Procès de Cédric Jubillar : comment la "maison de Bidochon" du couple est devenue un élément central de l'enquête

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Ce pavillon a été construit, sans jamais être achevé, par Cédric Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn). (PAULINE LE NOURS / AFP / MAXPPP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)
Ce pavillon a été construit, sans jamais être achevé, par Cédric Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn). (PAULINE LE NOURS / AFP / MAXPPP / GETTY IMAGES / FRANCEINFO)

Ce pavillon de briques rouges, inachevé, à Cagnac-les-Mines, apparaît comme l'un des mobiles du meurtre dont est accusé le peintre-plaquiste. Et comme possible lieu du crime.

A chaque affaire criminelle son lieu emblématique. Dans celle de la disparition de Delphine Aussaguel-Jubillar, c'est la maison du couple, à Cagnac-les-Mines, dans le Tarn. Une grande photo de l'infirmière de 37 ans, qui n'a plus donné signe de vie depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020, trône toujours devant le pavillon de briques rouges. Son mari, Cédric, est jugé devant la cour d'assises à Albi, à partir du lundi 22 septembre, pour meurtre par conjoint. Les juges d'instruction ont la conviction que le peintre-plaquiste de 38 ans, qui clame son innocence, a tué sa femme, même si le corps n'a jamais été retrouvé.

Si cette bâtisse, désormais lieu de "pèlerinage" pour les proches et les curieux, est rapidement devenue un élément central du dossier, c'est d'abord parce qu'elle matérialise l'échec d'un mariage. Cédric Jubillar a acheté le terrain en 2012, dans cette petite commune de 2 600 habitants, pour un montant de 46 000 euros, rappellent les magistrats dans leur ordonnance de mise en accusation, consultée par franceinfo. 

La maison du couple Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn), le 27 décembre 2020. (MARIE PIERRE VOLLE  / MAXPPP)
La maison du couple Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn), le 27 décembre 2020. (MARIE PIERRE VOLLE / MAXPPP)

A l'époque, le jeune couple projette de se marier et d'avoir des enfants. Les noces sont célébrées le 22 juin 2013 et Delphine donne naissance à un petit garçon, un an plus tard. Cédric, ouvrier dans le bâtiment, veut se charger des travaux et se lance dans la construction du logis. Mais au moment de la disparition de son épouse, sept ans plus tard, le pavillon n'est pas terminé. Aucun crépi ne recouvre la façade, des blocs de parpaings gisent un peu partout, le jardin a des allures de déchetterie.

Cette maison en chantier, au 19 rue Yves-Montand, détonne dans le coquet lotissement. Delphine Aussaguel-Jubillar en souffre, selon ses proches. "'Elle voulait que la maison soit terminée. 'Ma chérie, ce sera notre cocon douillet', lui disait Cédric. Mais la maison n'était jamais terminée", témoigne Lolita, cousine de la disparue, auprès de France Télévisions. 

"Je n'en peux plus de cette vie"

Le rêve avorté se mue en cauchemar. A partir de l'année 2020, le couple, qui vient d'avoir un second enfant, une petite fille, bat de l'aile. Au mois d'août, Delphine Aussaguel-Jubillar annonce son souhait de divorcer. Plusieurs éléments ont précipité sa décision, comme le relèvent les juges : l'échec de son mari à décrocher un CDI, et l'inertie de cet homme qui fume une dizaine de joints par jour, à réparer la voiture et à achever les travaux dans la maison. "Maison de Bidochon", "voiture de Bidochon", "vie de Bidochon", "je n'en peux plus de cette vie de Bidochon", lui écrit-elle dans une série de SMS. Sa rencontre avec un autre homme l'encourage à franchir le pas et à envisager une vie ailleurs. 

Ce contexte de séparation fait partie des éléments à charge retenus par l'accusation contre Cédric Jubillar. Plusieurs éléments recueillis pendant l'enquête démontrent qu'il n'accepte pas le départ de Delphine. Et qu'il se montre très préoccupé par le devenir de cette maison, dont il peine à payer la taxe foncière, le reste des charges étant prélevées sur le compte de l'infirmière. Selon sa propre mère, Cédric Jubillar devient "obsessionnel". Comment va-t-il racheter la part de sa femme si elle s'en va ?

