Violences à Bétharram, dérapage budgétaire, affaire Benalla… Les commissions d'enquête, armes politiques de premier choix au Parlement

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Le Premier ministre, François Bayrou, lors de son audition par la commission d'enquête sur l'affaire Bétharram, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 14 mai 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)
Le Premier ministre, François Bayrou, lors de son audition par la commission d'enquête sur l'affaire Bétharram, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 14 mai 2025. (ALAIN JOCARD / AFP)

Les parlementaires ont de plus en plus recours à ces instances pour mener des auditions et faire avancer leurs combats. Cet outil, plus utilisé à gauche que dans les autres camps, agace ses détracteurs, qui y voient un simple moyen de "nuire à ses adversaires".

Quel est le point commun entre la ministre de la Culture Rachida Dati, l'acteur Jean Dujardin, l'homme d'affaires Bernard Arnault et le journaliste de Mediapart Fabrice Arfi ? Tous les quatre ont été entendus par une commission d'enquête en 2025, au milieu de centaines d'autres personnes, plus ou moins célèbres. Loin d'être nouvelles, ces instances sont officiellement destinées à "recueillir des éléments d'information" pour contrôler l'action du gouvernement et évaluer les politiques publiques, selon la Constitution. Elles sont aussi de plus en plus médiatisées, avec des auditions aussi attendues que suivies, comme celle de François Bayrou dans le cadre de l'affaire Bétharram, mercredi 14 mai.

Les commissions d'enquête sont devenues un outil politique à la disposition des députés et des sénateurs pour mettre en valeur leur sujet de prédilection, s'afficher en pointe dans un combat et, évidemment, charger des adversaires politiques. C'est ce qu'ont notamment tenté de faire les députés de gauche avec l'audition du milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin, qui a refusé à deux reprises de s'exprimer à l'Assemblée nationale, mercredi 14 et mardi 20 mai.

Des commissions plus simples à lancer… 

Cette tendance se confirme en chiffres. A l'Assemblée nationale, cet outil avait été utilisé sept fois entre 2007 et 2012, 17 fois entre 2012 et 2017, 26 fois entre 2017 et 2022, et 19 entre 2022 et 2024, avant la dissolution. Le rythme reste soutenu depuis les dernières élections législatives, avec huit commissions d'enquête mises sur les rails. Logiquement, de plus en plus de commissions d'enquête sont menées simultanément à l'Assemblée nationale.

Comment expliquer cette hausse ? Tout d'abord, depuis la réforme de la Constitution en 2008, chaque groupe parlementaire d'opposition ou minoritaire (lorsqu'il est dans la majorité) est autorisé à lancer des commissions d'enquête beaucoup plus facilement qu'auparavant. Avec ce "droit de tirage", il peut en lancer une par session parlementaire, qui s'étire d'octobre à juin, avec des règles relativement souples et de rares refus pour des questions de procédure.

Ajoutez à cela une augmentation du nombre de groupes parlementaires (au nombre de 11 aujourd'hui), reflet de l'éclatement de la vie politique française, et vous obtenez au moins dix commissions d'enquête possibles par an. Chaque commission, dont la composition reflète les équilibres de l'Assemblée, ne dure pas plus de six mois et produit un rapport avec, bien souvent, des recommandations.

Par ailleurs, dans un Parlement où les compromis sont difficiles, chaque écurie tente de se démarquer ailleurs qu'en séance dans l'hémicycle. D'où la tentation, selon le constitutionnaliste Benjamin Morel, auteur du livre Le Parlement, temple de la République, de se tourner vers cet "outil extrêmement efficace" pour se faire entendre. "Le rythme législatif est plutôt réduit, il faut bien que les élus fassent du contrôle parlementaire", expose-t-il

… et plébiscitées par la gauche

Les données montrent aussi que, depuis 2007, la gauche recourt le plus à cette arme de l'arsenal parlementaire. Alors que le camp présidentiel est au pouvoir depuis 2017, "le groupe LR est une somme d'individualités et le RN découvre encore le fonctionnement des assemblées", décrypte le spécialiste du Parlement.

"Il ne nous reste pas grand-chose ! On ne vote plus les budgets et il y a le 49.3", justifie le député écologiste Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur d'une commission d'enquête sur la multiplication des plans de licenciements. "A droite, il y a une fascination pour l'exécutif, qui est associé à une décision qui irait plus vite. Tandis qu'à gauche, il y a un attachement au parlementarisme", tente de son côté d'expliquer l'élu LFI Pierre-Yves Cadalen, vice-président d'une commission sur l'organisation des élections en France.

