: Enquête "Qui bloque et pourquoi ?" : 38 ans après le meurtre de Sabine Dumont, sa famille en appelle au ministère de la Justice pour utiliser une nouvelle technique
Depuis 38 ans, la mère de Sabine Dumont se bat pour découvrir qui a violé et tué sa petite fille de 8 ans en juin 1987. La Cellule investigation de Radio France révèle qu'une nouvelle technique, la généalogie génétique, est utilisée pour tenter de résoudre le crime. Mais le dossier semble à l'arrêt.
"Sabine est toujours avec moi". Dans son salon, à Saint-Nazaire, Geneviève Dumont, 80 ans, a disposé une photo de sa fille, disparue en 1987, à l'âge de 8 ans. "Dans mon sac à main, j'ai ses rubans. Si j'ouvre mon placard, j'ai son peignoir. Sabine est toujours là." Et puis il y a cet hippocampe, qu'elle a fait tatouer sur son bras : "Sabine était fascinée par ces animaux. C'est notre totem".
Cela fait maintenant 38 ans que la petite fille a été enlevée, violée et tuée à Bièvres, en Essonne*. 38 ans que son meurtrier échappe à la police et à la justice françaises. "C'était un samedi après-midi. Il faisait beau et chaud et le temps était à l'orage", se souvient la sœur de Sabine Dumont, Gaëlle Fève, 14 ans à l'époque. La petite fille, passionnée de peinture, veut réaliser un tableau pour sa nièce, qui vient de naître. "Il lui manquait de la gouache blanche, elle est donc partie chercher son tube de peinture." "Sabine ne sortait jamais toute seule, précise Geneviève Dumont, mais ce jour-là, elle m'a demandé la permission et je lui ai dit oui. Il y avait à peu près 600 mètres à faire depuis notre appartement jusqu'au magasin."
"J'ai hurlé. Un cri de bête"
Dans le centre de Bièvres, c'est jour de fête. Des manèges sont installés près de la mairie. La petite fille croise des amies de la famille. Elle entre dans la librairie, achète son tube de peinture, décline la proposition d'une voisine qui lui propose de la ramener et disparaît sur le chemin du retour, à quelques dizaines de mètres de son appartement. "Elle était la petite dernière d'une fratrie de six, le bébé de mes parents. En un quart de seconde, j'ai basculé en enfer", raconte sa sœur Gaëlle, "ça a été une horreur absolue". Sa mère, ne la voyant pas revenir, pressent rapidement quelque chose de grave. "Je me rappelle être sortie en bas de notre résidence vers 19h30 et m'être écroulée. J'ai ressenti une douleur abominable et j'ai hurlé. Un cri de bête. J'ai su, dans mes entrailles, qu'elle était morte."
Les recherches de la soirée et de la nuit ne donnent rien. C'est le lendemain après-midi que le corps sans vie de Sabine Dumont est retrouvé, dénudé. Sur ses vêtements, du sperme a été découvert et de l'ADN a été exploité bien plus tard, à la fin des années 90. Un ADN masculin non identifié dans lequel Erik Dumont, le frère de Sabine, place un immense espoir. "Cet ADN, c'est la signature de l'auteur : on cherche quelqu'un, on cherche une personne", raconte celui qui, encore aujourd'hui, ne peut évoquer le souvenir de sa sœur sans être submergé par l'émotion. "Je suis convaincu qu'on trouvera… Et les nouvelles technologies vont le permettre."
L'espoir "généalogie génétique"
C'est à la généalogie génétique qu'Erik Dumont, aujourd'hui quinquagénaire, fait référence. Une sorte de nouvelle "arme fatale" policière, venue tout droit des Etats-Unis et qui, selon une étude canadienne, a permis de résoudre 650 affaires entre 2018 et 2024.
Le principe : comparer l'ADN retrouvé sur une scène de crime avec les bases de données de sociétés privées qui stockent depuis le début des années 2000 les ADN de millions de personnes en leur promettant de leur révéler leurs origines ethniques ou… leurs liens familiaux. "À ce stade, près de 50 millions de personnes, surtout aux États-Unis, ont réalisé ce type de tests", expliquait récemment à la cellule investigation de Radio France le généticien Yaniv Erlich, ancien directeur scientifique de l'une de ces sociétés, MyHeritage.
Un chiffre suffisant, selon ce chercheur, pour pouvoir établir les liens familiaux de tous les habitants du pays, voire au-delà. "Aujourd'hui, on estime qu'il y a 1,5 million de Français qui ont envoyé spontanément leur ADN dans ces bases de données, analyse l'avocate Marine Allali, qui représente la famille Dumont. Et on sait également qu'il faut entre 1 et 2% d'une population pour pouvoir remonter forcément à un cousin éloigné." Pour cette avocate, il n'y a donc aucun doute, l'ADN trouvé sur les vêtements de Sabine Dumont permettra de retrouver la famille du meurtrier… Et de remonter jusqu'à lui. "Il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas."
