Qu'est-ce que le ski-alpinisme, tradition française intégrée au programme des Jeux olympiques d'hiver 2026 ?

A moins d’un an de son intégration au programme olympique des Jeux de Milan-Cortina, le ski-alpinisme s’offre une répétition générale avec les championnats du monde à Morgins (Suisse), du 2 au 8 mars.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Lorna Bonnel (à gauche) et Axelle Gachet-Mollaret (à droite) lors de la Pierra Menta, le 12 juin 2021. (JEFF PACHOUD / AFP)
Lorna Bonnel (à gauche) et Axelle Gachet-Mollaret (à droite) lors de la Pierra Menta, le 12 juin 2021. (JEFF PACHOUD / AFP)

Une entrée aux Jeux olympiques, et un retour aux sources. En février 2026, le ski-alpinisme (équivalent en compétition du ski de randonnée) fera son entrée aux JO d'hiver de Milan-Cortina. "On fera notre retour, plutôt, sourit Thierry Galindo, responsable des équipes de France de ski-alpinisme. Aux Jeux d'hiver de 1924 à Chamonix, les premiers, il n'y avait pas de ski alpin car pas de remontées mécaniques, donc les épreuves de ski ressemblaient pas mal au ski-alpinisme." En plein essor à moins d'un an de ce rendez-vous inédit, le ski-alpinisme réunit son gratin international du 2 au 8 mars, à Morgins (Suisse), lors des championnats du monde.

Si les deux sports de glisse sont évidemment cousins, ils sont diamétralement opposés. "Le ski-alpinisme, ou ski de randonnée en loisirs, c'est un déplacement à ski, peu importe le sens de la pente, décrypte, pour les néophytes, Thierry Galindo. On met des peaux de phoques, qui sont aujourd'hui synthétiques, sous les skis, qui permettent de monter en marchant avec les skis. Ensuite, on les enlève pour descendre."

Aux Mondiaux, lors desquels 40 pays seront représentés lors des 11 courses, l'équipe de France visera "une médaille, au moins, sur chaque épreuve", promet le patron des Bleus, qui pourra compter sur les étoiles Emily Harrop, qui compte trois gros globes de cristal (vainqueur du circuit Coupe du monde), et quatre titres de championne du monde, Axelle Gachet-Mollaret (deux gros globes, 16 fois championne du monde) ou Thibault Anselmet (deux gros globes). Car les Français sont une référence, à l'image des Suisses et des Italiens : un tiercé qui occupe systématiquement le podium final du tableau des médailles depuis les premiers Mondiaux de 2002.

Montée, descendre, et recommencer

Si la France est aussi ambitieuse, c'est parce qu'elle fait partie des pionnières de cette discipline ancienne, encore méconnue, mais en plein essor. "J'aurais pu faire de la compétition en ski alpin, mais en ski de randonnée, il y a plus de variété, notamment parce qu'on évolue en pleine nature, c'est une liberté", confie Thibault Anselmet, dont le père a été médaillé de bronze aux championnats d'Europe 2007. "C'est comme ça que je suis tombé dedans", retrace le skieur de Bonneval-sur-Arc. 

“On a un matériel passe-partout. Quand on monte, nos talons se décollent du ski, pour marcher. Au sommet, on bloque les fixations et on descend comme en ski alpin, en plus des passages d’alpinisme avec les skis sur le dos”

Thibault Anselmet, membre de l'équipe de France de ski alpinisme

à franceinfo: sport

A l'image du triathlon, le ski-alpinisme mêle ainsi différents efforts, entre lesquels il faut perdre le moins de temps dans les manipulations (l'équivalent des transitions au triathlon). "Les manipulations demandent beaucoup de techniques pour enlever les peaux, les remettre, mettre les skis sur le dos, passer les fixations en mode descente… Selon la course, ça peut coûter cher", détaille Thibaut Anselmet. "Une fois, j'avais gardé mon collier sur une course, et il s'est bloqué dans le crochet pour porter les skis sur le dos.... Ça arrive aussi de perdre les skis du sac, de mal les fixer", ajoute Emily Harrop, star française de la discipline.

"C'est de la Formule 1, mais tout-terrain"

Auteur de plusieurs livres sur l'histoire du ski, Guillaume Desmurs compare cette quête du matériel parfait à la Formule 1 : "Ce sont des athlètes qui doivent pouvoir passer partout, mais avec un équipement de pointe. Le ski-alpinisme, c'est de la Formule 1, mais tout-terrain". Une volonté constante d'amélioration inhérente à cette discipline, apparue à la fin du XIXe siècle, quand l'homme a voulu apprivoiser la montagne. Car si le ski existe depuis des siècles, le ski-alpinisme naît en 1897, avec la première traversée des Alpes par l'Allemand Wilhelm Paulcke.

"Le ski alpinisme, c’est l’origine du ski avant les télésièges, quand on mettait des peaux de phoques sous les skis, pour accrocher à la neige et remonter les pentes skis aux pieds."

