De l'empire romain à un procès pour recel, on vous raconte la folle histoire du trésor englouti du golfe corse de Lava
Deux hommes sont jugés pour "recel de vol" et "détention illégale de trésor national", trente-huit ans après la découverte d’un plat et de pièces en or du IIIe siècle dans les eaux corses.
A qui appartient le trésor de Lava ? Cette épineuse question va devoir être tranchée par la justice, lundi 29 et mardi 30 janvier. Deux hommes comparaissent devant le tribunal correctionnel de Marseille pour "recel de vol" et "détention illégale de trésor national". Un énième rebondissement dans cette affaire digne d'un épisode d'Indiana Jones, qui demande de se plonger dans une histoire vieille de dix-sept siècles.
C'est lors d'une pêche à l'oursin, à l'automne 1985, que l'œil d'un plongeur, Marc Cotoni, est attiré par une lueur dans le golfe de Lava, au nord d'Ajaccio. Des pièces d'or gisent dans une eau peu profonde, le long de parois rocheuses. Revenu à terre, il montre sa petite récolte à deux amis, les frères jumeaux Ange et Félix Biancamaria. Le trio repart à la pêche et remonte cette fois avec un butin plus conséquent de pièces frappées à l'effigie d'au moins quatre empereurs romains du IIIe siècle après J.-C. : Gallien, Claude II, dit le Gothique, Quintillus et Aurélien. "C'était comme le Petit Poucet, on en a trouvé tout le long. (...) Une vraie caverne d'Ali Baba", raconte Ange Biancamaria, aujourd'hui âgé de 67 ans, à France 3 Corse ViaStella.
Une fortune soudaine qui attire l'attention
En réalité, ils ne sont pas les premiers découvreurs de ce trésor. Au milieu du XIXe siècle, un pêcheur de corail avait remonté des pièces similaires du même endroit, rappelle l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Félix Biancamaria et Jean-Michel Richaud, un quatrième larron qui interviendra plus tard dans le dossier. En 1958 puis en 1980, deux articles publiés dans une revue de numismatique, l'étude de l'histoire des monnaies, font état de l'existence de ce "trésor trouvé en Méditerranée", qui y serait englouti depuis le naufrage, au large de la Corse, d'un navire romain qui se rendait en Afrique du Nord, autour des années 270.
L'information était restée confidentielle, jusqu'à ce que le petit manège des plongeurs soit repéré. Pendant plusieurs semaines, ils vont et viennent dans le golfe de Lava, gagnés par la fièvre de l'or. Et les pièces commencent à être écoulées sur le marché des collectionneurs.
"C'était magique. A l'époque, on était jeunes... Je repars avec 250 000 euros pour quelques pièces."
Félix Biancamariaà France 3 Corse ViaStella
Les jumeaux flambent, et l'origine de leur fortune n'est plus un secret sur l'île. Des envieux vont se servir à leur tour dans la crique. En mai 1986, la gendarmerie reçoit une lettre anonyme dénonçant des activités suspectes et des transports d'objets, la nuit, dans ce secteur de la côte ouest de la Corse. Une enquête est ouverte. En novembre de la même année, un projet de vente aux enchères de pièces d'or à Monaco attire l'attention, et l'affaire est révélée au grand jour. "Découvert par des pilleurs d'épaves, l'or de Lava aux enchères de Monaco", titre le journal Le Provençal. Un juge d'instruction est saisi et, huit ans plus tard, les frères Biancamaria et d'autres prévenus sont jugés pour "détournement d'épave maritime". Ils sont condamnés en appel, en 1995, à 18 mois de prison avec sursis et 100 000 francs (15 000 euros) d'amende.
Un plat en or, objet de toutes les convoitises
Les investigations de l'époque n'ont permis de retrouver que 78 pièces, alors que les spécialistes estiment que la totalité du trésor en comporte entre 1 200 et 1 400. La plupart ont été vendues et dispersées à l'étranger, en Europe et aux Etats-Unis, pour des montants allant de 15 000 à 300 000 euros l'unité. Mais une trouvaille plus volumineuse est passée sous les radars des enquêteurs : un plat en or avec un médaillon incrusté en son centre, datant de l'époque de l'empereur Gallien, qui a régné de 253 à 268. Un donativum, nom latin de récompenses accordées à des militaires sous l'empire romain, dont on estime la valeur entre 1 et 2 millions d'euros.
