"On me rend responsable de tout !": au procès de Joël Le Scouarnec, l'ex-épouse de l'accusé s'enfonce dans le déni

Article rédigé par Juliette Campion - envoyée spéciale à Vannes (Morbihan)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Marie-France, l'ex-épouse de Joël Le Scouarnec, devant la cour criminelle du Morbihan, au tribunal judiciaire de Vannes, le 26 février 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Marie-France, l'ex-épouse de Joël Le Scouarnec, devant la cour criminelle du Morbihan, au tribunal judiciaire de Vannes, le 26 février 2025. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Durant cinq heures d'audition, Marie-France a réaffirmé mercredi n'avoir jamais connu les penchants pédophiles de l'ex-chirurgien, allant jusqu'à accuser certaines de ses nièces de mentir sur des violences sexuelles commises par celui-ci.

L'audition de l'ex-épouse de Joël Le Scouarnec a débuté à 18 heures, mercredi 26 février, sous des rires nerveux, lorsqu'elle est arrivée affublée d'une perruque, d'un masque chirurgical, avec une extinction de voix. Elle s'est achevée à 23h15, dans une ambiance étouffante. C'est peu dire que son témoignage était attendu : Marie-France a toujours assuré n'avoir jamais rien su des agissements pédocriminels de celui qu'elle a épousé en 1974 et avec lequel elle a passé près de quarante années de vie commune. Plusieurs déclarations de proches et des éléments du dossier tendent pourtant à montrer qu'elle a couvert les agissements de l'ex-chirurgien, au moins dans la sphère familiale.

La présidente de la cour criminelle du Morbihan, Aude Burési, l'a questionnée sans relâche, avant de passer le relais à l'avocat général, Stéphane Kellenberger, puis aux avocats des parties civiles. Ces dernières occupaient une grande partie de l'amphithéâtre qui leur est dédié pour suivre l'audience en retransmission. Leur sidération était visible, sous le choc des propos de cette ancienne aide-soignante de 71 ans

L'ex-épouse, retrouvant peu à peu sa voix, a d'abord redit qu'elle avait "beaucoup beaucoup" aimé son mari, qui était à ses yeux "quelqu'un d'extraordinaire", avec qui leurs trois fils n'ont "manqué de rien", a-t-elle souligné, assise sur un fauteuil à sa demande, au pied du pupitre. Et à quelques mètres de l'accusé, à qui elle continue de rendre régulièrement visite en détention. Selon elle, "les journalistes racontent n'importe quoi" lorsqu'ils relaient leur fastueux train de vie : il n'y avait pas "de vacances luxueuses, pas de voiture luxueuse", même si elle se souvient qu'une des demeures familiales comportait cinq salles de bain. 

L'interrogatoire progresse, Aude Burési arrive peu à peu aux faits : Marie-France répond parfois à côté, souvent sur la défensive, quand elle n'est pas dans la victimisation. "Est-ce que c'est mon procès ?", s'indigne-t-elle à plusieurs reprises. 

"Vous pensez qu'à 5 ans, votre nièce a manipulé votre mari ?"

Et puis, l'ambiance, déjà tendue, se fige complètement lorsque la présidente aborde le cas d'une des nièces de Joël Le Scouarnec, qui fait partie de ses victimes. Cette dernière "demandait toujours à venir à la maison : ça m'embêtait parce que j'avais assez de mes trois", se souvient Marie-France. Elle ajoute : "Jusqu'à l'âge adulte, elle était tout le temps au cou de mon mari" en répétant "oh mon tonton chéri". ​​La présidente s'étrangle : "Vous pensez qu'à 5 ans, votre nièce a manipulé votre mari ?" "Allez savoir... Vous savez, elle est tortueuse cette petite fille. Elle m'a fait des coups pendables. Elle aime capter l'attention", ose Marie-France.

Une rumeur émane de l'amphithéâtre, certaines parties civiles lèvent les bras au ciel. Joël Le Scouarnec se replie sur lui-même, semble vouloir s'enfoncer dans le sol. La témoin ne se démonte pas et poursuit, en affirmant que son fils cadet, qui a été violé par son grand-père paternel, le père de l'ex-chirurgien, lui aurait déclaré : "Tu sais maman, il y a des enfants qui sont attouchés qui aiment bien ça." 

