Gouvernement de Sébastien Lecornu : "C'est un spectacle affligeant, on a une situation de crise profonde", juge le politologue Benjamin Morel

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Dans "La Matinale" du lundi 6 octobre, le politologue et maître de conférences en droit public, Benjamin Morel, se penche sur les enjeux de la séquence politique en cours, après la nomination du gouvernement de Sébastien Lecornu qui semble mettre le camp présidentiel dans l'impasse.

Peu avant la démission de Sébastien Lecornu, acceptée par Emmanuel Macron en cours de matinée, Benjamin Morel, politologue et maître de conférences en droit public, décrypte la séquence politique de la nomination du gouvernement Lecornu dimanche soir, et des enjeux pour le camp présidentiel à l'heure où le socle commun semble vaciller, dans "La Matinale" du lundi 6 octobre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : Nous avons un gouvernement, la droite a des postes très importants au sein de ce gouvernement. Et hop, ce matin, on s'aperçoit que la droite va peut-être quitter le gouvernement dans les heures qui viennent... Qu'est-ce qu'il s'est passé ces dernières heures ? Comment vous arrivez à interpréter, Benjamin, ce retournement de situation, notamment du côté des LR ?

Benjamin Morel : C'est un peu compliqué, même pour nous. Vous avez eu déjà un mélodrame ce week-end, c'est-à-dire qu'il y avait un Bruno Retailleau qui avait réuni les chapeaux à plumes de LR et un Laurent Wauquiez qui avait dit : 'On ne doit pas entrer au gouvernement, la feuille de route est trop floue'. On avait l'impression que c'était le seul à droite, Laurent Wauquiez, qui n'était pas vraiment chaud pour cette entrée au gouvernement. Il avait quelques députés derrière lui, mais ça restait quand même une infime minorité. Vous avez ensuite un Bruno Retailleau qui rencontre Sébastien Lecornu. Sébastien Lecornu cède à un certain nombre de signifiants pour la droite, mais omet visiblement de lui dire qu'il fait rentrer à la Défense Bruno Le Maire. Bruno Le Maire, c'est un allergisant pour la droite pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il y a le bilan économique qui, à tort ou à raison, est considéré par les LR comme étant très problématique. Et ensuite, parce qu'il y a eu une commission d'enquête assez difficile sur ce sujet, avec une majorité LR au Sénat. Et donc, dans ce cadre-là, c'est un peu un casus belli qui, étant donné qu'il n'avait pas été annoncé à Bruno Retailleau, le met en porte-à-faux d'un point de vue interne, parce que derrière, vous avez Laurent Wauquiez qui dit : 'Je vous l'avais bien dit'. Et cette déclaration de LR entraîne, je dirais, une forme ensuite d'effet d'entraînement, c'est-à-dire que l'UDI se désolidarise, le Parti radical se désolidarise, ça fait un petit air de Quatrième République, quand vous êtes lâchés par le Parti radical. Et de l'autre côté, vous avez même Gabriel Attal qui fait part de ses doutes. Et dans ce cadre-là, sans même parler des remarques des oppositions, vous avez un socle commun qui, ce matin, ne semble absolument plus commun.

"Si la motion de censure est déposée demain, ça veut dire que jeudi, vendredi ou plus tard lundi, nous n'avons plus de gouvernement"

On avait l'impression que le danger pour Sébastien Lecornu venait uniquement de sa gauche, avec peut-être une motion de censure du Parti socialiste dès cette semaine. Mais là, en fait, le problème, c'est qu'il vient de l'intérieur, du socle commun de la droite. On a Xavier Bertrand, ce matin, sur RTL, qui dit qu'il faut que LR sorte du gouvernement. Xavier Bertrand, ce n'est pas n'importe qui chez LR...

Cyril Adriaens-Allemand : C'est vrai que si on pouvait en rire, on dirait que c'est une série Netflix. Malheureusement, là, on est bien obligé de regarder que c'est la question d'un budget pour la France, la question d'un gouvernement pour la France. Aujourd'hui, LR, c'est 34 députés à l'Assemblée nationale qui font la pluie et le beau temps sur la politique gouvernementale. Alors, effectivement, vous avez a priori une majorité de LR qui, encore hier, disait : on reste, on est en train de se battre, on obtient des mesures pour le budget. Et puis finalement, après ce coup de Trafalgar, la question c'est : est-ce que Bruno Retailleau s'est vraiment laissé rouler dans la farine ? On a du mal à l'imaginer. Il a une expérience politique, on est dans un contexte politique très tendu. Qu'est-ce qu'il n'a pas obtenu, qu'est-ce qu'il n'a pas su savoir pour dire oui l'après-midi, et puis finalement non le soir ?

Jean-Baptiste Marteau : Si on regarde dans le détail, en gros, il va voir Sébastien Lecornu à Matignon vers 18h30, ils se tapent dans la main, tout va bien, et quand il revient place Beauvau à 7h15, 7h30, son équipe lui dit : attention, il y a Bruno Le Maire qui va rentrer au gouvernement, et ça, le Premier ministre ne l'avait pas dit.

Benjamin Morel : Si on parle de série Netflix, on est au-delà. C'est un spectacle affligeant. Dans une série Netflix, on aurait dit que ce n'était pas très crédible. C'était Woody Allen qui disait que la réalité ne copie pas le bon cinéma mais la mauvaise télévision. Là, c'est le cas. On a une situation qui est aujourd'hui de crise profonde. Et ça, nonobstant les positions des oppositions. Là, il y a plusieurs étapes en réalité. Première étape, est-ce qu'on aura un gouvernement qui se réunira en Conseil des ministres à 16h ?

Parce que si LR dit à la mi-journée : on quitte le gouvernement, il n'y a plus de gouvernement.

Vous allez réunir la moitié du gouvernement, enfin pas la moitié, mais une partie du gouvernement qui sera démissionnaire. Et ça, évidemment, ça fait mauvais genre.

Pour la Constitution, je ne vais même pas aller jusqu'au discours de politique générale demain, mais il se passe quoi ?

Ce sera un gouvernement en partie démissionnaire. En théorie, vous pouvez le réunir, mais imaginez un Bruno Retailleau démissionnaire qui fait face à un Bruno Le Maire qui ne l'est pas. La scène est complètement ubuesque. C'est du pain béni pour les oppositions. Déclaration de politique générale demain, théoriquement, c'est ce qui est prévu. Cette déclaration de politique générale, vous mettez quoi ? Vous vous engagez sur quoi ? Étant donné que vous avez la moitié de votre gouvernement qui s'est carapaté. Et ensuite, que vont faire les socialistes de manière à peu près évidente aujourd'hui ? Ils vont déposer une motion de censure. Au vu de ce qu'a dit le RN hier, Marine Le Pen, Jordan Bardella, alors ils se réunissent également aujourd'hui, tout le monde se réunit aujourd'hui pour savoir comment réagir, il est assez probable qu'ils la votent. Donc si la motion de censure est déposée demain, ça veut dire que jeudi, vendredi ou plus tard lundi, nous n'avons plus de gouvernement.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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