Pascal Butterlin: le saccage du patrimoine en Syrie n'est «sans doute pas fini»
Depuis bientôt quatre ans, la Syrie est plongée dans une guerre civile qui aurait fait plus de 200.000 victimes. Dans le même temps, le très riche patrimoine du pays a été touché par des destructions massives et des pillages à grande échelle. Entretien avec Pascal Butterlin, directeur de la Mission archéologique française de Mari (est du pays) et professeur à l’université Paris I.
On peut dire qu’il s’agit de la plus grosse catastrophe patrimoniale depuis la Seconde guerre mondiale. Au moins 80 ou 90 sites ont été touchés par les dégâts collatéraux des combats. Des groupes comme Daech s’en sont pris à des monuments, notamment musulmans, en Irak et en Syrie. Dans certains cas, des statues auraient aussi été détruites.
Quels sites ont été touchés ?
Il faut distinguer la Syrie des grands sites touristiques et celles des tells archéologiques (‘«colline artificielle, tertre ou tumulus formé par des ruines», selon la définition du Petit Robert, NDLR). Les premiers, implantés dans des zones d’affrontements très violents, ont souvent subi des dégâts collatéraux de la part de combattants qui manquent de connaissances de base sur les monuments.
Le centre-ville d’Alep a ainsi été détruit à près de 60%. Le minaret de la mosquée des Omeyyades, qui date du XIe siècle et qui avait échappé aux croisades, a été dynamité pour lutter contre les snipers. La citadelle, et d’une manière générale tous les grands monuments de la période ottomane ou mamelouke, ont été touchés. Celle d’Apamée (nord-ouest) a, elle aussi, subi des destructions. Le site classique d’Apamée (400 ha) a été systématiquement pillé.
La grande mosquée d'Alep endommagée par le conflit
Le krak des chevaliers, célèbre citadelle construite par les croisés dans l’ouest du pays, a été très gravement touché. Il y a également des destructions à Palmyre. Comme dans la ville antique de Doura Europos (est) où a été retrouvée une synagogue du IIe siècle de notre ère, avec des peintures magnifiques (conservées au musée de Damas). Une «maison chrétienne» y a été systématiquement pillée.
Dans le même temps, toute une série de sites ont été réoccupés par des réfugiés ou des combattants. Comme dans le Massif calcaire (nord), où les populations ont réinvesti des vieilles maisons romaines.
Qu’en est-il pour les tells, dont vous parliez à l’instant ?
Là, on assiste à des pillages et des fouilles clandestines sur lesquelles nous avons peu d’informations. Apparemment, ces pillages sont le fait d’initiatives locales, de mèche avec des réseaux mafieux internationaux, et liées à une forte demande, notamment en Asie et dans le Golfe. Les objets sortent par les camps de réfugiés en Turquie et au Liban. On assiste parfois à des combats entre «opérateurs» de fouilles pour savoir qui doit piller. Dans le même temps, le groupe Daech prélève des taxes (khums) sur ces trafics (de 20 à 50% du prix).
Sur le site de Mari dans la vallée de l’Euphrate, à la frontière irakienne, par exemple, dont Daech s’est emparé, on a pu constater, grâce à des images satellite, qu’entre avril et décembre, le nombre de trous de fouilles clandestines a été multiplié par quatre sur une zone de 180 ha. La maison des fouilles a notamment été pillée.
Tout le pays est donc mis en coupe réglée…
Les zones les moins endommagées se situent sur la côte méditerranéenne. Pour le reste, il n’y a vraiment aucun signe encourageant. Et le phénomène des destructions et des pillages n’est sans doute pas fini !
En dehors des initiatives de l’Unesco, rien n’est donc fait pour tenter de contrer le saccage de ce patrimoine ?
Sur place, on assiste à une mobilisation très forte des archéologues syriens qui tentent d’intervenir partout où ils peuvent.
Mais au-delà, il faut voir que dans cette région, on assiste en ce moment à une liquidation de l’héritage mandataire. Les Etats nés au XXe siècle sont en train de se remodeler. C’est au cours de cette période, entre les deux guerres, que sont nées les institutions de défense du patrimoine, notamment les grands musées tels que nous les connaissons aujourd’hui. Ces institutions ont été développées par les Etats devenus indépendants après guerre.
Et avec les évènements auxquels nous assistons, la gestion de ce patrimoine est forcément appelée à évoluer. On ne sait donc pas ce que réserve l’avenir et si les priorités resteront les mêmes. Daech, par exemple, ne s’intéresse pas à la période pré-islamique, époque considérée comme celle de l’ignorance. Une chose est sûre : en détruisant le patrimoine, on détruit la mémoire du passé. Et la mémoire, c’est l’avenir des peuples.
La destruction du passé syrien
Vidéo New York Times (en anglais), 10 avril 2013
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