: Témoignage "Il m'a fait une clé de bras contre le canapé" : une entrepreneuse chinoise raconte les violences dont elle accuse des policiers
Une femme de 40 ans assure avoir été victime d'une violente clé de bras et de propos discriminatoires tenus par des policiers, fin janvier. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris pour "violences par personne dépositaire de l'autorité publique" et confiée à l'IGPN.
"Je suis totalement perturbée par cette intervention. Jamais je n'ai vécu une scène pareille." Ling*, gérante de société chinoise, a porté plainte le 22 janvier, auprès du parquet de Paris, pour des violences commises par des policiers lors d'une intervention, sur fond de litige commercial. Une enquête a été ouverte deux jours plus tard par le parquet de Paris et confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) – la "police des polices" –, a fait savoir le parquet lundi 29 janvier.
Les investigations portent "sur des faits de violences par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné deux jours d'incapacité de travail, dénoncés par la plaignante", selon le parquet. Ling affirme avoir été violemment prise à partie par quatre policiers sur son lieu de travail, à Paris. Dans sa plainte, que franceinfo a pu consulter, elle raconte avoir subi des menaces, une violente clé de bras ainsi qu'une discrimination liée à ses origines de la part des agents. Franceinfo a pu recueillir son témoignage.
"Vous êtes sans papiers"
Lundi 22 janvier, Ling se trouve sur son lieu de travail, une clinique cossue du 8e arrondissement de Paris. L'entrepreneuse de 40 ans gère une société d'accompagnement et de traduction, sous-locataire d'une partie des locaux de l'exploitant de la clinique, Monsieur B. "Depuis septembre 2023, les relations entre les gérants des deux sociétés se sont dégradées", précise la plainte déposée auprès du parquet. Alors que Ling accompagne l'une de ses clientes, Monsieur B. décide de "contacter les fonctionnaires de police", estimant qu'elle ne "pouvait pas recevoir de clients dans les locaux", selon ce même document.
Ce jour-là, "la sous-locataire [Ling] avait un comportement inapproprié et hystérique à l'égard des clients et employés de la clinique", assure l'avocate du bailleur, Lydia Boudriche. "Il a appelé les forces de l'ordre une première fois, afin d'inciter cette sous-locataire à retrouver ses esprits", poursuit l'avocate, qui fait état de "relations fortement dégradées" entre les deux parties.
Quatre agents du commissariat du 8e arrondissement se présentent sur les lieux et procèdent à un contrôle d'identité. "Ils m'ont dit : 'Vous êtes sans papiers'. J'ai répondu : 'Ce n'est pas parce que j'ai une tête d'étrangère que je n'ai pas de papiers'", détaille Ling à franceinfo. De nationalité chinoise, l'entrepreneuse vit en France depuis vingt-deux ans et son titre de séjour a été renouvelé il y a deux ans. La cliente de Ling, Madame L., a enregistré trois vidéos de l'altercation avec les policiers, que franceinfo a pu consulter et reproduit partiellement.
Dans l'une d'entre elles, un policier s'adresse à la gérante : "Vous parlez français ? (...) Mesdames, présentez-moi une pièce d'identité chacune. Maintenant, dépêchez-vous, c'est la police !", intime un jeune agent, avant d'empêcher Madame L. de filmer.
"Il s'est assis sur moi"
L'agent se montre ensuite violent, d'après Ling : "Il m'a saisi le bras très fort et me l'a mis dans le dos. Il m'a fait une clé de bras contre le canapé, j'avais les genoux à terre. Il m'a étouffée contre le canapé et s'est assis sur moi. Je pèse 57 kilos, je n'avais pas la force de lutter contre lui", décrit la gérante, qui soutient être restée calme pendant toute l'altercation. Au même moment, un autre policier fouille son sac à main, à la recherche des documents d'identité, se souvient-elle.
Plusieurs témoins assistent à ce moment précis, qui n'apparaît pas sur les images filmées par Madame L. L'hôtesse d'accueil de la clinique tente de s'interposer : "Constatant la violence de la situation, je suis instinctivement intervenue pour éviter tout préjudice physique (...). L'agent des forces de l'ordre m'a sommée de quitter immédiatement la pièce", détaille-t-elle dans un témoignage remis à la justice. Une autre collègue de Ling, traductrice, essaie de raisonner l'agent. "J'ai pris les mains du policier en demandant : 'Qu'est-ce que vous faites à madame ? ll a répondu : 'Je suis policier, dégage d'ici'", rapporte-t-elle dans un autre témoignage judiciaire. Selon la traductrice, la scène a duré 15 minutes, au bout desquelles les policiers ont quitté les lieux. Ling "n'arrivait plus à parler, sous un choc énorme (...) son bras tremblait", rapporte-t-elle.
