Condamnation de Nicolas Sarkozy : "C'est un vrai débat, la question de l'exécution provisoire, mais ça ne relève pas des juges, ça relève du Parlement", pointe Clément Beaune, Haut-commissaire au Plan

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Article rédigé par France 2 - Édité par l'agence 6Medias
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Haut-commissaire au Plan, ex-ministre des Transports et figure du parti Renaissance, Clément Beaune réagit dans les "4 Vérités" du vendredi 26 septembre à la condamnation de Nicolas Sarkozy, jeudi, à cinq ans de prison avec mandat de dépôt différé, qu'il reconnaît comme "un choc dans la vie politique française".

La condamnation, jeudi 25 septembre, de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ferme avec mandat de dépôt différé, et donc exécution provisoire, pour association de malfaiteurs - une peine qu'il conteste en appel - dans le procès portant sur les soupçons du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, fait l'effet d'une déflagration dans la vie politique française. Invité des "4V" sur France 2 vendredi, Clément Beaune, ancien ministre des Transports et figure du parti présidentiel, devenu Haut-commissaire au Plan à la suite de François Bayrou, revient sur cet événement, appelant toutefois à "respecter la justice jusqu'au bout".

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jeff Wittenberg : Je voudrais savoir comment vous avez réagi à cette secousse particulièrement forte qu'a connue la vie politique, avec cette condamnation d'un ancien président de la République à de la prison ferme, à une prochaine incarcération. Évidemment, vous allez me dire qu'on ne commente pas une décision de justice, mais est-ce que vous pouvez nous dire comment vous avez vécu l'annonce de ce jugement contre Nicolas Sarkozy hier ?

Clément Beaune : C'est évidemment un choc dans la vie politique française, mais ce n'est pas une formule de politesse de dire qu'on ne commente pas une décision de justice, parce qu'aujourd'hui, j'ai l'impression que cela devient l'exception. Donc je pense que dans ces moments-là, qui sont des moments effectivement d'événement et de choc, il faut garder quelques principes, plusieurs d'ailleurs : ne pas commenter une décision de justice, c'est-à-dire ne pas attaquer non plus la justice. Il y a eu beaucoup de réactions en ce sens dans les mots ou les tweets de responsables politiques. Ça veut dire respecter la justice jusqu'au bout. Le président Sarkozy a indiqué qu'il faisait appel, c'est son droit de citoyen. Il faut aussi le respecter. Et puis, je crois qu'il faut garder cette sérénité. J'ai vu beaucoup, de l'autre côté du spectre politique, si je puis dire, de tweets, de commentaires qui relevaient de la haine parfois. Je crois qu'il ne faut pas se laisser aller à ce genre de réactions.

Il y a, comme vous le précisez, un appel qui a été formé dans ce cadre. Est-ce que vous trouvez normal, parce que ça devient, on va dire, une habitude, puisque c'était le cas pour Marine Le Pen aussi en avril dernier, que soient prononcés des jugements avec exécution provisoire, c'est-à-dire qu'avant même l'appel, on exécute la peine, et ce sera le cas pour Monsieur Sarkozy, qui ira en prison même s'il peut être acquitté en appel. Qu'en pensez-vous ?

On l'a un peu oublié dans le commentaire d'hier que Nicolas Sarkozy a le droit à l'appel, et je comprends qu'il va le faire. Il faut sortir de cette confusion des commentaires, pour les responsables publics en particulier. Cette possibilité d'exécution provisoire est prévue par la loi, et donc elle est ensuite appliquée ou pas par les juges en fonction des circonstances. Il ne faut pas se focaliser sur un cas d'espèce ; c'est un vrai débat, la question de l'exécution provisoire, comme la question de la détention provisoire d'ailleurs. Mais ça ne relève pas des juges, ça relève du Parlement, de savoir si on change ou pas des règles, de manière générale, sur ces questions d'exécution provisoire. Mais il ne faut pas le faire à chaud, je crois, sur un cas aussi évidemment inouï soit-il, aussi important soit-il, parce qu'il concerne l'ancien président de la République.

Mais est-ce que vous pouvez entendre que, justement, cette exécution provisoire qui est prévue par la loi, mais qui est décidée par le juge, elle se fait à la tête du client, selon Nicolas Sarkozy, et ces avocats, hier, qui ont mentionné ce fait ? Il y a aussi des cas où l'exécution provisoire n'est pas prononcée. Est-ce que vous pensez qu'il faudrait changer cette loi ?

C'est le principe général en droit français de l'individualisation des peines. Les juges décident dans un cadre légal et ensuite, il y a une appréciation. C'est ça que je ne vais pas commenter. En revanche, et c'est pour ça qu'il faut distinguer les choses, réagir sur un cas en particulier, je pense que c'est dangereux. Se poser des questions de principe sur l'exécution provisoire, je le disais sur la détention provisoire, qui est aussi contestée dans notre pays, ce sont des questions de fond, mais il ne faut pas le faire à chaud, sur le choc d'un événement.

