Condamnation de Nicolas Sarkozy : "Cette décision va avoir un impact sur le fond démocratique du pays, de plus en plus fragile", analyse Benjamin Morel, politologue
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La condamnation de l'ancien président Nicolas Sarkozy à une peine de prison ferme avec exécution provisoire pourrait-elle marquer un tournant dans la politique française ? Le politologue Benjamin Morel fait le point sur la question dans "La Matinale" du vendredi 26 septembre.
Nicolas Sarkozy, condamné par le tribunal de Paris jeudi à cinq ans de prison ferme, une peine avec mandat de dépôt qui devrait s'appliquer même s'il a fait appel du jugement, pourrait-il représenter un précédent majeur en politique ? Selon Benjamin Morel, politologue et maître de conférences en droit public, la décision "va avoir un impact", mais relativement peu sur ce plan.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Brigitte Boucher : Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison avec exécution provisoire pour association de malfaiteurs. L'ancien président va donc bientôt dormir en prison. C'est historique. Quel impact cela va avoir sur notre vie politique française ?
Benjamin Morel : Sur la vie politique en elle-même, cela aura un impact relativement limité, tout bêtement parce que Nicolas Sarkozy n'est pas candidat à la présidentielle, contrairement à Marine Le Pen il y a quelques mois, et n'est pas non plus aujourd'hui dans une situation d'influence majeure. Certes, il est une forme de parrain de la droite, certes sa parole peut être entendue. Néanmoins, les ponts ont été en grande partie rompus avec Les Républicains. Mais, sur le fond démocratique d'un pays qui aujourd'hui est de plus en plus fragile, cette décision va évidemment avoir un impact. Il faut comprendre ce qu'il se passe à chaque affaire judiciaire. À chaque affaire judiciaire, l'électorat se divise en deux. Celui qui soutient, ou est l'électeur de la personnalité politique qui est inculpée et qui est condamnée, en règle générale, se solidarise vis-à-vis de lui.
Donc là, les troupes de la droite se soudent autour de Nicolas Sarkozy ?
L'électorat, en règle générale, en effet, soutient. Le grand moment de rupture entre l'électorat de droite et les juges, c'est l'affaire Fillon. Mais je peux vous parler également de l'électorat Mélenchon, je peux vous parler également de l'électorat Le Pen. En d'autres termes, à chaque fois que vous avez une affaire judiciaire, une partie de l'électorat perd confiance dans la justice, là où le reste de l'électorat dit qu'il a été condamné, c'est la justice et c'est bien fait. D'une certaine façon, à force d'avoir ces affaires judiciaires, vous avez deux phénomènes de rupture. Une partie de l'électorat qui n'a plus confiance dans la politique, qui considère que la classe politique est, excusez-moi l'expression, "tous pourris". Et de l'autre côté, une partie de cet électorat qui perd confiance dans l'autre institution majeure pour une démocratie, c'est-à-dire la justice. Donc, on a une fragilisation globale des institutions d'année en année avec ces affaires. Ce qui est assez paradoxal, parce qu'en fait, ces affaires —je ne prends pas position sur le fond du dossier— sont plutôt le témoignage d'une bonne santé démocratique. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, si jamais vous avez une justice qui fonctionne et des lois qui sont bien faites, vous arrivez à trouver une voie et vous condamnez. On a probablement la classe politique la plus propre de notre histoire, pas parce que les femmes et les hommes politiques sont particulièrement moraux aujourd'hui, bien plus que naguères, mais parce qu'aujourd'hui, si vous rentrez en effet dans une logique de corruption, il y a de fortes chances d'être condamnés. Donc, par rapport à ce qui a pu exister dans les années 60, 70, 80, c'est le jour et la nuit. Néanmoins, cette multiplication des affaires fragilise les bases de la démocratie.
"Il faut arrêter avec cette idée qu'on ne peut pas critiquer une décision de justice"
Sauf que ce jugement-là, par sa dureté, interpelle pas seulement l'électorat de droite autour de Nicolas Sarkozy. On sait qu'il y a eu entre Nicolas Sarkozy et les juges une histoire compliquée. Il les avait traités de "petits pois sans saveur". Il y a eu le "mur des cons" où il était épinglé. Est-ce que l'idée de se dire qu'il peut y avoir un jugement d'exception, qu'il peut y avoir une justice particulière pour Nicolas Sarkozy, que le jugement est politique, est-ce que ça, cela peut exister ?