Emily Harrop, quatre fois championne du monde de ski alpinisme

à francetvsport

Pour Guillaume Desmurs, la paternité provient aussi des régiments armés de montagne, à l'image des chasseurs alpins, qui "ont développé la capacité à se déplacer assez vite, assez facilement, dans des terrains montagneux". Ce qui est certain, c'est qu'il s'agit d'une pratique historique, longtemps dans l'ombre du ski alpin, qui a de son côté bénéficié d'un essor lié au développement des remontées mécaniques.

Or, depuis plusieurs années, le ski-alpinisme (ou ski de randonnée, pour la partie loisir) a retrouvé la lumière. "La pandémie a accéléré ce phénomène, qui était déjà lancé avant, parce que le ski alpin est arrivé à maturité et beaucoup de skieurs veulent découvrir autre chose, dans la nature", résume Eric Adamkiewicz, maître de conférences à l'université de Toulouse, spécialiste des activités sportives en montagne.

Le monde du sport, lui, n'a pas attendu le Covid-19 pour s'intéresser au ski de randonnée. Dès les années 1990, plusieurs compétitions majeures ont vu le jour pour donner vie à son versant compétitif : le ski-alpinisme. Guillaume Desmurs se souvient ainsi des premières éditions "titanesques" de la Pierra Menta, dans le Beaufortain, l'une des courses les plus prestigieuses du calendrier, fondée en 1986. Rapidement, la pratique s'est institutionnalisée, avec des championnats de France à partir de 1991, d'Europe dès 1992 et du monde depuis 2002. 

Emily Harrop lors de la course individuelle de Comapedrosa, le 25 janvier 2025, en Andorre. (MARTIN SILVA COSENTINO / NURPHOTO)
Emily Harrop lors de la course individuelle de Comapedrosa, le 25 janvier 2025, en Andorre. (MARTIN SILVA COSENTINO / NURPHOTO)

Aujourd'hui, en dehors des courses mythiques, comme la Pierra Menta, comparables aux Monuments du cyclisme, le ski-alpinisme fonctionne comme les autres sports hivernaux avec des étapes de Coupe du monde tout l'hiver, et des Mondiaux tous les deux ans, qui englobent six épreuves. 

"Historiquement, le ski alpinisme se pratiquait en équipe, parce qu’on ne part pas en montagne tout seul. La plupart des premières courses étaient en duo ou en patrouille (à trois). Avec un parcours fait de montées et de descentes."

Thierry Galindo, responsable des équipes de France de ski alpinisme

à franceinfo: sport

"Ensuite est venue la course individuelle, sur le même principe mais en solo, qui dure en général 1h30, puis la 'vertical race', qui est une montée sèche, et enfin le sprint et les relais", énumère Thierry Galindo. Ce sont d'ailleurs ces deux dernières épreuves, plus courtes, qui ont été retenues pour les JO 2026, créant une division dans le milieu, certains estimant que le sprint et le relais ne sont pas fidèles aux valeurs du ski-alpinisme.

Un sport complet et transversal

Quoi qu'il en soit, le rendez-vous olympique de 2026 a fait passer plusieurs caps au ski-alpinisme, qui se professionnalise rapidement. Si les athlètes tricolores s'entraînent le plus souvent de leur côté, dans leur station, l'équipe de France propose ainsi "des stages réguliers pour regrouper tout le monde et tirer le groupe vers le haut, explique Thierry Galindo. On n'a pas de centre permanent pour regrouper les athlètes, parce que leur terrain de jeu, c'est la pleine nature. Ils s'entraînent beaucoup à skis l'hiver. L'été ça dépend des préférences de chacun entre le vélo, la course à pied, le ski à roulettes."

"On peut utiliser beaucoup d’autres sports qui nous apportent en ski alpinisme, comme la course à pied, la marche ou le cyclisme. C’est moins monotone, même si dans le sport de haut niveau la répétition reste importante."

Thibault Anselmet, deux fois vainqeur du classement général de la Coupe du monde

à franceinfo: sport

Devenu professionnel grâce à l'armée des champions, Thibault Anselmet s'entraîne ainsi 10 à 20 heures par semaine. De quoi atteindre 300 000 mètres de dénivelé à la fin de l'année, dont 150 000 rien que sur les skis : "Sur une séance, ça peut aller jusqu'à 3 000 m, soit 4-5 heures d'entraînement", glisse-t-il.

Ce qui fait des skieurs alpinistes des machines d'endurance, au point même de briller l'été dans d'autres disciplines, à l'image de l'Espagnol Kilian Jornet, star du trail, mais également huit fois champion du monde de ski-alpinisme. Ou de l'Allemand Anton Palzer, quatre fois médaillé mondial avant de se lancer dans le cyclisme sur route au sein de la formation Bora-Hansgrohe, avec laquelle il a notamment couru la Vuelta (2021) et le Giro (2023). 

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