Contrôles au faciès : une sénatrice PS dépose une proposition de loi pour instaurer un récépissé et "rétablir l'image du policier auprès de la population"

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un agent de police procède à une fouille par palpation après un contrôle des papiers d'identité d'un jeune homme étranger à la gare routière de Valence (Drôme), le 19 mars 2025. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)
Un agent de police procède à une fouille par palpation après un contrôle des papiers d'identité d'un jeune homme étranger à la gare routière de Valence (Drôme), le 19 mars 2025. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Corinne Narassiguin défend l'idée, plusieurs fois évoquée, des récépissés de contrôle d'identité. La sénatrice de Seine-Saint-Denis sait que son initiative a peu de chances d'aboutir, mais elle souhaite interroger la dégradation des relations entre les forces de l'ordre et les citoyens.

"On ne peut pas avoir une police dont le citoyen lambda a peur." La sénatrice PS Corinne Narassiguin alerte sur la dégradation ces dernières années des conditions d'exercice du métier de policier sur le terrain. L'élue de Seine-Saint-Denis a déposé en octobre une proposition de loi "tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population", qui doit être examinée par le Sénat jeudi 15 mai. Il s'agit principalement de remettre sur la table l'idée d'un "dispositif d’enregistrement et de traçabilité des contrôles d’identité", autrement dit le retour du débat sur le récépissé.

"Le fait d'avoir à justifier du motif du contrôle permet de mettre en place un cercle vertueux et d'éviter des contrôles abusifs", argumente devant les journalistes la sénatrice francilienne. La socialiste a mûri sa proposition lors de la mission d'information sur les émeutes survenues en juin 2023 après la mort du jeune Nahel, tué par le tir d'un policier après un refus d'obtempérer. "L'importance du niveau de violence directement dirigée contre les policiers (...) a montré le niveau de dégradation de la relation entre la police et la population", explique la sénatrice.

"La peur du contrôle d'identité est devenue le symbole de tous les dysfonctionnements entre la police et certains jeunes hommes qui ont l'air étrangers."

Corinne Narassiguin

lors d'une rencontre avec les journalistes

La mesure permettra, selon la sénatrice, d'établir une traçabilité des contrôles afin d'obtenir des données et mesurer ainsi leur efficacité. "Le récépissé, c'est important pour rétablir l'image du policier auprès de la population", estime-t-elle.

Elle souhaite également changer le Code de procédure pénale pour, notamment, obliger les policiers à motiver leurs contrôles et pour limiter les contrôles administratifs aux manifestations ou rassemblements exposés "à un risque d’atteinte grave à l’ordre public". Elle réclame par ailleurs dans son texte que les contrôles d’identité soient "systématiquement" enregistrés par les caméras mobiles, avant même le début du contrôle. "Cela permettrait de protéger aussi les policiers quand les contrôles se passent mal", explique-t-elle.

Des discriminations documentées

Corinne Narassiguin "ne se fait pas beaucoup d'illusions" quant aux maigres chances d'obtenir un vote favorable de la chambre haute sur ce texte, mais elle souhaite rouvrir le débat sur cette question des contrôles d'identité. La sénatrice s'appuie sur une série de chiffres et de rapports démontrant la réalité des discriminations en France lors des contrôles de police, comme cette enquête du Défenseur des droits datée de 2017 rapportant que "les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle".

"Cette population spécifique témoigne également de relations plus dégradées avec les forces de l’ordre."

Le Défenseur des droits

dans un rapport de 2017

Dans cette enquête, cette jeunesse rapporte avoir été davantage "tutoyée" (40% contre 16% de l’ensemble), "insultée" (21% contre 7% de l’ensemble) ou "brutalisée" (20% contre 8% de l’ensemble) lors du dernier contrôle. La sénatrice évoque aussi un rapport de la Cour des comptes publié en 2023, chiffrant à "47 millions" le nombre de contrôles d'identité "réalisés chaque année par la police et la gendarmerie", dont 15 millions de contrôles routiers et 32 millions réalisés sur la voie publique. "A effectif constant, il est possible de mieux utiliser le temps des policiers", argumente Corinne Narassiguin. 

"Ne pas alourdir les contraintes procédurales"

La socialiste évoque enfin une décision du Conseil d'Etat d'octobre 2023 reconnaissant "l'existence de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires qui ne peuvent être regardées comme se réduisant à des cas isolés" et une autre demandant au ministère de l'Intérieur "de prendre des mesures pour faire appliquer l'obligation d'identification des forces de l'ordre". Contacté, le ministère de l'Intérieur rappelle qu'il a décidé de se conformer à cette décision, en augmentant notamment "la taille de l'identification individuelle" et en choisissant une inscription de couleur blanche sur un fond noir. "Un avenant au marché d'habillement des forces de sécurité intérieure est en train d'être passé et celles-ci seront équipées progressivement du nouvel identifiant d'ici un an", assure la place Beauvau.

Sur le récépissé, le ministère explique ne pas vouloir "alourdir les contraintes procédurales déjà très lourdes qui pèsent sur les forces de l'ordre". Selon la place Beauvau, "le récépissé nécessiterait la création d'un fichier des contrôles d'identité, seul outil permettant la traçabilité, l'évaluation de l'efficacité, la vérification des allégations de discrimination, la justification de la légalité des contrôles souhaités par les détracteurs de cette mesure de police". Et le ministère estime que cet outil ne permettrait pas "de faire apparaître le caractère discriminatoire du contrôle".

"Une trop grande résistance de la hiérarchie policière"

L'idée du récépissé n'est pas neuve. Ces dernières années, différentes initiatives de parlementaires de Seine-Saint-Denis ont déjà échoué, comme celle du député LFI Eric Coquerel en 2017 ou celle de l'UDI Jean-Christophe Lagarde en 2023. Lors de l'élection présidentielle de 2012, François Hollande en avait même fait un engagement de campagne, rapidement mis de côté dès son arrivée au pouvoir, officiellement pour des raisons de complexité dans la mise en place du dispositif. "Les difficultés techniques étaient un prétexte, assure aujourd'hui la sénatrice socialiste. Il s'agit d'un abandon politique en rase campagne, sans doute à cause d'une trop grande résistance de la hiérarchie policière et des policiers eux-mêmes."

L'élue de Seine-Saint-Denis a tenté de rencontrer des syndicats de policiers pour construire sa proposition de loi, mais n'est parvenue qu'à obtenir des échanges informels. "Il y a beaucoup de discussions parmi les policiers sur leurs conditions de travail, sur les missions qu'on leur donne. Ils savent aussi que certains se comportent mal et peuvent se montrer brutaux", assure-t-elle.

Mais sur le terrain, les policiers ne sont pas convaincus par l'idée du récépissé. "Faire des contrôles, ça ne nous fait pas forcément plaisir. Si on les contrôle, c'est parce qu'il y a un sentiment d'insécurité pour les gens", explique à franceinfo une fonctionnaire de police exerçant à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ville marquée par les émeutes de 2005. Pour autant, cette dernière partage le constat. En vingt ans, elle a vu un changement radical de la relation entre la police et les habitants. "A l'époque, on pouvait discuter sans souci, sans arrière-pensée, sans agressivité. Après, la police a changé. On est beaucoup plus dans la répression, car la délinquance a également changé."

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