Un dossier bloqué pour "raisons administratives"
Problème : cette technologie, en France, est interdite. Les entreprises de généalogie génétique ne peuvent pas s'installer sur notre territoire et réaliser un test ADN à des fins de généalogie est même passible d'une amende de 3 750 euros. Pour contourner cette interdiction, qui ne permet pas aux policiers français de questionner eux-mêmes ces bases, la justice française passe par les autorités américaines, via une demande d'entraide internationale. Une procédure encore rarissime, utilisée une première fois, avec succès pour identifier et arrêter en 2022 un violeur en série surnommé le "prédateur des bois".
"Avoir recours à cette technique en France présente un risque de recours juridique. Mais ce risque est assumé, aujourd'hui aussi pour l'affaire Dumont", précise une source proche du dossier. En juin 2023, le Pôle "Cold Case" de Nanterre**, spécialisé dans les crimes non élucidés, lance donc une commission rogatoire à destination des États-Unis, pour qu'ils comparent l'ADN retrouvé sur les vêtements de Sabine Dumont avec "toutes les bases disponibles" dans le pays. "On a compris à l'époque qu'il ne fallait pas l'ébruiter, parce qu'on ne savait pas trop si c'était légal en France", précise Geneviève Dumont. Mais depuis deux ans, rien. Les données ADN du suspect, transmises aux Américains, n'ont pas permis de retrouver le meurtrier.
Et la famille a choisi de prendre la parole. "Quelque chose bloque", analyse la mère de la petite fille, "et on ne comprend pas quoi". "On nous parle de raisons administratives et ça, ce n'est pas audible pour une famille qui attend depuis 38 ans, s'agace l'avocate Marine Allali. "C'est frustrant, alors que l'on sait que cette technologie existe, et qu'elle pourrait permettre de résoudre très certainement ce dossier dans des temps raisonnables." Aujourd'hui, la famille de Sabine Dumont se questionne : les données ADN transmises aux Américains ne sont-elles pas suffisantes ? Et si la difficulté est là, pourquoi de nouvelles analyses ne sont-elles pas envoyées ? Y a-t-il une réticence du ministère de la Justice, alors que l'utilisation de cette technique n'est aujourd'hui pas encore clairement encadrée ?
Quatre petites filles enlevées et tuées en deux mois, en région parisienne
Le 30 juin prochain, les cinq frères et sœurs de Sabine vont organiser pour la première fois ensemble une conférence de presse pour demander l'intervention du garde des Sceaux, Gérald Darmanin. "Il faut que le ministère débloque cette situation et plus généralement l'usage de la généalogie génétique", demande l'avocate Marine Allali. "Je veux savoir qui est cet homme, je veux le fixer dans les yeux et comprendre ce qu'il s'est passé avant de quitter cette terre", plaide Geneviève Dumont. Son mari, Christian, est décédé en début d'année. "Il faut trouver cet assassin, même après 38 ans." En 1987, dans les semaines précédant la mort de Sabine, trois autres petites filles*** ont été enlevées et tuées en région parisienne. Tous ces dossiers sont centralisés au pôle "Cold Case" de Nanterre.
A la suite de la diffusion de l'enquête de la cellule investigation de Radio France, le ministère de la Justice a réagi. Par écrit, la Chancellerie assure être consciente "de l'avancée majeure que la généalogie génétique forensique représente pour la résolution d'enquêtes portant sur des faits d'une extrême gravité". Si le ministère explique qu'il ne peut s'exprimer sur "des dossiers individuels" ou "des procédures judiciaires en cours", il assure que ses services "s'efforcent, dans le cadre légal (...) de faciliter l'exécution de toute demande d'entraide pénale internationale adressée par des autorités judiciaires françaises à des autorités étrangères".
* Sabine Dumont a été enlevée à Bièvres. Son corps a été retrouvé dans la commune voisine de Vauhallan. La petite fille a été partiellement brûlée.
** Le pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre (PCSNE)
*** Virginie Delmas, 10 ans, enlevée le 5 mai 1987 à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis ; Hemma Greedharry, 10 ans, enlevée le 30 mai 1987 à Malakoff, dans les Hauts-de-Seine ; Perrine Vigneron, 7 ans, enlevée le 3 juin 1987 à Bouleurs, en Seine-et-Marne. Le dossier de Sabine Dumont est le seul qui présente encore un ADN exploitable.
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