Crise politique : "Pour ne pas augmenter la polarisation, il faudra un grand médiateur à la tête du gouvernement", analyse Olivier Rouquan, politologue

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min - vidéo : 10min
Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
France Télévisions

Politologue et enseignant en sciences politiques, Olivier Rouquan livre, dans "La Matinale" du jeudi 9 octobre, son analyse de la crise politique et des solutions qui s'offrent à Emmanuel Macron et au Parlement pour en sortir.

Comment sortir de la crise politique en cours ? C'est tout l'objet des deux jours de négociations, dont Emmanuel Macron a confié la responsabilité à Sébastien Lecornu après l'annonce de son départ de Matignon, et qui se sont soldés par l'annonce, mercredi soir, de la nomination d'un nouveau chef de gouvernement d'ici vendredi 10 octobre. Selon Olivier Rouquan, politologue et enseignant-chercheur en sciences politiques, l'annonce reste "assez floue", et le chemin évoqué par le Premier ministre démissionnaire "serait plutôt une continuité". Il revient sur le sujet en détail dans "La Matinale" du jeudi 9 octobre.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : On est sortis de 48 heures de négociations qui paraissaient totalement impensables, une solution de crise qui paraissait très hypothétique, et puis Sébastien Lecornu est arrivé hier soir sur le plateau du 20h de France 2, en disant qu'a priori, il y avait au moins un accord, une large majorité, pour ne pas avoir de dissolution. C'est déjà un début de sortie de crise. Selon vous, comment doit-on analyser cette situation qui paraissait impossible à résoudre il y a encore quelques heures ?

Olivier Rouquan : C'est l'annonce d'une pause, mais assez floue... On parle d'un chemin, un chemin possible, mais sans trop le dessiner, finalement. D'ailleurs, on voit les interprétations assez différentes, parce que, quand on écoute le Premier ministre hier soir, ce chemin serait plutôt une continuité, sans parler d'un socle commun, dans tous les cas d'une plateforme de stabilité, mais très centriste, puisque lui, il parle d'une gauche... sans doute soutien, sans participation, alors que la gauche s'est saisie tout de suite de l'affaire pour dire : "On veut gouverner". Donc on retrouve quand même deux discours assez différents. Bon, le chemin peut toujours se construire d'ici demain.

Demain soir, a priori, puisque l'Élysée a dit d'"ici vendredi soir, nouveau Premier ministre". On a l'impression tout de même que la menace de cette dissolution a peut-être calmé les ardeurs de certains, qui étaient peut-être allés un peu trop loin dans les propos ces derniers jours.

Oui, d'autant que des enquêtes d'opinion sur leurs circonscriptions en cas de législatives ne sont pas forcément très favorables. Mais ceci mis de côté, si vous voulez, si le seul point commun, c'est de dire qu'on ne veut pas de dissolution, ça ne suffira pas. Parce qu'ensuite, il faut adopter un budget et il faut adopter des textes si on veut que ça dure, ce gouvernement. Deuxième remarque, nous aurions un gouvernement assez rapidement susceptible de déposer un budget.

Le calendrier est, par là, extrêmement serré, celui qui a été annoncé par l'Élysée et Sébastien Lecornu...

Il est serré, et puis il faut des ministres qui, quand même, aient un peu participé à la préparation de ce budget, parce qu'ensuite, il faut le défendre en face des députés qui ne vont pas abandonner les positions qui sont pour eux des marqueurs d'opinion.

C'est vrai qu'effectivement, Cyril, quand on regarde le calendrier évoqué, avec peut-être un conseil des ministres, un discours politique général dès lundi prochain, on se dit qu'il n'est pas question de repartir d'une feuille blanche et de monter une coalition d'ici là.

"Des mythologies ont été construites autour du présidentialisme, en dévalorisant sans arrêt les partis politiques"

Toute la question, c'est de savoir qui, évidemment, à Matignon, sur quelle base, avec quelle alliance ? On comprend qu'en tout cas, qu'on ne va pas repartir d'une feuille blanche et que toutes les négociations, la préparation du budget qui a été entamée va servir de base. Alors Sébastien Lecornu, bis à Matignon, ou une haute personnalité, quelqu'un de désintéressé, comme le nom de Jean-Louis Borloo qui revient depuis quelques heures, c'est une des deux hypothèses les plus plausibles ?

Je ne joue pas à ce jeu. Peut-être, juste pour définir le profil. Là aussi, il y a un grand paradoxe et des injonctions contradictoires. Ça va être un budget de toute façon très politique, parce qu'on voit bien que les orientations qui sont demandées, d'un côté, accélérer une baisse de la dépense publique, de l'autre, on nous explique quand même avoir un budget qui augmente certaines fiscalités, ce sont des choix profondément politiques. On retrouve d'ailleurs l'origine du Parlement, puisque le Parlement dans l'histoire s'est signalé par sa capacité à adopter le budget de l'État. Et de l'autre, pour ne pas, je dirais, augmenter la polarisation, il faut un médiateur. Je ne sais pas si on appelle ça de la technique, moi je n'y croirais pas, mais de la médiation, ça sans aucun doute, il faudra un grand médiateur à la tête du gouvernement.

Ce qui d'ailleurs est l'une des méthodes qui a été évoquée, entre autres, par Gabriel Attal ces derniers mois, de dire arrêtons de nommer quelqu'un qui va tenter de trouver une majorité introuvable, il faut quelqu'un qui arrive à faire parler la gauche et la droite. Ce qu'on n'arrive pas à faire depuis des mois. En fait, on revient aux fondamentaux du parlementarisme, on n'y arrive pas.

Non, parce que tout a été fabriqué, tout a été fait, des mythologies ont été construites, autour du présidentialisme et en dévalorisant sans arrêt les partis politiques. Or là, on voit bien que ce sont au Parlement les partis politiques et les groupes parlementaires qui sont les maîtres. Et il est vrai qu'il nous faudrait retrouver des pratiques de la Quatrième République, mais on a tellement construit une image négative de la quatrième qu'il suffit de dire ça pour que tout le monde soit effrayé.

Vous pensez, justement, qu'on est arrivé peut-être aux limites de la Cinquième République avec cette présidentielle qui, disons-le, rend tout le monde un peu fou, obsède en tout cas toute la classe politique ?

Oui, moi, je pars de 2002, mais si vous voulez, au-delà, je pense qu'aujourd'hui, c'est la présidentielle qui déstabilise le jeu politique institutionnel, dans tous les cas, l'obsession présidentialiste, et qu'on a un écart de plus en plus grand entre les espoirs qui restent projetés sur la fonction et ce qu'elle peut faire.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.