Gouvernement : "Il faut suspendre la réforme des retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Sébastien Lecornu a dans ses mains les éléments d'un compromis", estime François Hollande

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Article rédigé par France 2 - Édité par l'agence 6Medias
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Invité du "20 Heures" lundi soir, l'ancien président de la République est revenu, la veille du discours de politique générale de Sébastien Lecornu, sur les conditions posées par le Parti socialiste pour assurer la stabilité du gouvernement.

Crise politique, nouveau gouvernement, retour des otages aux mains du Hamas sur le sol israélien, dans le cadre de l'application de la première phase du plan de paix de Donald Trump… François Hollande, invité du "20 Heures" de France 2, revient, en tant qu'ancien président de la République, figure et élu du Parti socialiste, sur les principaux points de l'actualité du lundi 13 octobre, face à Léa Salamé.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Léa Salamé : Journée historique au Proche-Orient, avec la libération des 20 derniers otages israéliens retenus par le Hamas. En parallèle, celle des près de 2 000 prisonniers palestiniens. C'est la première phase du plan de Donald Trump qui a été appliquée. Pour en parler, un ancien président de la République est avec nous : François Hollande. C'est "la fin d'un cauchemar en Israël et à Gaza", a dit Donald Trump. Est-ce que c'est une victoire diplomatique pour le président américain et est-ce qu'il a réussi son pari ?

François Hollande : Incontestablement, il a réussi la première étape de son plan, puisqu'il y a eu la libération des otages, des prisonniers palestiniens, et puis surtout, le cessez-le-feu. Toute la question va être de savoir si c'est une opportunité pour la paix ou si c'est un coup sans lendemain. On en a connu. Il y a déjà eu deux cessez-le-feu. Donc, tout ce qui va se traduire maintenant, c'est : est-ce qu'il va y avoir une conférence pour la paix ? Elle a commencé, le sommet, aujourd'hui. Et est-ce que les différentes étapes vont maintenant être respectées ? C'est-à-dire, le retrait de l'armée israélienne, mais à condition que le Hamas soit démilitarisé, désarmé, et ensuite, qu'il y ait une autorité qui vienne pour reconstruire Gaza et faire qu'une négociation de paix puisse aboutir à un État palestinien. Toutes ces étapes vont prendre du temps et Donald Trump ne réussira pas seul, il a besoin des pays arabes, ils étaient là. Il a besoin de l'Europe. L'Europe était là. Il a besoin d'une communauté internationale qui ne va pas laisser Donald Trump seul parce que, d'une certaine façon, il ne peut pas y arriver tout seul. Et puis enfin, il y a le gouvernement de Nétanyahou. Est-ce que le gouvernement de Nétanyahou, qui a été sous la pression de Donald Trump, est prêt à aller jusqu'au bout du processus ?

Vous parlez de la France. Elle était là, aujourd'hui, en Égypte, par la voix d'Emmanuel Macron. Quel regard avez-vous sur ce que fait le président français dans ce dossier du Proche-Orient ? Est-ce que la France a une voix ? Est-ce qu'elle est entendue depuis deux ans ?

La France a eu des positions contradictoires, mais qui tiennent aussi compte de la situation. Aujourd'hui, il était nécessaire qu'Emmanuel Macron soit à Charm el-Cheikh puisque, je l'ai dit, Donald Trump ne pourra pas réussir seul. Il aura besoin des Européens. Il aura besoin aussi que la France puisse, avec les pays arabes, évoquer la reconstruction de Gaza. Et enfin, il aura besoin aussi de la France qui, avec d'autres, a reconnu l'État palestinien. Et d'ailleurs, Donald Trump ne l'a pas écarté, y compris à la Knesset, en parlant d'un État palestinien possible.

"Le président ne veut pas perdre la main"

Comment avez-vous réagi en voyant ces images de la libération des otages, et de la liesse de l'autre côté, à Ramallah ?

Comme beaucoup de Français, il n'y a pas besoin d'être partie prenante pour comprendre ce que c'est que d'être privé de liberté dans des conditions effroyables pour les otages. Et puis, il y a les 28 qui ne sont pas revenus encore, les dépouilles. Les vingt qui sont là, vivants... Vous avez vu le bonheur des familles, le soulagement de la population ici en France. Nous avions travaillé, milité, exprimé notre soutien pour la libération des otages. J'ai connu des séances ou des situations de cette ampleur et de cette émotion lorsque nous avions nous-mêmes pu permettre la libération d'otages qui étaient retenus au Mali ou qui étaient retenus en Syrie. Au début, c'est la joie, mais après ils mettent beaucoup de temps avant de retrouver leur équilibre et leur confiance dans la vie.

Concernant la situation politique en France, et l'une des plus graves crises politiques qu'on traverse. Demain, Sébastien Lecornu prononcera son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale. Vous y serez, puisque vous êtes député désormais. Quels sont les trois mots que vous voulez entendre dans sa bouche ? Suspension, réforme, retraite ?

