Procès des soupçons de financement libyen : l'ancien ministre Claude Guéant plaide la "naïveté" et "l'imprudence" à la barre
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Comme Brice Hortefeux la veille, l'ex-ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy a assuré jeudi lors de son premier interrogatoire qu'il ignorait tout du passé de l'intermédiaire Ziad Takieddine.
"Une aptitude particulière à mentir", un "personnage complexe"... Ziad Takieddine doit décidément avoir les oreilles qui sifflent. Après Nicolas Sarkozy lundi, son ancien bras droit Claude Guéant a à son tour chargé l'intermédiaire franco-libanais lors de son interrogatoire au procès des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, jeudi 15 janvier, devant le tribunal correctionnel de Paris. De quoi donner raison à l'adage selon lequel "les absents ont toujours tort", l'homme d'affaires, lui-même poursuivi dans cette affaire, étant en fuite au Liban.
Les explications de Claude Guéant ont toutefois laissé sceptiques le Parquet national financier et les parties civiles. Ziad Takieddine est soupçonné de l'avoir mis en contact avec les hauts dignitaires libyens pour favoriser "le pacte de corruption" entre Nicolas Sarkozy et le dictateur Mouammar Kadhafi et d'avoir ensuite joué un rôle dans le transfert des fonds libyens destinés à la campagne du candidat de l'UMP.
"Evidemment, je me suis un peu renseigné"
"A l'époque, je n'avais aucune raison de me méfier" de Ziad Takieddine, assure Claude Guéant, jeudi, assis sur une chaise devant la barre, en raison de son âge, lui qui doit fêter ses 80 ans vendredi. Son CV, évoqué juste avant, donne peu de crédit à cette déclaration. Quand il rencontre par le biais de Brice Hortefeux cet "apporteur d'affaires" en 2003, Claude Guéant est chef de cabinet du ministre de l'Intérieur, ancien énarque et ex-patron de la police nationale. "Evidemment, je me suis un peu renseigné, je sais qu'il s'occupait d'un certain nombre de contrats", admet à demi-mot l'ancien préfet. Mais rien ne clignote, dit-il, malgré les nombreuses notes sur le personnage de la Direction de surveillance du territoire (DST, ex-service de renseignements) saisies lors de perquisitions. Claude Guéant assure, lui, qu'il ne les a "jamais vues".
C'est donc en toute "confiance" que l'ancien chef de cabinet accompagne Ziad Takieddine en Arabie saoudite pour "désembourber" un contrat rémunérateur pour la France et pourvoyeur d'emplois, qu'il se rend "à deux reprises" dans son hôtel particulier à Paris, notamment pour dîner avec Saïf al-Islam Kadhafi, fils du tyran, qu'il l'accueille chez lui "deux fois" pour parler de "la libération des infirmières bulgares en 2007", puisqu'il prend des petits-déjeuners en sa compagnie au chic hôtel Astor de la capitale, fin 2007-début 2008 pour évoquer "la reprise des relations diplomatiques de la France avec la Syrie". "C'est quelqu'un qui avait pignon sur rue, mais je ne savais pas précisément l'origine" de sa fortune "ni quel métier il faisait", soutient l'ancien secrétaire général de l'Elysée.
"Ce n'était pas connu qu'il avait été l'intermédiaire de la France ?", s'étonne le procureur Sébastien de la Touanne, qui évoque les contrats passés avec le Pakistan et l'Arabie saoudite en 1994, et dont les rétrocommissions vont donner lieu à l'affaire Karachi. "Il n'a pas mis cette expérience en avant", répond Claude Guéant, sur la défensive. "C'est un peu comme si quelqu'un postulait en disant : 'J'ai mon bac', mais pas : 'J'ai aussi fait Sciences Po et l'ENA...'", ironise le procureur.
"Face à une telle mauvaise foi, les bras m'en tombent (...) Vous avez bien caché la réalité de vos relations avec Ziad Takieddine."