"Vous pensez que les enfants abusés prennent du plaisir au cours de ces actes imposés par des adultes ?", interroge la présidente, décontenancée. "Je ne sais pas", répond Marie-France vivement. Elle s'étonne de l'agacement général suscité par ses propos : "Quand on est témoin, il nous faudrait un avocat tiens ! On me rend responsable de tout !", s'insurge-t-elle. Face au malaise général, l'avocat général se sent obligé de rappeler qu'"une infraction sur un mineur est constitutive d'infraction pénale".

Dénégations en série 

Dans cette ambiance électrique, la présidente poursuit, arrivant peu à peu au cœur du dossier avec, toujours, une question centrale : que savait Marie-France ? La magistrate projette un extrait des journaux intimes de Joël Le Scouarnec, daté de 1996, où il écrit : "Un cataclysme est venu s'abattre sur moi et sur mon attirance pour les petites filles et les petits garçons. Elle sait que je suis pédophile". Qui est ce "elle" qui semble directement la désigner ? "Sa conscience, peut-être...", avance timidement l'intéressée. Elle assure par ailleurs n'avoir jamais vu la moindre poupée chez elle, tandis que l'ex-chirurgien raconte dans cet extrait que cette mystérieuse "elle" lui aurait demandé de se débarrasser de toutes celles qu'il possédait.

Autre élément saillant du dossier : Sylvie, la sœur de Marie-France, a relaté aux enquêteurs une discussion entre elles, toujours en 1996, alors que le mariage des époux Le Scouarnec s'effiloche. "Est-ce qu'il n'a pas une attirance pour les petites filles ?" lui aurait demandé Sylvie. Celle-ci lui révèle alors avoir vu, quelques années auparavant, son beau-frère embrasser "le haut des fesses" de sa propre fille. "Beaucoup d'hommes aiment les petites filles", aurait balayé Marie-France. Là encore, face à la cour, elle réfute totalement, prenant un malin plaisir à rebaptiser ladite sœur "la pintade" tout au long de sa déposition. 

Quant à la perquisition de 2004 au domicile familial, après un signalement du FBI pour consultation et téléchargement de contenus pédopornographiques, elle assure que son mari lui aurait dit que c'était "une erreur", contredisant ses propos tenus lors de la procédure. "Il a reconnu devant moi qu'il était allé par curiosité visiter un site pédophile mais qu'il n'y avait rien de grave", avait-elle déclaré à l'époque. 

Arrive la lecture du fameux courrier daté de 2010, dans lequel elle implore une amie de la famille de "bien vouloir préserver [son] fils, le seul à ne pas connaître le passé de son père". Elle ajoute : "Je me dois de le protéger, car c'est le genre de vérité bien difficile à gérer pour un jeune homme déjà torturé." "Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit ça. J'ai une défaillance là, je ne sais pas", articule-t-elle ce mercredi sur son siège. 

"Vous devriez être aux côtés de votre ex-mari dans le box"

Face à ce déni, la présidente tente l'électrochoc des images. Elle projette les photographies incestueuses de deux nièces de Joël Le Scouarnec, retrouvées sur son disque dur. "Madame, la réalité, c'est une chose à laquelle vous devez faire face", tranche la magistrate. Marie-France refuse de regarder. "Je dois me préserver !", lance-t-elle. 

Quelques instants après, Aude Burési diffuse un photomontage pédopornographique de son fils cadet. Cette fois, la septuagénaire lève la tête et regarde l'écran. "Mon dieu, mon dieu !", s'exclame-t-elle, visiblement sous le choc. "Vous pensez qu'il a pu agresser vos enfants ?", l'interroge la présidente. "Je n'espère pas…", souffle Marie-France, la voix éraillée. 

"Vous savez que vous avez beaucoup de chance ?", l'interroge une avocate des parties civiles en fin d'audience, faisant part de "l'indignation" des victimes qui l'écoutent. "Vous devriez être aux côtés de votre ex-mari dans le box des accusés : vous saviez, c'est notre conviction, les faits qu'il commettait depuis 1996 et vous n'avez jamais rien fait, probablement par convenance personnelle et matérielle", achève l'avocate. 

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.