Exclusif: Rached Ghannouchi pour un islam démocratique et non-violent
Lors de son 10e congrès, qui s’est tenu du 20 au 22 mai 2016, le mouvement islamiste Ennahda a décidé de séparer politique et religion. Son président, Rached Gahnnouchi, a accepté de tirer, en exclusivité pour Géopolis, un bilan de ce congrès. En répétant avec insistance qu’Ennahda est un parti démocratique.
24 mai 2016, le cheikh (terme de respect signifiant le sage, le lettré), comme l’appellent ses partisans, reçoit le journaliste de Géopolis dans sa résidence privée, à l’écart du centre-ville de Tunis. Agé de bientôt 74 ans, cet ancien enseignant en philosophie a l’air fatigué après trois jours (et trois nuits) intenses de congrès. L’homme est courtois. Mais réservé. Il s’exprime en arabe, traduit par un proche. Quitte parfois à intervenir en français dans la traduction pour modifier ou préciser un terme.
Quel bilan tirez-vous de ce congrès?
La motion la plus importante est celle qui spécifie l’indépendance de l’action politique d’un côté, et des activités à connotation religieuse de l’autre. Elle traduit la mutation d’un mouvement religieux en parti politique.
Quand vous dites au «Monde» qu’«Ennahda est un parti politique, démocratique et civil et qui a un référentiel de valeurs civilisationnelles musulmanes et modernes», que voulez-vous dire?
Ce qui est dit là !
Je précise ma question : que faut-il entendre par «civil»?
Ce qui n’est pas religieux. A partir de maintenant, le programme politique n’a plus de lien avec la prédication religieuse. Désormais, chacun agira en fonction de ses propres convictions. Il y a d’un côté le programme politique et économique, de l’autre, les convictions. Ennahda est désormais un parti ouvert à tous, quelles que soient les opinions religieuses. Par exemple, peu importe que les femmes soient voilées ou non.
En clair, quand on veut entrer dans notre parti, on ne pose pas de questions sur la religion. Le critère, c’est d’être d’accord avec le programme.
Pourquoi déclarez-vous au «Monde» avoir «une certaine réserve» vis-à-vis de l’appellation «islam politique» «qui est occidentale»?
C’est un concept moderne qui a divisé les musulmans entre ceux qui se revendiquent comme tels et les musulmans politisés. Alors que nous avons tous la même religion. Il faut savoir aussi que cette expression a une connotation de violence.
A ce niveau, il faut faire la distinction entre démocrates et non démocrates. Nous comptons parmi les premiers. Le concept «islam politique» est utilisé pour qualifier al-Qaida et Daech. Nous sommes en guerre contre eux. Eux sont les ennemis de la démocratie dont ils disent qu’elle est honnie par la religion.
Votre base est-elle prête à vous suivre?
Les votes autour de la motion le montrent : elle a été approuvée à 80%! Les délégués ont voté pour dire oui à la séparation politique-religion. Cette motion, nous la travaillons depuis deux ans. Elle a fait l’objet de nombreux échanges : en tout 350 réunions dans tout le pays. C’est une étape sur un long processus, entamé en 1981, pour accepter la démocratie.
Pourtant, en 1981, vous étiez proche des Frères musulmans…
Nous avons exercé notre influence sur les Frères musulmans tant dans le Maghreb que dans le Machrek. Nous sommes le premier mouvement islamiste à avoir complètement accepté la référence démocratique.
Avec le parti AKP du président turc Erdogan (qu'on rapproche souvent d'Ennaha, NDLR)…
Cela se passe dans le cadre très particulier de la laïcité turque. De plus, l’AKP ne se définit pas comme mouvement islamiste.
De son côté, Ennahda, très tôt, s’est présenté comme un mouvement islamiste démocratique. Nous acceptons le verdict des urnes. Cela signifie, par exemple, que si les communistes gagnaient les élections, nous attendrions les élections suivantes.
A ce niveau, il faut dire que la révolution a facilité l’évolution en cours: elle a permis de découpler politique et religion.
Pourquoi?
Parce que la dictature partie, il n’y a plus d’argument pour que ce couplage subsiste. L’islam politique, c’était une réaction contre l’extrémisme de la dictature et l’extrémisme laïque. Mais la révolution a apaisé tout cela. Désormais, la religion est protégée par l’Etat.
La nouvelle Constitution fait la distinction entre parti et religion, entre gouvernement et mosquée. Elle interdit l’utilisation de l’espace des mosquées à des fins politiques. En 2011, quand des imams voulaient être candidats aux législatives, nous les avons invités à plutôt choisir la prédication.
L’étape d’aujourd’hui est donc le résultat d’un long processus dans le parti et dans le pays. Ce changement a commencé il y a 25 ans. Cela n’a donc rien d’étonnant que la motion ait recueilli 80% des votes lors du congrès.
Arriverez-vous à convaincre ceux qui vous accusent de «duplicité» et de «double langage»?
(sourire) Ce sont toujours les mêmes clichés ! Cette réaction est logique de la part de nos adversaires. Nous sommes en concurrence politique. S’ils admettaient que notre mouvement est sincère, ils pourraient dire d’aller voter pour nous !
Au-delà, tout cela est très caractéristique de la culture politique française, qui est très laïque. Elle a du mal à accepter qu’un parti puisse être à la fois démocratique et religieux. La situation est très différente dans d’autres pays européens comme l’Italie ou l’Allemagne avec la démocratie-chrétienne.
Pour preuve de leurs accusations, vos adversaires citent souvent une vidéo de 2012, qui circule sur internet. A l’époque où Ennahda dirigeait le gouvernement, on vous y voit, filmé à votre insu, discuter avec des salafistes à qui vous demandez de faire preuve de «patience» et de «sagesse», le temps que les islamistes puissent imposer leur pouvoir…
C’était en 2012, bien avant que les salafistes n’aient recours à la violence. Il faut replacer les choses dans un concept de dialogue. Aujourd’hui, nous restons convaincus qu’il faut dialoguer avec tout le monde. Sauf avec ceux qui pratiquent la violence. Pour autant, nous sommes prêts à dialoguer avec ceux qui sont emprisonnés pour les ramener à la raison.
Ceci dit, nous pensons que le phénomène de la violence politique est complexe. Pour le vaincre, il faut rechercher une approche multidimensionnelle : militaire, juridique, policière, culturelle, philosophique… Il ne faut exclure aucune dimension.
Comment voyez-vous l’avenir de la Tunisie?
L’islam démocratique est l’avenir. La Tunisie peut être un modèle de démocratie pour le reste du monde arabe.
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