Au-delà des mots, il y a des gestes qu'il faut accomplir. Sébastien Lecornu est dans une situation que chacun connaît comme difficile, périlleuse, même. Il n'a pas de majorité, la majorité relative, et en plus, une composante de sa majorité l'a quittée. Il a un président qui veut ne pas perdre la main et qui, pourtant, devrait lui laisser la bride sur le cou.

C'est entre vos mains, entre les mains du PS...

Il ne peut compter que sur une opposition qui ferait le choix de la responsabilité, puisque le Rassemblement national et les autres ont décidé déjà de faire tomber le gouvernement. Et donc, il sait parfaitement ce qui est attendu par cette opposition, en l'occurrence le Parti socialiste. Oui, il faut suspendre la réforme des retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Oui, il faut une contribution sur les plus gros patrimoines, qui peut prendre différentes modalités. Et enfin, il ne faut pas qu'il y ait le 49.3 pour que la discussion puisse se faire. Il a dans ses mains, ou pas encore dans sa bouche, les éléments d'un compromis.

Ce sont les trois conditions du PS pour ne pas voter la censure ? C'est-à-dire, s'il ne dit pas, par exemple, la contribution sur les hauts patrimoines, vous pourriez voter la censure ?

Il ne s'agit pas du gouvernement de Sébastien Lecornu seulement, il s'agit de la France. La France est dans une situation d'instabilité depuis déjà plusieurs mois, dans un contexte international que nous venons de décrire, qui est grave, qui est lourd, et où on attend la France. Donc il s'agit que chacun prenne sa responsabilité. Le Parti socialiste, je ne suis pas là pour le représenter. Mais les socialistes, ils ne font pas une demande de concession qui les toucherait particulièrement. Ils demandent que cette réforme des retraites, qui a été très controversée, puisse être non pas abrogée, mais suspendue, gelée jusqu'en 2027. Est-ce que sur cette question-là, qui n'est pas difficile à régler, qui représente certes un coût de 500 millions à un milliard et demi, ça compte, mais est-ce que pour permettre qu'un gouvernement tienne, Sébastien Lecornu est prêt à faire cette concession ?

"Un président est élu pour le temps de son mandat"

Marine Le Pen, dit, ce sont ses mots : "Ils ne censurent pas parce qu'ils crèvent de peur, les socialistes, de retourner devant les électeurs". Jordan Bardella dit que le PS "magouille dans les couloirs de Matignon pour se faire acheter par Emmanuel Macron". N'ont-ils pas un peu raison ? Est-ce qu'il ne faut pas redonner la parole aux électeurs tout simplement et vos électeurs socialistes qui peut-être se disent que vous êtes en train de sauver Emmanuel Macron ?

Non, sauvons la stabilité en France, si les concessions sont faites et les conditions sont réunies. Mais je reviens sur la question de la dissolution. Il y aurait une dissolution, après une censure qui ferait tomber le gouvernement de Sébastien Lecornu. Que se passe-t-il ? Pendant deux mois, le pays est suspendu. C'est le cas de le dire. C'est-à-dire qu'il est renvoyé à ce qui se passerait après les élections législatives. Donc pas de budget. Le budget serait renvoyé à l'année prochaine, avec toutes les conséquences fâcheuses pour les citoyens, pour leur vie courante et pour les collectivités locales, à la veille des élections municipales. Et pour quels résultats ? Madame Le Pen pense qu'elle gagnerait.

C'est ce que disent les sondages, que Marine Le Pen est largement en tête.

Le plus probable, c'est qu'on retrouverait une assemblée assez peu différente de celle-là. C'est-à-dire qu'on se remettrait dans trois mois, quatre mois, après avoir désorganisé le pays, dans une situation comparable à celle d'aujourd'hui. Voilà pourquoi je suis contre la dissolution. Je ne le suis pas parce que j'aurais peur de qui que ce soit.

Édouard Philippe, lui, il a une autre solution. Il dit qu'il faudrait qu'Emmanuel Macron démissionne pour sortir de la crise. Il veut une élection présidentielle anticipée. Il a tort ?

Que le président de la République soit impopulaire, il n'est pas le premier, il ne sera pas le dernier. Est-ce que pour autant il faut demander, quand on est un ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron, la démission du président de la République ? Ce n'est pas ma conception des institutions. Ma conception des institutions, c'est qu'un président est élu pour le temps de son mandat. S'il veut partir, il a toute la liberté de le faire, c'est arrivé dans le passé. Mais il n'est pas question de demander à un président de la République, au prétexte qu'il est impopulaire, de partir. Donc ma réponse, vous l'avez...

C'est une trahison politique ?

Ça, c'est leur affaire. Mais je m'intéresse quand même à la suite de la vie de mon pays. C'est-à-dire que si on commence par faire démissionner ou à demander la démission du président de la République aujourd'hui, ça pourrait conduire à des situations similaires à l'avenir. Je ne sais pas qui sera président de la République demain. Donc je peux en parler. C'est-à-dire qu'on demandera, parce que vous êtes impopulaire, de partir. Non, ce n'est pas ma conception des institutions. Ce n'est pas le taux d'impopularité qui fait qu'on démissionne. Ce n'est pas ce que la Constitution de 1958 prévoit.

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