"Arrête-toi !"

Début décembre, Delphine lui signifie qu'elle va partir, et vite. Son amant lui conseille de ne pas attendre la fin hypothétique des travaux de la maison, que Cédric a promis d'accélérer. Elle entreprend de multiples démarches : recherche d'un appartement, achat d'une voiture, déblocage d'une assurance-vie. Une conseillère Generali, venue au domicile du couple pour la rencontrer, souligne auprès des enquêteurs l'état de délabrement de ce pavillon aussi peu entretenu à l'extérieur qu'à l'intérieurAcculé par l'imminence du départ de son épouse, Cédric Jubillar propose à ses parents de leur louer la maison, pour éviter d'avoir à la vendre. Sa mère refuse.

Pour l'accusation, la perte possible de ce bien, corollaire du divorce, constitue un des mobiles du passage à l'acte criminel. Selon les magistrats, cette maison est aussi le lieu du meurtre. La thèse d'un départ volontaire, en pleine nuit et en plein couvre-feu sanitaire, de cette mère de deux enfants, sans papiers ni clés, a été rapidement écartée. C'est donc d'abord dans et autour du pavillon que les recherches se sont concentrées, avec plusieurs perquisitions.

Un scellé sur la porte de la maison du couple Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn), le 5 janvier 2021. (MARIE PIERRE VOLLE  / MAXPPP)
Un scellé sur la porte de la maison du couple Jubillar à Cagnac-les-Mines (Tarn), le 5 janvier 2021. (MARIE PIERRE VOLLE / MAXPPP)

Le passage de la propriété au Bluestar (un détecteur de sang humain invisible à l'œil nu) n'a pas permis de retrouver des traces significatives. Mais pour l'accusation, cela ne disculpe en rien le mari, car la mort peut avoir été causée par un étranglement ou un coup. Le petit garçon du couple, 5 ans à l'époque, affirme avoir vu ses parents se disputer dans la soirée du 15 décembre. Depuis l'entrebâillement de la porte, il dit les avoir vus s'empoigner entre le canapé et le sapin de Noël. "Alors puisque c'est comme ça, on va se séparer", a lancé, selon lui, son père. L'enfant affirme avoir entendu sa mère dire : "Arrête-toi !"

Des cris et des râles entendus autour de 23 heures

Les lunettes de Delphine Aussaguel-Jubillar ont été retrouvées en morceaux sur l'îlot de la cuisine, ainsi qu'une branche derrière le canapé. L'altercation rapportée s'est-elle poursuivie à l'extérieur ? Deux voisines assurent avoir entendu depuis leur terrasse les cris et les râles d'une femme, ainsi que les aboiements des deux chiens des Jubillar, aux alentours de 23 heures. Autant d'éléments qui confortent les juges dans le fait que le sort de cette infirmière a été scellé chez elle. Son téléphone portable, qui n'a jamais été retrouvé, a d'ailleurs borné dans le secteur jusqu'à son extinction, à 7h48.

Un nouveau témoignage est venu renforcer cette thèse peu de temps avant le procès. Une petite amie de Cédric Jubillar, rencontrée au parloir de la prison de Toulouse-Seysses, affirme qu'il lui a avoué avoir "étranglé" sa femme "chez eux, sur le canapé". Cette femme a été jugée suffisamment crédible pour être entendue à la barre. Un ancien codétenu et une ex-compagne qui affirment, eux aussi, avoir reçu des confidences sur les faits de la part du quadragénaire, seront également cités comme témoins lors du procès.

A chaque fois, Cédric Jubillar a contesté, par le biais de ses avocats, s'être livré au moindre aveu. L'accusé, qui clame son innocence, "aurait fini de la retaper [la maison] pour la revendre et que chacun puisse rentrer dans ses billes", insiste par ailleurs l'un de ses conseils, Alexandre Martin, auprès de l'AFP. Il argue que cette maison ne peut pas être "le moteur du crime qu'on lui impute". A partir de lundi, son client pourra s'expliquer directement devant les jurés. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.