants d'amis et des camarades de ses fils parmi les victimes

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La cour criminelle du Morbihan pendant les auditions de parties civiles au procès de Joël Le Scouarnec le 6 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
La cour criminelle du Morbihan pendant les auditions de parties civiles au procès de Joël Le Scouarnec le 6 mars 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Les témoignages de parties civiles ont continué vendredi. Parmi celles qui ont accepté de s'exprimer, l'une d'elles a subi un viol au domicile de l'ancien chirurgien, alors que ses frères étaient venus jouer avec deux fils de Joël Le Scouarnec. Un ancien ami du médecin a également parlé de violences sexuelles sur ses enfants.

Au départ, elle souhaitait le huis clos. Mais elle y a finalement renoncé pour s'exprimer, vendredi 7 mars, dans la salle d'audience du tribunal judiciaire de Vannes. Sophie* se tient aux côtés de son avocate, Marie Grimaud, pour témoigner en tant que partie civile au procès de Joël Le Scouarnec, qui se tient devant la cour criminelle du Morbihan depuis le 24 février. Dans ce volet, l'ex-chirurgien est jugé pour des violences sexuelles sur 299 personnes, en grande majorité des patients mineurs qu'il opérait et qu'il répertoriait dans des fichiers et ses journaux intimes, souvent associés à une litanie de récits de sévices. Mais ce ne sont pas les seules victimes : parmi elles, figurent quelques enfants de l'entourage de Joël Le Scouarnec. Sophie en fait partie.

"On connaissait la famille Le Scouarnec, mes frères étaient amis avec ses enfants", expose cette femme de 40 ans, qui en avait 6 au moment des faits. Ses deux frères étaient dans la même classe que deux des fils de Joël Le Scouarnec. Elle se souvient de deux viols, au domicile de l'ancien chirurgien, où elle était venue pour que ses frères puissent venir jouer avec leurs amis. L'un d'eux s'est déroulé alors qu'elle était allée aux toilettes. "A l'époque, je ne fermais pas à clé. Il était entré", se remémore-t-elle. Dans ses journaux intimes, le pédocriminel relate trois épisodes, datés de décembre 1990, janvier puis juillet 1991. C'est la raison pour laquelle Sophie a été contactée par les enquêteurs et qu'elle a pu se constituer partie civile pour ce procès.

"Je n'en ai jamais parlé à personne, j'étais une petite fille renfermée."

Sophie, partie civile

devant la cour criminelle du Morbihan

Sweat noir à capuche, cheveux relevés en chignon, la quadragénaire explique avoir des relations compliquées avec ses parents et n'avoir pas réussi à le dire "car elle ne pensait pas qu'on allait la croire". Alors elle s'est tue mais en a subi "les conséquences". "J'ai peur des gens, j'ai peur des hommes, même si un a réussi à faire la différence", déclare Sophie, qui est parvenue avec difficulté à avoir deux enfants. Aujourd'hui, elle aimerait que Joël Le Scouarnec "paye pour ce qu'il a fait".

"J'ai profité du moment propice"

Dans son box, l'accusé reconnaît avoir violé Sophie et lui "demande pardon", comme il l'a déjà fait à plusieurs reprises depuis le début de son procès. Mais pour la première fois, Joël Le Scouarnec parvient à se remémorer la scène. "C'est le seul souvenir que j'ai. J'ai profité du moment propice, j'ai vu la petite Sophie aller aux toilettes et je me suis dirigé vers les toilettes pour commettre de tels actes", déclare-t-il.

"Y avait-il une jouissance particulière, si vous vous en souvenez ?" lui demande la présidente de la cour criminelle du Morbihan. L'accusé mentionne "l'urine" et le fait que "parmi [ses] fantasmes, c'était important". "Quand je commettais ces actes-là, je ne pensais pas du tout à la petite fille qui subissait", poursuit-il.

"Pour moi, ce qui était important, c'était l'acte que je faisais. L'essentiel, c'était de satisfaire ces pulsions."

Joël Le Scouarnec

devant la cour criminelle du Morbihan

Si Joël Le Scouarnec reconnaît avoir "profité" des camarades de ses fils, il admet aussi avoir commis des violences sexuelles sur les enfants d'un ancien collègue, qu'il a connu quand il était interne en médecine dans les années 1980. "A Loches il y avait une clinique avec trois médecins qui venaient une semaine sur trois à l'hôpital", précise Dominique, auditionné comme témoin. "C'était quelqu'un avec qui c'était agréable de travailler, il était calme, posé", déclare-t-il.

"On l'avait invité à la maison pour dîner"

Dominique a cinq ans de moins que l'accusé. Les deux hommes ont sympathisé et se sont vus en dehors du travail, relate Dominique, avant de faire état de violences sexuelles de la part de Joël Le Scouarnec sur ses deux enfants. "Ma fille a porté plainte mais les faits sont prescrits. Mon fils n'a jamais voulu en parler, explique-t-il. On l'avait invité à la maison pour dîner, pour parler d'un voyage en Inde. C'est à ce moment-là que ça s'est passé, mais nos enfants n'en ont jamais parlé", poursuit Dominique.

Lorsque la présidente Aude Buresi procède à la lecture des faits, on apprend que ces violences sexuelles ont été commises la nuit pendant leur sommeil.

"Ils savaient que quelque chose c'était passé mais ils n'étaient pas absolument certains car ils étaient endormis."

Dominique, père de deux victimes

devant la cour criminelle du Morbihan

Le père de famille ajoute que ses enfants étaient à moitié réveillés, "ensommeillés". "Ils ont eu des soucis après mais on a mis ça sur le compte de l'adolescence", se désole-t-il, en lâchant quelques larmes.

Le témoin dit avoir ressenti de la culpabilité en apprenant les faits. "Quelque part on fait entrer quelqu'un dans la maison et qui... confie-t-il, sans finir sa phrase. C'est ça le problème : jamais on n'a rien vu de spécial." Il suppose que ses enfants n'ont pas parlé car ils "avaient peur de nous faire de la peine". Pourtant, il l'assure, avec leur mère, "on les aurait écoutés". "Il y a des choses à cet âge-là qu'on n'invente pas."

"J'assume ce que j'ai fait", sanglote Joël Le Scouarnec, qui dit pourtant n'avoir aucun souvenir des faits. "Ces journées d'audience permettront-elles que des faits remontent dans votre mémoire ou vous vous interdisez qu'ils remontent ?" rebondit la présidente. L'accusé répond par la négative. "C'est ainsi, je ne peux pas vous apporter d'autres réponses. Ce n'est pas cacher les choses, c'est parce que je ne me souviens pas, même si ça paraît choquant", conclut Joël Le Scouarnec, dont le procès se poursuit lundi, et jusqu'au 20 juin.

* Le prénom a été changé à la demande de la victime.


Si vous êtes un enfant en danger ou un adulte témoin d'une situation où un enfant est victime de violences sexuelles, physiques ou psychologiques, ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d'accueil téléphonique, confidentiel et gratuit : le 119 (ouvert 24h/24, 7j/7, numéro non visible sur les factures de téléphone, possibilité d'envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d'entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr). Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site allo 119Si vous êtes victime de violences sexistes et sexuelles, vous pouvez appeler le 3919. Le numéro est gratuit, anonyme, ouvert 24h/24 et 7j/7, accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

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