Félix Biancamaria, qui dit avoir trouvé l'objet antique, vend lui-même la mèche dans son livre publié en 2004, Le Trésor de Lava (Albin Michel). Mais il faut attendre 2010 pour que le plat soit saisi. La justice, alertée sur une reprise du trafic autour de l'antique magot, met sur écoute les frères Biancamaria. Félix est arrêté à la gare de Roissy, en provenance de Belgique, où il a récupéré le plat confié à un intermédiaire, avec l'intention, selon l'accusation, de lui trouver un acquéreur. Depuis sa découverte, l'objet était passé de mains en mains, dont celles de Jean-Michel Richaud. Il comparaît lui aussi au procès qui s'ouvre lundi, qui porte uniquement sur la détention et le recel de ce plat.
Mais si l'objet a refait surface, le médaillon qui se trouvait en son centre reste introuvable, au grand désarroi de l'archéologue Michel L'Hour. "Il a dû être desserti pour être vendu séparément", observe auprès de franceinfo l'ancien directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) du ministère de la Culture, aujourd'hui retraité. Selon ce spécialiste, la pièce centrale, à l'effigie de Gallien, atteste que le plat a été fabriqué en 262 pour célébrer les dix ans de règne de l'empereur.
"Des plats en or du IIIe siècle, il n'y en a pas d'autres. Mon chagrin, c'est que cette pièce ne soit plus dans le plat. C'est ce qui en fait un objet unique au monde."
Michel L'Hour, archéologue et ex-directeur de la Drassmà franceinfo
Selon l'archéologue, une statuette en or aurait également disparu du trésor, débitée en cinq morceaux pour être fondue et vendue. "C'est comme le père Noël, on ne l'a jamais vue", ironise la défense de Félix Biancamaria, qui conteste l'existence de cet objet. Lors d'une conférence de presse, à une semaine de l'audience, ses avocates ont dénoncé une "manipulation de la législation pour pouvoir s'approprier le trésor". Selon Amale Kenbib et Anna-Maria Sollacaro, leur client ne peut être poursuivi pour détention et recel de "biens culturels maritimes", cette notion ayant été introduite dans le droit en 1989, quatre ans après la découverte du trésor. Partant du principe que des faits ne peuvent être jugés au regard d'une loi ultérieure, elles comptent plaider la relaxe de leur client et la restitution de "son plat".
Aucune épave jamais retrouvée (ni recherchée)
Autre argument soulevé par la défense : l'absence de preuves étayant la présence d'une épave dans le golfe de Lava. "Rien n'a été retrouvé, pas une ancre, pas une trace scientifique", relève Anna-Maria Sollacaro. L'avocate suggère une autre origine du trésor, terrestre cette fois-ci, tirant l'hypothèse d'une vieille légende locale : les pièces d'or auraient été découvertes "à la fin du XIXe siècle" par "des ouvriers italiens" dans "les jarres" d'une villa d'un riche propriétaire dans le secteur de la punta Pozzo di Borgo, un petit sommet qui surplombe le golfe de Lava. Certaines, cachées par leurs découvreurs, auraient fini dans les eaux à la faveur d'un "éboulement".
"Il est bien plus probable que ce trésor émane de l'occupation romaine, qu'il ait été enterré puis dispatché dans différents endroits."
Anna-Maria Sollacaro, avocate de Félix Biancamarialors d'une conférence de presse
Quelle différence pour leur client ? Quand un trésor est trouvé sur la terre ferme, l'inventeur (celui qui le découvre) a droit à 50% de sa valeur, le reste allant au propriétaire du terrain. Mais s'il est découvert en mer, il appartient intégralement à l'État, propriétaire des sols marins. Seule une déclaration de la trouvaille peut donner droit à une compensation.
"Ce qui fait la nature d'un bien culturel maritime, c'est le lieu de la découverte", pointe cependant Michel L'Hour, par ailleurs sceptique sur le fait que 1 400 pièces d'or aient pu se retrouver dans l'eau du golfe de Lava sans provenir de la mer. L'archéologue privilégie toujours la thèse d'un trésor caché "à flanc de rochers" après le naufrage d'un navire, et immergé au fil du temps avec le "rehaussement du niveau de la Méditerranée". Quant à l'épave, il n'exclut pas qu'elle soit découverte un jour : "On n'a pas cherché méthodiquement. A cet endroit, c'est pire que l'aiguille dans la botte de foin". Ce passionné fustige le "préjudice moral énorme" que représente l'éparpillement de ces "biens culturels de l'humanité" aux quatre coins du monde. "Nous sommes tous spoliés dans cette affaire", estime l'archéologue.
Dans ce second volet judiciaire, qui a mis treize ans à atterrir devant un tribunal, Félix Biancamaria et Jean-Michel Richaud encourent cinq ans de prison. Les deux hommes espèrent une relaxe. Et même, comme Félix Biancamaria le confiait à France 3, un "dédommagement de l'Etat".
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