Filmer les interventions des forces de l'ordre : pourquoi l'idée se défend
Le policier qui a violemment frappé un adolescent près d'un lycée parisien, en mars 2016, devait être jugé en appel vendredi. Le procès a été finalement renvoyé. Une vidéo de l'altercation a été l'un des éléments permettant de faire éclater la vérité.
Rendez-vous le 24 novembre. Le policier qui a violemment frappé un lycéen parisien, en mars 2016, devait être jugé en appel, vendredi 16 juin, mais son procès a été renvoyé.
Cette affaire n'aurait pu voir le jour sans les documents vidéo qui ont permis de montrer les événements survenus ce matin-là, dans le 19e arrondissement de Paris, en pleine mobilisation contre la loi Travail.
Avec le développement des smartphones et des réseaux sociaux, il est devenu courant de filmer les policiers lors de manifestations ou d'interventions. Franceinfo explique pourquoi filmer ces situations est une idée ardemment défendue par des associations, mais aussi par des policiers.
Parce que cela peut prévenir d'éventuels débordements
Dans les faits, la loi n'interdit pas de filmer les policiers, sauf ceux de certains services comme le GIGN, le Raid, le GIPN, la BRI ou le service de sécurité du président de la République, détaille l’arrêté du 27 juin 2008.
"Filme un flic, sauve une vie", écrit le site Paris-luttes.info, qui se présente comme "un site d’infos anticapitaliste, anti-autoritaire et révolutionnaire". "Filmer la police c’est se protéger, protéger les autres et se défendre", poursuit-il. "Si vous assistez à une scène d’abus manifeste ou de violences, n’hésitez pas à filmer en continu", recommande le Collectif contre le contrôle au faciès dans un document (PDF). "Gardez en tête que la mission est double : faire descendre la tension quand cela est possible et s’assurer d’avoir des images utilisables de la scène", préconise-t-il.
Le but n’est pas de filmer une violence policière mais de stopper une violence. (...) Quand vous le faites, vous aidez la personne agressée.
Christian Tidjani, du collectif L’Assemblée des blessésà Rue89
Des syndicats de policiers contactés par franceinfo déplorent ce climat. "Cela montre une sorte de défiance de la part d'une certaine partie de la population", commente Jean-Marc Bailleul, secrétaire national du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). "Nous avons le sentiment que dès que nous intervenons, nous sommes suspectés d'entrée, abonde Daniel Chomette, secrétaire général délégué du syndicat SGP Police. On considère que la police ne fait pas son travail correctement et donc que tous les citoyens doivent la filmer au cas où il y aurait un dérapage", regrette-t-il.
Ils condamnent également les dérives de ces pratiques et réclament, lorsque les images deviennent publiques, une anonymisation des agents pour éviter les représailles. "Il y a des altercations avec les enfants de policiers à l'école, des voisins qui s'en prennent aux voitures des policiers, des agents qui sont reconnus alors qu'ils font leurs courses avec leur famille ou lorsqu'ils sont en train de boire un café en terrasse. Ça, c'est quotidien, nous en avons de plus en plus", détaille Daniel Chomette.
Parce que les images permettent de sortir du "parole contre parole"
"Mesdames et messieurs, s'il n'y avait pas eu ce témoin mécanique [la vidéo], que ce serait-il passé ?" s'était interrogé l'avocat d'Adan, lors de sa plaidoirie, en novembre, en parlant de la vidéo montrée pendant le procès. Dans les affaires de violences policières, "obtenir justice est souvent un parcours du combattant", écrivait, l'année dernière, l'Association chrétienne contre la torture (Acat).
Elle a publié un rapport détaillé, en mars 2016, fondé sur l’analyse de 89 cas d’utilisation de la force par la police ou la gendarmerie ayant eu lieu entre 2005 et 2015. Quels sont les obstacles ? "Difficulté de déposer plainte, d’obtenir une enquête effective, disparition d’éléments probants, déclarations manifestement mensongères des forces de l’ordre." Résultat, selon l'Acat, "aujourd’hui, les forces de l’ordre françaises jouissent d’une relative impunité lorsqu’elles sont responsables de violences qui violent les principes de proportionnalité et de nécessité."
Alors pour sortir du "parole contre parole", celle des forces de l'ordre contre celle des personnes qui se disent victimes d'abus, Aline Daillère, responsable des programmes France de l'Acat, a livré ce conseil.