Il y a un débat, et il faudrait aller plus loin.

Ce débat, il avait déjà existé. Souvenez-vous que plusieurs responsables politiques l'avaient soulevé au moment de la condamnation de Madame Le Pen. J'ai d'ailleurs vu que Madame Le Pen s'était engouffrée dans la brèche. Mais le faire pour des circonstances d'espèce sur des cas particuliers, politiques en particulier, je crois que ce n'est pas bon pour la sérénité des débats. Dans quelques mois, dans quelques années, ayons ces débats au Parlement et n'accablons pas les juges d'appliquer un cadre légal qui existe.

Nicolas Sarkozy en a appelé aux Français hier. Est-ce que cette condamnation, malgré tout, aux yeux des citoyens, ne jette pas un discrédit sur l'ensemble de la classe politique ? Si un ancien président est en prison, c'est qu'ils sont, pardonnez-moi l'expression, mais pour beaucoup d'entre eux, "tous pourris" ? Est-ce que l'image de la classe politique ne va pas être dégradée encore par cette décision ?

C'est pour ça qu'il faut être responsable dans nos commentaires, en ne faisant pas un match entre la politique et la justice. Je pense que c'est délétère, et ça détruit de la confiance partout. Je ne crois pas du tout au "tous pourris". J'ai vu des centaines de responsables politiques. Moi, ça ne fait pas longtemps que je suis actif en politique : des maires, des élus, des ministres, partout en France, de toute sensibilité politique, qui font leur boulot avec dévouement. Et je crois que les gens qui ont un parcours politique, quand bien même il y aurait des condamnations, et ça, ça n'appartient pas à nous de juger, ce sont des gens qui ont donné du temps, de l'énergie pour leur pays. Il ne faut pas, je crois, oublier cela.

"Une mesure fiscale ne fera pas l'ensemble du budget de 2026"

Est-ce que vous appréciez, avant de parler du fond, la méthode Sébastien Lecornu ? Peu ou pas de déclarations, beaucoup de choses qui se passent en coulisses, derrière des portes fermées, avec des négociations avec les syndicats, les partis politiques, ça tranche avec son prédécesseur François Bayrou. Est-ce que c'est la bonne méthode, selon vous ?

Oui, c'est la bonne méthode de faire beaucoup de consultations et beaucoup de sobriété. Il y a un certain nombre de décisions très concrètes, un peu symboliques, qu'a annoncé le Premier ministre sur la suppression d'un certain nombre de structures étatiques ministérielles. Et puis, il y a une consultation, y compris avec les forces syndicales, les forces patronales, vu la situation dans laquelle on vit. C'est en fait reconnaître la réalité, car il faut l'assumer, il n'y a pas de majorité dans ce Parlement. On voit toutes les formations politiques depuis un an, comme si tout le monde avait gagné ou tout le monde était majoritaire. Ce n'est pas le cas. Ce qu'a dit très clairement Sébastien Lecornu dès le départ, c'est qu'il faut acter enfin cette réalité. Et donc, cela nécessite de prendre du temps pour chercher un compromis.

Vous avez parlé de quelques annonces, notamment sur les suppressions d'avantages pour les anciens ministres. Les gros morceaux sont encore devant nous, si j'ose dire. Par exemple, taxer les revenus les plus riches ou les patrimoines les plus riches, c'est un débat qui est vraiment le débat du moment. Est-ce que vous, vous y êtes favorable ?

J'ai dit ma conviction, c'est qu'il y a un problème sur l'accumulation des patrimoines. Il y a une concentration qui est la plus forte depuis un siècle des grands patrimoines en France et en Europe. Je dis qu'il faut une réponse européenne d'ailleurs, parce que le capital, il bouge. Sur le numérique, on s'est mis à prendre l'initiative et ça a permis une taxation des fameuses GAFA par l'action de la France. Donc on peut le faire au niveau européen. Peut-être qu'il faut une mesure française en attendant. Il faut en revanche beaucoup de prudence, parce que si on taxe l'outil de production, là ce ne sont pas les chefs d'entreprises ou les riches qu'on va cibler. C'est l'emploi en France et l'innovation en France. Je crois que ce n'est le but de personne. Et surtout, il faut dire une vérité : c'est qu'une mesure fiscale, pourquoi pas, si elle est bien calibrée, mais ça ne fera pas l'ensemble du budget de 2026 et l'ensemble de l'effort. Je suis très frappé qu'à gauche, on ait trouvé la solution miracle, c'est "taxons les riches", et à droite, on a trouvé la solution miracle, c'est "tapons les dépenses pour l'immigration".

Alors, c'est quoi la solution miracle du centre que vous représentez ?

Eh bien, cela sera de faire des économies sur l'ensemble des postes de dépenses publiques : les dépenses de l'État, les dépenses des collectivités locales et la dépense sociale. On ne coupera pas à cela par une mesure fiscale, aussi justifiée soit-elle.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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