"Si vous n'êtes pas contente de la France, vous allez la quitter"
Environ une heure et demie plus tard, les policiers reviennent sur les lieux. "Malgré leur première intervention, la gérante restait menaçante à l'égard des clients et des employés présents. Elle a simulé l'existence d'une altercation en frappant son employée, pour faire fuir les clients [de Monsieur B.] Une des salariées de la clinique a de nouveau appelé les forces de l'ordre" explique l'avocate du bailleur. "Je n'ai frappé personne, je discutais juste avec mon employée pour lui dire que j'avais très mal au bras." rapporte Ling.
"On va tous vous faire sortir", menace l'un des agents, dans une vidéo filmée par Madame L. "Il n'y a pas de justice en France. Je ne peux pas rester ici", lui répond Ling. "Après, si vous n'êtes pas contente de la France, vous allez la quitter, y a pas de problème", rétorque l'agent. "Ah parce que vous allez discriminer les étrangers, c'est ça ? Parce que je ne peux pas rester en France ?" interroge-t-elle. "C'est du racisme anti-Asiatiques", estime Ling auprès de franceinfo.
Les fonctionnaires sont repartis "sans reprocher la moindre infraction" à Ling, assure l'intéressée dans sa plainte, dénonçant des "fonctionnaires de police ayant outrepassé leurs fonctions" et un acte de violence "parfaitement illégitime".
"C'est un usage de la violence illégitime au vu du contexte, et je sais comment m'y prendre pour faire usage de la force sur le terrain, c'est mon travail. Ce sont des pieds nickelés, juge François*, époux de Ling. Moi qui suis dans la police, voir qu'on fait ça à votre femme, c'est un drôle de sentiment. Je connais très bien le regard qu'on porte sur les Asiatiques : les clichés sur le travail dissimulé, les mangeurs de chats dans les restos, les envahisseurs, les copieurs..."
"Les policiers sont des gardiens de la paix. Ils sont là pour nous protéger. Là, c'est le contraire, ils nous agressent. Je ne comprends pas."
Ling, plaignanteà franceinfo
Interrogée par franceinfo, Lydia Boudriche, avocate de Monsieur B., qui a assisté à l'altercation, assure, sans plus de détails, qu'il n'y a "jamais eu de violences" de la part des policiers. Pourtant, Ling s'est vu prescrire deux jours d'incapacité temporaire de travail (ITT). Deux jours après l'intervention des policiers, elle présentait une "ecchymose violacée de 10 centimètres sur 4" sur son avant-bras droit, selon une expertise médicale judiciaire dont franceinfo a pris connaissance. Ling se dit dans "un état de profonde dépression" et son médecin traitant lui a prescrit trois anxiolytiques différents au lendemain des faits.
Yassine Bouzrou, avocat de la plaignante, s'est réjoui de l'ouverture d'une enquête par le parquet : "C'est une excellente nouvelle, l'enquête devra déterminer si les policiers n'ont pas été appelés sur la base d'un délit imaginaire, car nous ne comprenons pas pourquoi des policiers interviennent de la sorte dans le cadre d'un simple litige commercial", a-t-il réagi auprès de l'AFP, qualifiant les faits "d'extrêmement graves".
"Nous souhaitons que l’enquête soit rapide afin qu’un procès pour violences à caractère raciste se tienne."
Yassine Bouzrou, avocat de la plaignanteà franceinfo
Le couple franco-chinois se montre plutôt optimiste concernant la suite des investigations : "Ma plainte a été prise au sérieux par l'IGPN dès mon arrivée. Il n'y a eu aucun délai d'attente et j'ai bénéficié d'une écoute exceptionnelle", assure Ling à franceinfo. "J'ai confiance en l'IGPN", ajoute son compagnon. Sollicitée par franceinfo, la préfecture de police de Paris n'a pas donné suite à nos demandes.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.
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