"Beaucoup de cadres vont être déclassés"
Selon une étude de l'Insee, les salaires des cadres ont très peu augmenté en huit ans. D'autres recherches font état d'un malaise de ces salariés. Décryptage avec Alain Pichon, sociologue.
Ce n'est pas la joie chez les cadres. Selon une étude de l'Insee consacrée aux salaires des Français et décryptée mercredi 22 février dans Le Parisien, ces salariés ont connu la plus faible augmentation de salaire entre 2001 et 2009. De plus en plus sensible aux difficultés économiques, cette catégorie socioprofessionnelle - 4,2 millions de salariés en 2010 selon l'Insee - accuse le coup de la crise. Alain Pichon, docteur en sociologie à l'université d'Evry et auteur de Les cadres à l'épreuve (éditions PUF, 2008), analyse leur situation pour FTVi.
FTVI : Pour commencer, qu'appelle-t-on "les cadres" ?
Alain Pichon : Cette catégorie socioprofessionnelle a été définie en 1945 comme des agents ou des salariés possédant une formation et assurant une fonction managériale. Mais aujourd'hui, ce n'est plus la réalité : beaucoup de cadres ne managent personne. Cette différence (manager ou pas) constitue une discrimination en termes de revenus. Selon moi, on peut subdiviser les cadres en trois sous-ensembles : les cadres dirigeants, les cadres managers et les cadres experts ou producteurs, qui sont reconnus pour leurs compétences mais n'ont pas de fonction managériale. C'est surtout cette dernière strate qui a vu son salaire baisser ou stagner.
Selon un baromètre Viavoice de septembre 2011, le moral des cadres a atteint son plus bas niveau depuis 2004. Et près de la moitié d'entre eux sont insatisfaits de leur salaire par rapport à leur charge de travail, d'après une étude parue en février. Peut-on parler de malaise ?
A. P. : Oui. Il faut savoir que le salaire des cadres fonctionne sur un mécanisme de part variable. Prenons l'exemple des commerciaux : ils touchent un fixe modique, voire modeste. Puis il y a le reste, à savoir le nombre de kilomètres parcourus et de clients convaincus. Or, en temps de crise, cet atout ne fonctionne plus. Aujourd'hui, les commerciaux parcourent des centaines de kilomètres pour rencontrer des clients qui ne vont pas investir dans leurs produits. Leur revenu stagne, malgré leur implication.
Les conditions de travail se sont aussi dégradées. Ainsi, le stress au travail atteint particulièrement les cadres, notamment ceux situés au bas de l'échelle. Souvenez-vous des suicides chez France Télécom : c'était des cadres, mais plutôt experts et producteurs. Avec l'institutionnalisation du "management de la terreur", ces salariés ont peur de perdre leur travail. Et ils ont raison. Après avoir soutenu la croissance, le "travailler plus pour gagner plus", ils commencent peut-être à faire une analyse critique des discours qu'on leur a tenus.
Leur présent ne semble pas réjouissant. Qu'en est-il de leur avenir, notamment pour les cadres experts et producteurs ?
A. P. : La situation ne peut qu'empirer. Et à mon avis, cela va fragmenter l'ensemble de la catégorie. Les cadres les mieux formés, qui occupent le haut de l'échelle, vont s'en sortir. Mais pour d'autres, cela va être difficile. Je pense au secteur de l'industrie, aux très nombreux cadres de l'administration, comptables et financiers. Ce sera dur, aussi, pour les informaticiens. En fait, une partie significative des cadres est en train de rejoindre les conditions salariales des professions intermédiaires et de certains employés. Il sera de moins en moins facile d'accéder à l'emploi et de stabiliser son début de carrière.
Les cadres représentent l'idéal typique de la classe moyenne. Ils espèrent que les plus jeunes générations vivront mieux qu'eux, mais craignent le déclassement social. Et ils vont être déclassés. Pour beaucoup d'entre eux, c'est tout un monde qui va s'effondrer, toute une représentation d'eux-mêmes qui va disparaître.
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