Violences policières : si vous êtes témoin, please, filmez. Le seul espoir pour une victime de voir sa plainte aboutir
— Aline Daillère (@Aline_Daillere) 25 mars 2016
Le 4 avril 2015, à North Charleston, en Caroline du Sud (États-Unis), une vidéo a permis de rétablir la vérité après la mort de Walter Scott, 50 ans. Dans le rapport initial, le policier Michael Slager, alors âgé de 33 ans, affirmait que Walter Scott l'avait attaqué après un contrôle routier pour une banale infraction au Code de la route. L'agent rapportait qu'après une altercation, Walter Scott s'était emparé de son pistolet paralysant et qu'il avait dû ouvrir le feu en situation de légitime défense.
Une version totalement contredite par les images prises par un passant. On voit le policier tirer à huit reprises dans le dos de Walter Scott alors qu'il est en train de fuir à pied. On voit ensuite le policier s'approcher de l'homme à terre, lui passer les menottes et déposer son Taser à ses côtés.
Le policier a été arrêté et inculpé pour meurtre. En mai dernier, après un long parcours judiciaire, Michael Slager a plaidé coupable d'un chef d'inculpation fédéral : avoir de façon volontaire attenté aux droits civiques de Walter Scott en exerçant une force excessive sous le couvert de ses fonctions.
Parce que les policiers souhaitent
la transparence
"Les effectifs de police dans leur immense majorité n'ont absolument rien à cacher, bien au contraire. Nous ne disons pas que la police doit travailler en secret, que l'on peut se permettre tout sur la voie publique", assure Daniel Chomette. Et de lancer avec force : "Les agents qui agissent de façon disproportionnée doivent être sanctionnés. C'est clair et net."
Une solution a peut-être été trouvée avec la caméra-piéton. "Nous la soutenons, et nous trouvons d'ailleurs que son déploiement dans toute la France est un peu trop long", poursuit le syndicaliste. Un dispositif également souhaité par le SCSI : "Les remontées sont bonnes et c'est aussi un gage de sécurité pour les agents eux-mêmes", estime Jean-Marc Bailleul, qui souhaite qu'un "maximum d'équipages" soient équipés de cet appareil.
Concrètement, il s'agit d'une caméra portée par les forces de l'ordre, qui leur permet de filmer les contrôles d'identité. Auparavant, les agents qui la portaient pouvaient la déclencher quand ils le souhaitaient. Depuis l'affaire Théo, ils doivent l'activer lors de chaque contrôle.
Daniel Chomette et Jean-Marc Bailleul se plaignent des images tournées par des riverains ou des badauds. Ils critiquent le fait qu'ils ne saisissent qu'une partie des interventions, en les prenant en cours ou en ne gardant que les moments les plus spectaculaires, les plus violents. "Parfois, les images sont coupées. Nous l'avons vu lors de l'affaire Théo. Il n'y a pas toute la séquence", insiste Daniel Chomette. Or "une photo ou une vidéo qui n'est pas complète, qui est sortie de son contexte, peut être mal interprétée", poursuit-il.
Parce que cela réduit (vraiment) l'usage de la violence
Mathieu Zagrodzki est chercheur en sciences politiques, spécialiste des questions de sécurité publique. Il comprend l'engouement des policiers pour la caméra-piéton. "Le problème pour la police, c'est qu'elle ne contrôle pas les images. La caméra-piéton lui permet d'avoir des éléments pour répondre à celles des internautes", commente-t-il auprès de franceinfo.
Sur le Huffington Post, il a rappelé les résultats une "étude rigoureuse" menée à Rialto, en Californie, qui a été pionnière dans l'utilisation de la caméra-piéton. L'enquête a "démontré qu'en douze mois, l'usage de la force par la police avait baissé de 59% et les plaintes contre la police de 87%".
Quand on se sait filmé, on va se comporter de façon respectueuse, pas agressive. Et cela vaut autant pour les policiers que pour les personnes contrôlées.
Mathieu Zagrodzki, chercheur en sciences politiquesà franceinfo
Mais pour le chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, la caméra-piéton ne règle pas le problème de fond : la méfiance à l'encontre des forces de l'ordre.
Mathieu Zagrodzki identifie deux chantiers à mener : "Les agents sont mal formés à la gestion de conflit. On ne leur apprend pas vraiment comment faire redescendre la tension lorsqu'une situation s'envenime." Selon lui, "il y a aussi l'incapacité générale de la police à expliquer son action. Elle a une idée très verticale de la société française et estime qu'elle n'a pas de comptes à rendre."
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