La gauche tire aussi profit des avantages des commissions d'enquête par rapport à d'autres rendez-vous classiques du Parlement. "Quand vous êtes auditionné, vous êtes sous serment. Vous ne pouvez pas balader les gens, ce ne sont pas les questions au gouvernement", note Benjamin Lucas-Lundy. Cette particularité permet aux députés de renforcer le poids de leurs accusations, même si les élus se défendent de mener un procès politique. François Bayrou "a menti à l'Assemblée nationale" et son "audition sous serment permet de le constater", a ainsi accusé sur franceinfo le député LFI Paul Vannier, corapporteur de la commission d'enquête sur les violences en milieu scolaire, très médiatisée en raison de l'affaire Bétharram.

Des consensus possibles entre les différents blocs ?

Si la gauche est friande de cet outil, d'autres partis ne l'ont pas exclu pour autant. Le groupe des Républicains à l'Assemblée nationale a décidé de lancer une commission d'enquête sur les liens supposés entre La France insoumise et l'islamisme. L'Assemblée nationale devrait donner son feu vert, mercredi 28 mai, au lancement de cette commission.

Parfois, des groupes d'opposition a priori très différents peuvent trouver un intérêt commun à mener une commission d'enquête. La cible est souvent la même : le camp présidentiel, qu'il s'agisse d'Emmanuel Macron, de ses gouvernements successifs ou des députés de l'ancienne majorité. C'était, par exemple, le cas pour la très médiatique commission d'enquête sur l'affaire Benalla en 2018. Ou celle, plus récente, sur la dégradation des finances publiques. Elles ont toutes deux été menées au Sénat, où les macronistes sont très minoritaires, avec un élu de gauche et un élu de droite pour guider les travaux. Et, aussi, incarner médiatiquement la mise en accusation des macronistes. 

Dans les faits, les collaborations entre des parlementaires de différents bords politiques se passent bien, dans la plupart des cas. "Sur des problèmes concrets, on peut partager des éléments d'analyse, même si on a des désaccords fondamentaux. A propos de l'inscription [des citoyens] sur les listes électorales, par exemple, le président de la commission [l'ancien ministre Renaissance Thomas Cazenave] a été sensible à des arguments", confirme Pierre-Yves Cadalen, dont le groupe est pourtant frontalement opposé aux députés du bloc présidentiel.

"Le fond est souvent loin d'être caricatural"

Aurait-on trouvé une oasis de consensus dans un hémicycle plus déchiré que jamais ? Pas sûr. "Aujourd'hui, il y a une dérive, que ce soit de la part de LR ou de la part du Nouveau Front populaire, qui consiste à se servir des commissions d'enquête pour essayer de nuire à ses adversaires politiques. Ça n'est pas ce que les Français attendent de nous", a dénoncé Marine Le Pen, patronne des députés RN, mardi 20 mai à l'Assemblée. "Aucune commission de gauche n'a prospéré dans l'opinion, appuie un élu de son groupe, car les députés de gauche "les détournent trop de leur fonction transpartisane."

Selon la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, certaines commissions d'enquête sont même "instrumentalisées par certains camps politiques pour en faire des objets strictement politiques, des tribunes et c'est dommage (…). Il y a en peut-être un peu trop", a-t-elle estimé sur France 3, dimanche 18 mai. Le patron des députés du MoDem, Marc Fesneau, souhaite même les voir disparaître : "Il faut qu'on arrête avec les commissions d'enquête", a-t-il clamé sur Radio J, jeudi 15 mai.

"On en fait des objets politiques permanents [où] il ne s'agit pas de combattre, [mais] d'accuser l'autre."

Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l'Assemblée nationale

Sur Radio J

Voilà pour les griefs du moment. Mais le "risque" de ces critiques est de "jeter le bébé avec l'eau du bain", rétorque le constitutionnaliste Benjamin Morel. "On s'arrête à quelques extraits caricaturaux, mais le fond est loin de l'être autant. Il y a souvent une différence entre la prise de position des rapporteurs et le contenu final du rapport." Surtout, il serait difficile de revenir en arrière et de limiter de nouveau les droits des députés et des sénateurs, avec des instances qui semblent trouver leur place dans le paysage politique et médiatique. "Pour l'instant, en termes de contrôle parlementaire, on n'a pas forcément fait mieux en France que les commissions d'enquête", conclut Benjamin Morel.

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