Mort du petit Emile : comment les experts ont-ils mis les enquêteurs sur la piste de l'intervention d'un tiers ?
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Un an après la découverte des ossements du garçon, disparu en juillet 2023 dans le hameau du Haut-Vernet, le procureur de la République a révélé de nouveaux éléments sur l'enquête. Des progrès permis grâce à une "soixantaine" d'expertises.
Un sérieux coup porté à la thèse de l'accident. La mort du petit Emile, dont la disparition avait bouleversé le pays à l'été 2023, a probablement été causée par "l'intervention d'un tiers", a déclaré le procureur de la République d'Aix-en-Provence, Jean-Luc Blachon, lors d'une conférence de presse jeudi 27 mars. Pour en arriver à ces conclusions, les magistrats instructeurs ont ordonné "plus de soixante expertises" depuis la découverte des ossements du garçon, il y a près d'un an jour pour jour. Un faisceau de métiers est ainsi intervenu dans ce dossier pour tenter de comprendre comment l'enfant a pu perdre la vie dans le hameau du Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence).
Dans cette affaire, comme dans la plupart des dossiers de ce calibre, les analyses ont été réalisées au sein de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), qui dispose d'experts de pointe. Mais pas uniquement : le laboratoire d'hématologie médico-légale de Bordeaux, une structure privée spécialisée dans la recherche ADN dirigée par le professeur Christian Doutremepuich, a procédé à des expertises de scellés. Impossible cependant de savoir ce que ces analyses, "couvertes par le secret de l'instruction", ont pu apporter à l'enquête. Contactée, la gendarmerie ne souhaite pas non plus communiquer sur l'affaire.
En quête de lésions sur le squelette
Dans ce type de dossier, l'urgence est de coordonner les différentes expertises à réaliser. "Lorsque des ossements et des vêtements sont donnés à l'IRCGN, tous les experts se réunissent, chacun endosse alors un rôle de conseiller forensique [expert sollicité pour donner au juge un avis sur des points techniques précis]", explique Sébastien Aguilar, policier scientifique et porte-parole du Syndicat indépendant des agents du ministère de l'Intérieur. "Pour qu'une analyse ne vienne pas dégrader celle de son collègue, il faut absolument prioriser !" explique le coauteur du livre Au cœur de l'enquête criminelle.
Pour découvrir la présence de "stigmates anatomiques évocateurs d'un traumatisme facial violent" sur le crâne du petit garçon, les enquêteurs ont ainsi fait appel à l'anthropologie, qui correspond dans le monde médico-légal à l'étude du squelette. "L'objectif est de rassembler tous les os qu'on aurait retrouvés pour reconstituer le squelette complet et d'étudier chacun d'entre eux à la recherche d'une lésion ante mortem ou post portem", déroule Sébastien Aguilar.
"Dans le cas d'Emile, si vous avez la présence d'une fracture, il faut être prudent et émettre deux hypothèses : l'intervention d'une tierce de personnes avec un coup ou une chute accidentelle du petit garçon qui aurait conduit à ce qu'il se blesse la tête."
Sébastien Aguilar, policier scientifiqueà franceinfo
C'est ensuite au tour du médecin légiste de rentrer en piste pour définir, avec l'anthropologue, si la blessure a ou non causé la mort.
Les insectes au cœur des investigations
Pour en savoir davantage sur la dépouille du petit garçon, les enquêteurs se sont également penchés sur l'environnement dans lequel ses ossements ont été découverts en mars 2023, à 1,7 km du hameau du Haut-Vernet. Lors de sa conférence de presse, le procureur de la République a ainsi mentionné le recours à "l'écologie médico-légale". Un terme un peu vague qui regroupe les techniques permettant de comprendre de manière globale dans quelles conditions le corps s'est dégradé. Cela passe par l'étude du climat, du type de végétation, de la présence ou non d'animaux, dont des charognards, mais aussi des pollens ou toutes autres traces végétales. A l'IRCGN, un département entier lui est dédié : le département de la faune et flore forensiques. Des expertises qui, dans cette affaire, ont pu participer à conclure "que le corps n'est pas demeuré au même endroit et dans le même biotope au cours du processus de décomposition et qu'il n'a pas été enfoui", selon les explications du procureur de la République.