Il faut être tout à fait clair, on peut critiquer une décision de justice. Il faut arrêter avec cette idée qu'on ne peut pas critiquer une décision de justice. On peut critiquer une décision de justice parce qu'elle peut être contestable, elle peut être critiquable. D'ailleurs, vous savez, je fais un métier en tant qu'universitaire où notre boulot, c'est de critiquer des décisions de justice. Quand on fait des articles de doctrine, on essaie de rentrer dans la logique du juge pour comprendre ce qui aurait pu être fait autrement. En revanche, ce qu'on ne peut pas faire, c'est considérer que la décision de justice est quelque chose qui, en soi, aurait été fondamentalement politique et la diffamer. Et ça, c'est puni par le Code pénal. Deuxième élément, c'est remettre en cause l'application de cette décision de justice, s'en exempter, refuser ce qu'on appelle l'autorité de la chose jugée. Troisième chose, essayer de considérer qu'il y a un système et que ce système-là viserait à favoriser un camp politique. Autrement dit, ne pas remettre en cause une décision de justice, mais l'ensemble de l'institution judiciaire qui a été pensée pour gérer ses propres erreurs. Si jamais toutes les décisions de justice étaient parfaites, il n'y aurait pas d'appels, il n'y aurait pas de cassation, il n'y aurait pas de recours devant la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) ou le Conseil constitutionnel. Donc, oui, il peut y avoir des erreurs judiciaires, l'institution, en revanche, est faite pour y pallier.
Serge Cimino : Et la défiance envers les politiques, est-ce qu'elle ne vient pas aussi de gens qui font la loi, donc les politiques, et qui, alors que les lois sur le financement de la vie politique sont de plus en plus dures depuis 30 ans, ne cessent de les critiquer de plus en plus durement ? Ils ne critiquent pas une décision, ils critiquent parfois directement les magistrats. On l'a vu avec Marine Le Pen ou encore avec Nicolas Sarkozy. Est-ce que ce n'est pas là un danger de voir encore plus les Français s'écarter des politiques parce qu'ils remettent en cause ce pilier de la démocratie ?
On peut remettre en cause et on peut discuter du rôle d'un magistrat. Encore une fois, on peut critiquer une décision de justice, ce qui ne signifie pas ensuite diffamer le magistrat en tant que tel. Mais, de l'autre côté, je vous rejoins tout à fait, c'est-à-dire que prenons ici ce qui peut être critiqué : l'exécution provisoire. En effet, c'est très critiquable. Il y a trois piliers dans l'exécution provisoire. Soit vous êtes dans une situation où vous représentez un trouble potentiel pour l'ordre public, soit vous êtes dans une logique de potentielle récidive ou de perpétuation de l'infraction, soit il y a une chance que vous vous carapatiez à l'étranger, et donc, pour faire exécuter une peine définitive à terme, il va falloir vous garder à l'ombre. On a aujourd'hui une interprétation de cette exécution provisoire qui est fondamentalement problématique, notamment en droit pénal, parce qu'il n'y a pas de loi de recours, à la différence du civil si jamais vous êtes condamné à une peine avec exécution provisoire d'inéligibilité, il y a un peu plus de marge pour un mandat de dépôt. Mais ça, c'est un problème qui ne touche pas que les politiques. C'est un problème qui touche tout à chacun. Les peines prononcées avec exécution provisoire, elles sont devenues légion. C'est-à-dire quelque chose qui, parfois, pose problème à la Cour de cassation.
Brigitte Boucher : Mais cela ne veut pas dire que ça peut être une décision politique ?
Non, encore une fois, c'est beaucoup plus large. Mais ça ne se multiplie pas que pour Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen. Si l'on pense que c'est un problème, eh bien dans ce cas, en effet, peut-être que les jurisprudences vont trop loin, il faut changer la loi. Si on parle de l'association de malfaiteurs, le chef de l'accusation pour lequel Nicolas Sarkozy a été condamné. Oui, la loi était faite avec les pieds. Oui, le truc est hyper flou. Oui, vous pouvez tout faire entrer dedans. C'est vrai, mais qui est-ce qui l'a voté ? C'est le Parlement, ce sont les politiques. Donc, il est vrai que là-dessus, le politique se trouve en porte-à-faux quand il se trouve lui-même en première ligne, et quand c'est Monsieur, Madame tout le monde, eh bien à ce moment-là, vous avez toutes les peines du monde à faire changer la loi.
Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
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