Vrai ou faux Guerre en Ukraine : y a-t-il des pénuries d’essence en Russie, comme l'affirme Volodymyr Zelensky ?

Article rédigé par Noémie Lair, Thomas Pontillon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des stations services sont à sec. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)
Des stations services sont à sec. (ALEXANDER NEMENOV / AFP)

Dans un tweet très partagé, le chef d’État Ukrainien a affirmé que la Russie manque de carburant et doit désormais puiser dans ses stocks stratégiques. Des publications sur les réseaux sociaux montrent effectivement des difficultés pour les Russes à faire le plein.

Le 3e pays producteur de pétrole au monde manque-t-il d'essence ? Dans une vidéo partagée sur le réseau X, Volodymyr Zelensky affirme que la Russie fait face à des pénuries de carburant " à hauteur de 20% de ses besoins". Le chef d’État ukrainien dit s’appuyer sur des données confirmées par ses services.  

On trouve facilement sur les réseaux sociaux des Russes qui se plaignent de la situation. Soit ils partagent des vidéos où l’on voit des files d’attente interminables devant les stations-service, avec parfois des dizaines de voitures les unes derrière les autres pour pouvoir faire le plein. "Certains arrivent dès 4h du matin avec un thermos de café", dit un homme dans une vidéo publiée sur Telegram.

Soit ils partagent des photos des prix à la pompe pour se plaindre de la forte hausse des prix, qui tutoient des records. D’après Rosstat, au 1er septembre, l'essence au détail coûtait 6,7% de plus que fin 2024, et ce, malgré une forte baisse du prix du baril de brut

Une pénurie visible dans la presse locale

Ces pénuries ne sont pas visibles uniquement sur les réseaux sociaux. La presse internationale en parle, comme franceinfo en août dernier. La presse russe aussi. Par exemple, un journal local près de la région de Vladivostok, à l’extrême est de la Russie, évoquait dès cet été de longues files d’attente pour pouvoir faire le plein. Photos à l’appui, les différents articles mentionnent “une pénurie qui s’intensifie”,  la faute selon eux aux nombreux touristes de l’été. La presse russe pointe aussi parfois le rôle de l’agriculture qui utilise du carburant pour les tracteurs, elle évoque aussi des difficultés dans l’acheminement du carburant. 

Ces témoignages proviennent de différentes régions russes, et sont largement repartagés sur les réseaux sociaux ukrainiens qui se félicitent de voir que les pénuries touchent plusieurs régions de Russie. On trouve des exemples dans différentes villes et provinces du pays. Par exemple, en Crimée, région ukrainienne annexée par la Russie en 2014, des médias locaux font état de restriction de vente. Les clients sont aussi rationnés en Sibérie ou dans la région de l’Oural, au centre du pays. Seule la capitale, Moscou, et ses alentours semblent épargnés.  

Des données officielles inexistantes

Est-ce que ces messages reflètent la réalité des pénuries en Russie et les 20% d'approvisionnement manquant cité par Volodymyr Zelensky ? C'est difficile à dire précisément : les données officielles concernant la production de produits pétroliers ne sont plus actualisées depuis plusieurs mois par Rosstat, l'agence russe des statistiques. On retrouve malgré tout le chiffre cité par le chef d'État ukrainien dans une partie de la presse russe. Le journal économique Kommersant, repris par le Washington Post, cite un "acteur du marché" qui estime que la Russie n'arrive plus à produire 400 000 tonnes d'essence sur les deux millions de production mensuelle habituelle, soit précisément 20%.

Il y a par ailleurs d'autres indicateurs. À commencer par les informations délivrées par des agences russes spécialistes du secteur. Fin septembre, l’agence OMT-Consult estimait sur Telegram que "2,6 % des stations-service avaient quitté le marché" depuis le milieu de l’été, soit "environ 360 stations". "Les réseaux indépendants sont confrontés à une pénurie de stocks, tandis que les nouvelles livraisons en provenance des raffineries subissent des retards", écrivait cette agence il y a encore quelques jours.  

Un marché noir s'organise

C’est encore pire dans certaines régions les plus touchées, comme la Crimée, où le nombre de stations-service proposant de l’essence "a diminué de 50 %" entre le 28 juillet et le 22 septembre "en raison de perturbations dans les approvisionnements", toujours selon OMT-Consult.  

La pénurie est telle que cette agence dit observer "une recrudescence du commerce illégal de carburant". "Sur les plates-formes d’annonces en ligne, on voit de plus en plus souvent des offres de vente en gros d’essence, tandis que dans certaines régions, des escrocs ont commencé à vendre de faux bons de carburant", écrivait-elle lundi dernier sur Telegram.

Enfin, autre indice sur la situation du pays : le gouvernement a restreint fin septembre les exportations de produits pétroliers jusqu'à la fin de l'année et prolongé l'interdiction sur celles d'essence, reconnaissant faire face à "une petite pénurie".

Les drones plus forts que les sanctions 

Ces pénuries ne s’expliquent pas tant par les sanctions internationales sur le pétrole russe, qui "ne fonctionnent pas", selon Adi Imsirovic, directeur du cabinet Surrey Clean Energy, interrogé par l'AFP, mais par l’efficacité des frappes de drones de l’Ukraine. Kiev intensifie depuis début août ses frappes sur les raffineries et les infrastructures pétrolières russes, avec une trentaine d'attaques revendiquées, y compris assez loin à l'intérieur des terres. Moscou n'a pas quantifié l'impact de ces frappes, mais plusieurs analystes cités par l’AFP évoquent une baisse de la production des raffineries d’environ 10% depuis le début de l'année. 

L’agence russe Seala affirme même avoir relevé un pic des arrêts de raffineries à 38% en septembre, toutes causes confondues. "Selon nos estimations, 70 % de ces arrêts étaient dus à des drones ukrainiens, le reste étant des réparations planifiées", écrivait-elle sur Telegram le 2 octobre. "Les incendies dans les raffineries de pétrole, les terminaux, les dépôts pétroliers russes sont les sanctions les plus efficaces", s’était d'ailleurs félicité le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la mi-septembre.

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