Au procès de l'attentat de Nice, les premières parties civiles témoignent de "l'invivable" choc post-traumatique
La cour d'assises spéciale de Paris entend, à partir de mardi et pendant cinq semaines, près de 300 parties civiles.
Longs cheveux blonds, silhouette fluette, Sandrine s'avance à la barre. "J'ai accepté de venir parce que mon avocate m'a dit que c'était important pour le procès", annonce-t-elle après avoir décliné son identité. La salle d'audience est suspendue aux lèvres de cette femme de 28 ans. Elle est la deuxième partie civile à être entendue au procès de l'attentat de Nice, mardi 20 septembre. Près de 300 lui succéderont pendant les cinq semaines que la cour d'assises spéciale de Paris consacre aux parties civiles. Toutes vont livrer le traumatisme subi pendant et après l'attaque au poids lourd survenue le 14 juillet 2016.
Le soir de l'attentat, Sandrine assiste au feu d'artifice avec son compagnon de l'époque. Puis, ils rejoignent des amis près de l'hôtel Negresco sur la Promenade des Anglais et le petit groupe se met en marche. "Je regardais en l'air des fumigènes lancés sur la plage, et là d'un coup, je vois plein de gens agglutinés devant moi. Je me retrouve toute seule, je ne vois plus mon compagnon, je ne comprends pas pourquoi", relate Sandrine face à la cour. Elle débite son récit d'une traite et de sa mémoire jaillissent des détails précis. "Un monsieur court à contre-sens et dit 'c'est le camion' (...) je ne comprends pas de quel camion il parle, car je suis toujours dos au camion, mais j'ai le pressentiment d'un attentat donc il faut que je m'enfuie très vite, je pivote et je me mets en direction de la plage", poursuit-elle.
"Je suis très affolée"
Sandrine entend des coups de feu, avec cette "impression" que la personne qui tire est "juste" derrière elle. Alors, elle saute à pieds joints sur la terrasse du Blue Beach, un restaurant installé sur la plage. "Je veux m'enfuir le long de la mer, mais je me rends compte que j'ai très mal aux pieds, donc je fais demi-tour pour m'abriter dans le restaurant, j'arrive dans les cuisines puis le vestiaire." Elle y retrouve le meilleur ami de son ex-compagnon. "Il reste calme. Moi, je suis très affolée, je lui dis des choses incroyables, que je n'ai pas de mutuelle, que j'ai perdu ma chaussure", se remémore-t-elle. D'autres parents arrivent avec leurs enfants et tous se réfugient "dans une petite pièce" qui "ressemble à une chaudière".
C'est à ce moment-là que Sandrine ressent une douleur vive dans un bras. "Je pense qu'il est cassé", précise-t-elle. La jeune femme chuchote pour éviter que la personne à côté s'appuie sur elle. "Une petite fille faisait des prières, elle implorait le seigneur", rapporte-t-elle.
"Le petit garçon devant moi m'a dit 'Taisez-vous à cause de vous on va tous mourir'."
Sandrine, partie civiledevant la cour d'assises spéciale de Paris
Sandrine n'a alors plus de notion du temps. Elle finit quand même par retrouver son compagnon et être transportée à l'hôpital. Mais avant de monter dans le camion des pompiers, elle voit "des victimes", "des personnes décédées à l'endroit où j'avais sauté".
"Des séquelles et des blessures"
"J'ai eu un choc psycho-traumatique pendant trois ans, c'était limite invivable. Ensuite, j'ai trouvé la bonne méthode, ça m'a soulagée", souffle Sandrine. Indemnisée par le fonds de garantie, elle fait partie des victimes classées parmi les blessés légers, dont le traumatisme psychologique a été reconnu. Au président de la cour d'assises, Laurent Raviot, qui lui demande ce que l'attentat "a altéré dans sa vie", elle répond qu'elle n'a pas pu finir son contrat en alternance et qu'elle a obtenu son diplôme uniquement grâce "à la compréhension de tous". Aujourd'hui, la jeune femme dit aller mieux, même si elle éprouve toujours "des séquelles et des blessures", "surtout quand arrive la date anniversaire". "C'est un handicap, insiste-t-elle. Quand on ne peut même pas traverser la rue, on ne peut plus rien faire."
"On est une personne avant ce qui arrive et on devient une autre après, ça impacte une vie."
Sandrine, partie civiledevant la cour d'assises spéciale de Nice
Avant elle, Jérôme a livré le même sentiment à la barre. Cet homme de 49 ans, père de cinq enfants, propriétaire du High Club, une discothèque sur la Promenade des Anglais, a tenu à raconter à la cour d'assises spéciale de Paris comment son établissement a servi de post-médical avancé le soir du 14 juillet 2016. "Mon personnel a donné un coup de main pour monter tous les lits. On a mis les lits d'urgence dans le hall d'entrée. Malheureusement, à l'étage, on mettait les gens décédés", décrit-il. "Grâce à notre intervention, on a sauvé 90 personnes, je suis désolé pour ceux qu'on n'a pas pu sauver, on a fait et j'ai fait, ce que j'ai pu, je pense", lâche-t-il, ému.
Lui qui parle d'"une scène de guerre" a filmé tout ce qu'il s'est passé dans son établissement. Des vidéos qu'il a d'ailleurs conservées et qu'il souhaite aujourd'hui remettre à la justice. Le président de la cour d'assises lui suggère plutôt de les détruire et lui demande s'il bénéficie d'un suivi psychologique. "Moi non. Mon personnel oui." Pourtant, lui aussi souffre d'un stress post-traumatique. "J'ai eu un burn out, car je dormais de moins en moins", développe Jérôme. Aujourd'hui, il est toujours propriétaire du High Club et se rend régulièrement sur la Promenade des Anglais. "Il n'y a pas une semaine où je ne pense pas à ce qu'il s'est passé, explique-t-il. C'est pour la vie, on le sait."
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