Narcotrafic : comment la loi des dealers s'impose à Rennes

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Article rédigé par France 2 - C. Vérove, A. Burlat, A. Da Silva - Édité par l'agence 6Medias
France Télévisions

La rédaction de France Télévisions a mené une enquête exceptionnelle sur le narcotrafic, qui était encore un non-sujet il y a quelques années en Bretagne. Aujourd'hui, le trafic de drogues explose à Rennes, la capitale bretonne. Les règlements de comptes y sont de plus en plus nombreux, et de plus en plus violents.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Sur la palissade d'une zone pavillonnaire autour de Rennes (Ille-et-Vilaine), on peut observer deux impacts de balles. Les traces de tir à la kalachnikov ont été dirigées vers la maison de la propriétaire, alors qu'elle se trouvait dans son salon. "Je me suis dit que ce n'étaient pas des pétards, et que quelque chose se passait. Je ne voulais pas sortir parce qu'on ne sait jamais. Une balle perdue, ce serait dommage", livre l'habitante.

Il s'agissait du début d'un violent règlement de comptes à l'arme lourde lié au trafic de drogue. Ce jour-là, les assaillants poursuivent les occupants d'un point de deal sur plusieurs centaines de mètres, jusque dans un restaurant où déjeunait un élu municipal.

"J'étais assis sur la chaise qui est devant la porte. Donc, en fait, au moment où je les ai vus arriver devant moi, il n'y avait aucune échappatoire. Je n'avais plus le temps de partir, de courir, de me réfugier. On a juste eu le temps de se jeter au sol. Il y a six ou sept balles qui ont été tirées. C'est passé à quelques centimètres. Ils ont tiré à l'arme lourde", explique Charles Compagnon, conseiller municipal de Rennes.

Des lieux de deal dans toute la ville

Aujourd'hui, le calme est revenu dans le quartier. Mais l'élu d'opposition tient à nous montrer d'autres lieux de Rennes où les narcotrafiquants se sont installés. Alors que nous le suivons vers un centre commercial, notre arrivée est annoncée par l'écrit des guetteurs. Nous ne sommes visiblement pas les bienvenus. Les trafiquants nous empêchent d'aller plus loin, alors c'est en caméra discrète que nous filmons. Nos interlocuteurs ne font aucun secret de leur trafic.

"Je veux bien qu'on nous dise qu'il n'y a pas de narco-quartier, je l'entends. Sauf que la réalité de ce qu'on vient de vivre, c'est qu'il y a des narco-quartiers. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont dans le business de la drogue et qui disent à certaines personnes : 'Toi, tu rentres, toi tu ne rentres pas, toi tu passes, toi tu ne passes pas, toi tu filmes, toi tu ne filmes pas'."

Aujourd'hui, Rennes compte 34 points de deal selon la préfecture, trois fois plus qu'il y a 15 ans. La quasi-totalité est concentrée dans quatre quartiers, les plus défavorisés de la ville. Des zones sont aménagées par les trafiquants pour freiner la police. De jeunes adolescents installés sur des chaises au beau milieu de la rue surveillent les environs afin de permettre la vente en toute tranquillité les petits pochons de drogue.

Un marché rennais fructueux

Petites mains de ce trafic, on retrouve des centaines de jeunes, mineurs dans trois quarts des cas, comme un adolescent de 17 ans, déscolarisé, que nous avons rencontré. Sa mère, dit-il, s'occupe de ses cinq frères et sœurs. Depuis trois mois, il travaille comme guetteur. "Je suis payé entre 100 et 150 euros par jour, mais si tu vends c'est 250-300. Ma mère, elle est vraiment en galère. Je n'aime pas faire ça, je ne mens pas, je n'aime vraiment pas faire ça. J'essaie de me débrouiller comme je peux", confie le jeune mineur.

Guetter ou dealer, c'est la garantie de grosses sommes d'argent, car les points de deal rennais sont lucratifs : 20 000 euros par jour, estiment les policiers. Un marché fructueux, où les clients sont trois fois plus nombreux qu'il y a 10 ans. Installé à Rennes depuis deux ans, un salarié dans la communication que nous avons interrogé a une routine chaque soir : "Je finis le travail à 18h, à 18h20 je suis chez moi, à 18h21 je fume jusqu'à l'heure de me coucher." Il dépense 150 euros pour du cannabis chaque mois et sur son téléphone, il peut décider à tout instant de se faire livrer n'importe quelle drogue.

"Le hasch, donc la résine, la weed, le cannabis. On descend. Zipette, c'est de la cocaïne. C'est complètement un supermarché. Je suis conscient de ce qui se passe. Je sais que ça tire. Je suis conscient qu'il y a des gens qui meurent à cause de ce trafic-là. Mais en fait, l'aspect marketing, plus l'aspect livraison... tout est fait pour qu'on soit le plus loin possible de ce théâtre-là. On veut juste un produit et on ne va pas faire attention aux conséquences", explique-t-il.

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