"J'ai été vraiment choqué" : à Gaza, un père de famille qui collectait des dons victime d'une usurpation d'identité
Comme de nombreuses familles palestiniennes, Mahmoud Abodalo a lancé une cagnotte en ligne. Son nom et les vidéos de son fils ont été dupliqués par des escrocs qui ont profité de l'émotion des internautes.
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Tout commence par une vidéo de quelques secondes sur TikTok. Alors que l'algorithme du réseau lui suggère des dizaines de témoignages poignants de familles gazaouies, Fanny Guichard s'arrête sur celui d'un papa qui filme son fils endormi. Un"bébé tellement joli en train de dormir paisiblement, décrit-elle. Et tout à coup on entend des bombes et dans son sommeil, il se met à sursauter. C'est l'innocence face à l'horreur". La Lausannoise clique sur le compte qui a publié les images et "d'un coup", voit "qu'il y a une cagnotte". "Il y avait une facilité de paiement, poursuit-elle. Comme j'étais touchée, je me suis dit, allez, je donne 50 euros".
Depuis le début de la guerre à Gaza, les appels aux dons en ligne se multiplient sur les réseaux sociaux. Alors que l'accès à l'aide humanitaire est rendue chaotique, voire impossible, ces cagnottes sont pour de nombreux Gazaouis, le seul moyen d'acheter à manger dans l'enclave. Généralement mises en ligne sur des plateformes comme Gofundme par des intermédiaires internationaux, ces campagnes numériques sont ensuite relayées par les familles palestiniennes via leurs comptes TikTok, Instagram ou X.
À la recherche du vrai père palestinien
Au lendemain de son virument impulsif, Fanny Guichard, qui est elle-même créatrice de contenus sur Instagram, se met à douter de l'authenticité de la cagnotte en ligne. "Une espèce d'intuition", résume-t-elle. Elle retourne sur le compte TikTok sans son "masque émotionnel" et récolte une série "d'indices" troublants. Sur les vidéos où apparaissent le petit garçon et son papa gazaouis, un texte empiète systématiquement et largement sur l'image. "Je me suis dit : il n'y a aucune logique, se souvient Fanny Guichard. Si vraiment on construit une vidéo et on fait un montage, on ne va pas le cacher avec un gros texte au milieu". Elle apprendra par la suite qu'il s'agit d'un procédé destiné à cacher le watermark, ce filigrane discret qui permet d'authentifier un contenu, une sorte de "copyright".
"La deuxième alerte, ajoute la créatrice de contenus, c'est qu'en story, soit [le compte TikTok suspect] ne partageait que ses posts, soit il mettait continuellement la même actualité". Alors que, observe-t-elle, les habitants de Gaza ont tendance, au contraire, à multiplier les "photos très réalistes et très simples". Et puis, surtout, Fanny Guichard découvre que plusieurs comptes, sur TikTok et Instagram, utilisent le nom et les vidéos du père de famille palestinien et de son fils âgé de deux ans. En quelques jours, elle parvient à entrer en contact avec le vrai Mahmoud Abodalo.
Le Gazaoui comprend, grâce à leurs échanges, qu'il a été victime d'une usurpation d'identité et que des internautes, comme Fanny Guichard, ont versé de l'argent sur une cagnotte qui n'est pas la sienne."J'ai été vraiment choqué, raconte Mahmoud Abodalo à franceinfo. Je n'aurais jamais pu imaginer que des gens puissent faire ça, qu'ils puissent collecter de l'argent et demander de l'aide en utilisant mon nom et celui de mon fils Amir. Alors qu'ils n'en ont pas besoin". Non seulement le ou les escrocs ont usurpé le nom du père de famille gazaoui, dupliqué ses images et son histoire mais ils ont aussi copié l'identité visuelle de la plateforme de dons Gofundme plébiscitée par les gazaouis.
Des fonds pour "acheter des légumes au marché"
Si Mahmoud et sa femme Iman ont décidé de faire appel à la générosité des internautes, c'est dans l'espoir de réunir assez de fonds pour un jour quitter Gaza. Pour offrir un meilleur avenir à leur fils Amir né le 12 octobre 2023, au tout début de la guerre. Mais comme nous le raconte Iman au téléphone, alors que l'on distingue le rire du petit garçon en arrière plan, la cagnotte leur a tout simplement permis, ces derniers jours, d'acheter "des produits essentiels, le pain ou les légumes". La mère de famille précise :"Les légumes au marché, il y en a très peu et, vous savez, ils sont très chers. Parfois, on achète aussi des vêtements pour Amir".
Contactés par franceinfo, les responsables de TikTok France assurent avoir supprimé cinq comptes qui usurpaient l'identité de Mahmoud Abodalo. Mais cela n'empêche pas l'escroquerie de continuer. Certains de ces comptes clones sont toujours en ligne sur Instagram, tout comme plusieurs fausses cagnottes. "Malheureusement, nous avons récemment constaté l'existence de sites imitant notre plateforme", déclare à franceinfo Elisa Liberatori Finocchiaro, directrice des affaires générales de Gofundme. L'objectif de ces fraudes, affirme-t-elle est "d'hameçonner des informations ou des dons pour en fin de compte, arnaquer les gens".
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