L'étude des conditions environnementales de dégradation du corps comprend aussi l'entomologie médico-légale, qui analyse les insectes évoluant sur et autour des cadavres. Une science qui a notamment pu se révéler utile pour considérer que "les vêtements et les ossements retrouvés ont été transportés et déposés peu de temps avant leur découverte", comme l'a annoncé le procureur, ou encore que "le corps de l'enfant ne s'est pas décomposé dans les vêtements retrouvés dans la forêt". L'entomologiste Damien Charabidze, spécialiste des insectes nécrophages, appelle cependant à la prudence : "Il faut considérer que les découvertes dans l'affaire Emile sont le résultat d'un faisceau d'indices, et que l'entomologie seule n'a pas pu apporter une réponse définitive sur ces éléments", tient-il à rappeler.
"Il est cependant possible de formuler des hypothèses de déplacement du corps dans certains cas très particuliers, principalement en cas d'absence, sur le site de découverte du corps, de traces d'insectes nécrophages."
Damien Charabidze, entomologisteà franceinfo
Comment une telle théorie peut-elle être formulée ? "Quand il n'y a que les ossements [comme dans le cas d'Emile], il n'y a pas d'insecte nécrophage, mais il reste des traces de leur développement, notamment des pupes, c'est-à-dire le cocon vide où les asticots se sont transformés en mouches", poursuit le scientifique. Ces mues subsistent même quand l'insecte est parti. "Si l'on n'en retrouve pas malgré des recherches minutieuses, c'est soit que le site a été nettoyé par les conditions climatiques, soit que le corps a été déplacé", résume le docteur en biologie.
Une autopsie psychologique à réaliser
Plus étonnant, parmi la liste des expertises réalisées dans ce dossier et dévoilées par le procureur figure la pédopsychiatrie. Un domaine que connaît parfaitement Jean-Louis Goëb. Ce pédopsychiatre, expert agrée par la Cour de cassation, intervient régulièrement, au civil comme au pénal, pour apporter ses connaissances au juge. "La psychiatrie joue un rôle primordial dans les affaires de meurtre. Ma responsabilité peut consister à dire si l'auteur des faits est pénalement responsable, de décider si cette personne est douée de discernement", remarque-t-il.
Concernant une affaire de disparition d'enfant, le recours à la pédopsychiatrie peut être utile pour "récolter des éléments sur l'enfant, auprès de son entourage, de la crèche, de la nounou... Tout ce qui peut permettre de savoir s'il était hyperactif, autiste, si son comportement était particulièrement notable", avance le professionnel. Dans le cas d'Emile, "en creusant la question des troubles de l'attachement du petit garçon, on peut par exemple se demander s'il avait un cadre suffisant pour quitter seul le domicile [des grands-parents maternels] ou s'il n'était pas en mesure de franchir le seuil de la porte", spécule encore Jean-Louis Goëb. "Le but, pour le pédopsychiatre, est alors de réaliser une autopsie psychologique a posteriori."
Après près de vingt mois d'enquête, ce travail minutieux n'est pas terminé. Alors que les gardes à vue des membres de la famille du petit garçon ont été levées jeudi, les investigations, elles, devraient se poursuivre dans les semaines à venir. Les recherches continuent avec une "cellule nationale d'enquête" composée d'une quinzaine de personnes, a précisé jeudi le colonel Christophe Berthelin, commandant de la section de recherche de Marseille. "Nous traitons 55 millions de données de communication actuellement. Nous avons 20 téraoctets qui sont toujours en cours d'analyse", a-t-il illustré. Et le procureur de la République d'affirmer : "Les juges d'instruction restent déterminés à éclairer les circonstances de la disparition et de la mort d'Emile Soleil."
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