Aux Pays-Bas, après le meurtre d'une adolescente, les femmes revendiquent un "droit à la nuit"

La mort de Lisa, 17 ans, tuée alors qu'elle rentrait d'une soirée à Amsterdam à vélo, émeut tout le pays.

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
De nombreuses personnes rendent hommage à Lisa, tuée entre Amsterdam et Abcoude dans la nuit du 19 au 20 août 2025. (OLAF KRAAK / ANP MAG via AFP)
De nombreuses personnes rendent hommage à Lisa, tuée entre Amsterdam et Abcoude dans la nuit du 19 au 20 août 2025. (OLAF KRAAK / ANP MAG via AFP)

Un meurtre qui choque la société néerlandaise. La jeune Lisa, âgée de 17 ans, a été tuée de plusieurs coups de couteau alors qu'elle rentrait chez elle, près d'Amsterdam, après avoir passé une soirée entre amies, dans la nuit du mardi 19 au mercredi 20 août. L'attaque provoque une onde de choc aux Pays-Bas, où les femmes réclament le droit de sortir la nuit en toute sécurité.

"La situation a rapidement dégénéré"

Mardi 19 août dernier, Lisa passe la soirée avec des amies dans le centre d'Amsterdam. Vers 3h30, le groupe se sépare, la jeune femme de 17 ans se dirige vers chez elle, à Abcoude, à une quinzaine de kilomètres de là, avec son vélo électrique, tandis que les autres prennent un taxi. "Elle roulait depuis peu lorsqu'elle s'est aperçue qu'un homme la suivait, retrace le quotidien belge néerlandophone Het Nieuwsblad. L'inconnu a commencé à l'importuner. Elle a appelé le 112 pour demander l'aide de la police. Mais la situation a rapidement dégénéré et la police a entendu en direct la jeune fille être agressée."

Des fleurs sont déposées sur les lieux du crime qui a coûté la vie à Lisa. (ROBIN UTRECHT / ANP via AFP)
Des fleurs sont déposées sur les lieux du crime qui a coûté la vie à Lisa. (ROBIN UTRECHT / ANP via AFP)

Le lieu de l'agression est localisé grâce aux données du téléphone de la victime mais, même si les policiers arrivent moins de 10 minutes après son appel, il est déjà trop tard. Ils découvrent le corps sans vie de Lisa gisant sur le bas-côté de la piste cyclable, alors que son meurtrier s'est volatilisé. Selon les premiers éléments de l'enquête, la jeune Néerlandaise a été attaquée avec un couteau et n'a pas été agressée sexuellement.

Le chef de la police d'Amsterdam revient sur les circonstances du drame, vendredi 22 août : "Son lieu et la grande violence qui le caractérise ont permis d'établir un lien avec deux affaires précédentes." Un suspect, un homme de 22 ans sans abri et demandeur d'asile, est identifié et arrêté. Le meurtre de Lisa fait alors l'objet d'une récupération politique, à deux mois des élections législatives anticipées. Le leader d'extrême droite Geert Wilders s'empresse de réclamer, sur X, "le blocage total du droit d'asile" aux Pays-Bas.

"Nous revendiquons la nuit"

La mort de Lisa provoque surtout une vive émotion au sein de la population néerlandaise. De nombreux témoignages de femmes agressées dans l'espace public apparaissent dans les médias et sur les réseaux sociaux. Notamment celui de l'autrice Lois Kruidenier, qui détaille ses stratégies quand elle sort le soir : "J'essaye d'être le plus invisible possible", publie-t-elle sur Instagram. Sous son post, qui recueille plus de 70 000 likes, elle commente : "C'est vraiment fatigant et triste de devoir continuer à partager ça."

Le texte d'une autre autrice, Nienke's Gravemade, teinté de colère et publié sur Instagram avec le hashtag "#rechtopdenacht" ("droit à la nuit" en néerlandais), devient viral. "Pourquoi ne prend-elle pas un taxi avec ses amies ? Est-ce sage de faire du vélo seule ?", écrit-elle notamment. L'autrice évoque tout de suite après, "la honte" qu'elle a ressentie en se posant de telles questions : "Car comment oserais-je la rendre complice ? D'où sortons-nous, en tant que société, l'audace de rendre les filles et les femmes complices de leurs propres malheurs, de leurs propres traumatismes, de leur propre mort ?", poursuit-elle.

La cagnotte "Nous revendiquons la nuit" a permis de récolter plus de 500 000 euros. (ROBIN UTRECHT / ANP MAG via AFP)
La cagnotte "Nous revendiquons la nuit" a permis de récolter plus de 500 000 euros. (ROBIN UTRECHT / ANP MAG via AFP)

"La nuit est celle de l'homme dans les buissons, du sexe sans consentement et de la mort qui nous talonne. […] L'obscurité nous impose encore plus de restrictions, de limites et de manque de liberté. Je revendique la nuit. Je revendique les rues. […] J'exige que les filles de 17 ans rentrent chez elles en toute sécurité", conclut l'autrice dont le post est liké par près de 250 000 personnes et également publié par le journal Het Parool. Dans la foulée du texte de Nienke's Gravemade, une cagnotte est lancée en ligne afin de financer une campagne de sensibilisation pour que les femmes puissent se sentir en sécurité partout. Intitulée "Wij Eisen de nacht" ("Nous revendiquons la nuit"), celle-ci est désormais terminée après avoir récolté plus de 500 000 euros, dépassant "toutes les attentes" de ses initiateurs.

"Tous les huit jours, une femme est tuée"

Pourtant, d'autres voix aux Pays-Bas rappellent que, comme ailleurs, ce n'est pas dans la rue que les femmes encourent le plus de dangers, mais dans la sphère privée. Dans plus de la moitié des cas, les femmes sont assassinées par "leur partenaire ou ex-partenaire", explique Marieke Liem, professeure à l'université de Leyde et spécialiste de la violence domestique, auprès de NOS, l'audiovisuel public néerlandais. "Les féministes le répètent ces dernières années : ce n'est pas dans la rue mais à la maison que les femmes (et les enfants) courent le plus grand danger", complète une journaliste du quotidien progressiste De Volkskrant.

"Tous les huit jours, une femme est tuée aux Pays-Bas", indiquait l'association féministe Dolle Mina, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars dernier. Dans le pays, le féminicide n'existe pas officiellement. L'association, rapporte le site belge 7 sur 7, milite "pour la reconnaissance du féminicide en tant que forme spécifique et structurelle de violence liée au genre, et pour l'ouverture de davantage de lieux d'accueil pour les victimes potentielles".

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