Le procureur Sébastien de la Touannelors de l'interrogatoire de Claude Guéant
"Je n'ai jamais caché quoi que ce soit !", s'offusque l'octogénaire, assurant avoir mis fin à ses relations avec "monsieur Takieddine" dès lors que "les relations syriennes se sont traitées directement avec le gouvernement syrien". Le procureur oppose "deux réunions à l'Elysée en 2009", dont l'accusation a retrouvé la trace. La mémoire de Claude Guéant n'en a retenu qu'une, pour la "fermeture du dossier Senoussi". Comprendre Abdallah Senoussi, l'ancien patron du renseignement militaire libyen, condamné à perpétuité en son absence par la justice française en 1999, pour son rôle dans l'attentat du DC-10 d'UTA. Selon l'accusation, la levée de son mandat d'arrêt faisait partie des contreparties du pacte de corruption. "Vous aviez encore confiance en Takieddine après le piège qu'il vous avait tendu avec Senoussi ?", s'interroge l'avocat Vincent Ollivier, qui représente les victimes françaises de l'attentat.
"Le cardinal" en mauvaise posture
Claude Guéant a toujours affirmé que l'intermédiaire l'avait piégé en lui faisant rencontrer, hors de tout circuit officiel, Abdallah Senoussi, lors de sa visite à Tripoli le 1er octobre 2005 pour préparer celle de Nicolas Sarkozy quelques jours plus tard. Celui qui a longtemps été surnommé "le cardinal", pour sa "passion du secret, du renseignement et du réseau parallèle", comme le rappelle la partie civile, jure n'avoir rien vu venir. "Ziad Takieddine m'appelle pour me dire : 'Je vais vous faire rencontrer quelqu'un de très important'. Et c'est ainsi que je me suis retrouvé à rencontrer monsieur Senoussi", résume-t-il, elliptique.
La présidente, Nathalie Gavarino, écarquille les yeux : "Vous êtes directeur de cabinet du ministère de l'Intérieur et vous ne vous posez aucune question sur l'endroit où vous allez ?" "On m'a seulement dit que j'allais dîner dans un restaurant avec quelqu'un de très important", répète le prévenu, qui semble alors rapetisser sur sa chaise.
"Et ?", relance la magistrate. "Nous prenons un repas ensemble, nous avons évidemment bavardé des relations entre la France et la Libye et leur avenir", poursuit Claude Guéant, comme s'il ne parlait alors pas avec quelqu'un "condamné pour 170 morts", relève la présidente. "Je suis mal à l'aise", concède son interlocuteur du bout des lèvres, peinant à justifier pourquoi il ne s'est pas levé pour échapper au "traquenard".
"Si un jour, vous entendez le mot 'intermédiaire'..."
"Je n'ai pas le droit de faire un esclandre, je dois aller jusqu'au bout", au risque, sinon, de "saccager la visite de Nicolas Sarkozy et dégrader les relations", argue encore Claude Guéant, regrettant sa "naïveté" et son "imprudence". Sous les yeux de son ancien mentor, assis à deux mètres, il maintient "n'en avoir pas parlé" à son retour à Paris. "Je n'avais pas envie de dire à mon ministre que je m'étais fait berner", lance-t-il, après cet échange accablant pour sa défense.
Peut-être Claude Guéant aurait-il dû faire comme Brice Hortefeux l'a conseillé à ses enfants ? La veille, l'ancien ministre de l'Intérieur, 66 ans, ami proche de Nicolas Sarkozy, a passé lui aussi son interrogatoire à prendre ses distances avec Ziad Takieddine, malgré leur "sept à huit rencontres", entre "deux après-midi" sur le yacht de l'homme d'affaires à Antibes, des dîners dans son hôtel particulier à Paris, un voyage en Arabie saoudite et deux déplacements en Libye, lors desquels il a également rencontré Abdallah Senoussi. "Je ne minimise pas et je ne grossis pas, je dis la vérité", a juré Brice Hortefeux, avant de raconter cette anecdote : "J'ai des enfants qui ont entre 20 et 25 ans, ils m'interrogent, j'ai dû leur expliquer pourquoi j'étais ici devant vous. Je leur ai dit une chose : 'Si un jour, vous entendez le mot 'intermédiaire', vous partez en courant, vous ne restez pas'."
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