Tomates : comment la concurrence marocaine s’impose dans le marché européen et à quel prix ?
Il y a quelques jours, des producteurs de tomates françaises étaient en colère contre la concurrence des tomates marocaines. Il s’en vend des milliers de tonnes en France. Une entreprise franco-marocaine qui détient ce juteux business a accepté d’ouvrir ses portes aux équipes de France Télévisions.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
À quelques kilomètres au sud d’Agadir (Maroc), les terres où l’on croise des troupeaux de dromadaires sont parmi les plus arides du Maroc. Les équipes de France Télévisions roulent pourtant au cœur de l’un des plus grands potagers du monde. Sous des serres qui couvrent l’horizon, travaillent des milliers d’ouvriers. Les petites mains de la tomate. "Je gagne 9 euros par jour", indique une employée.
Dans la ferme, les femmes cueillent les tomates à peine mûres pour qu’elles puissent supporter les 15 jours de voyage qui les attendent. La grande majorité des tomates sera bientôt vendue sur les étals des supermarchés français. "Chaque année, on exporte 30 000 tonnes de tomates. Et on va dire qu’on envoie environ 20 000 tonnes vers la France", indique Youness Bougarba, directeur qualité Quality Mar.
Une exportation vers l’Europe multipliée par quatre
La France et l’Europe sont les premiers destinataires des tomates marocaines. En 25 ans, les exportations vers l’Union européenne ont même été multipliées par quatre. La production a explosé et aujourd’hui les serres recouvrent toute la région d’Agadir. Acteur majeur de ce grand bond en avant : le groupe franco-marocain Azura. Pour la première fois, le leader du secteur a autorisé des caméras à filmer l’immense entrepôt où travaillent 4 000 personnes. Les chaînes de tri seraient à la pointe de la technologie. Pour preuve, nous dit-on, une machine qui traque le moindre défaut sur chaque tomate. "La machine peut traiter jusqu’à 1,2 million de tomates par jour, ce qui est équivalent à une moyenne de 65 tonnes par jour. Et pour chaque fruit, il y a plusieurs photos, jusqu’à 8 photos par tomate, ce qui nous permet vraiment d’obtenir une précision", assure Mohassine Mehdaoui, directeur de la station de conditionnement du groupe Azura. Les machines permettraient de tirer encore les coûts de production vers le bas et de proposer des tomates toujours moins chères aux consommateurs, comme les boîtes vendues dans nos supermarchés à 99 centimes d’euros, soit deux à trois fois moins chères que leurs concurrentes françaises. "Sincèrement, je ne comprends pas que ça agace. En tant qu’opérateur économique et en tant que pays, on n’a pas le droit de se développer ?", affirme Abir Lemseffet, directrice générale du groupe Azura.
Le problème de l’eau
Avec les usines ultramodernes, l’industrie de la tomate marocaine affronte pourtant un péril à même de contrarier ses rêves de grandeur. L’eau manque peu à peu. Dans les fermes, on doit aller l’extraire toujours plus profondément. Selon les scientifiques, le réchauffement climatique, mais surtout l’épuisement des nappes phréatiques par l’agriculture, sont à l’origine du manque d’eau.
Face à la pénurie, les producteurs les plus riches achètent de l’eau de mer dessalée. La famille Benelasri, elle, n’en a pas les moyens. Pendant des décennies, sur une quinzaine d’hectares de terre, elle a cultivé des fruits et des légumes. Mais il y a cinq ans, privée d’irrigation, Abdullah Benelasri a choisi, comme plus d’une dizaine d’agriculteurs des environs, de mettre fin à l’exploitation familiale. "Quand mon frère m’a dit j’arrête, j’ai dit non, ce n’est pas possible. J’ai eu beaucoup de mal à accepter ça. D’ailleurs, je pense qu’il a dû le sentir", explique Aicha Benelasri, habitante de Zaouit à Massa. "On cultivait tellement de légumes et maintenant plus rien. On est au chômage", partage Abdullah Benelasri. Par fierté, Abdullah Benelasri n’a pas souhaité rejoindre les cohortes d’ouvriers employés par les grandes fermes des environs.
Le travail des migrants
Sous les serres, pourtant, la main-d’œuvre manque. Selon nos informations, plusieurs entreprises d’Agadir feraient même appel à des migrants illégaux originaires d’Afrique subsaharienne. Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent des Ivoiriens, des Sénégalais, des Guinéens travaillant illégalement dans les fermes. On y trouve même des annonces pour des emplois.
Dans les faubourgs d’Agadir, les équipes de France Télévisions rencontrent un homme qui dénonce l’exploitation des migrants dans les fermes. C’est l’un des responsables d’une communauté subsaharienne sur place. "Au dernier recensement qu’ils ont fait au niveau d’Agadir, il y avait à peu près 7 000 migrants. 90 % travaillent dans des champs", indique-t-il.
Il nous propose d’aller à la rencontre de ces travailleurs migrants. Mais alors que nous roulons depuis quelques minutes, il reçoit un appel. Nous sommes suivis par les services de sécurité marocains. Après quelques détours, nous rejoignons finalement un appartement à l’abri des regards. Nous y attendent un homme et une femme. Sans titre de séjour ni contrat de travail, ils affirment récolter des légumes destinés aux marchés étrangers. Tous deux décrivent des conditions de travail très difficiles et disent avoir à épandre des pesticides, parfois à mains nues. "Souvent on est malade. On n’est pas protégés", expliquent-ils.
Après notre tournage, nous avons tenté de contacter l’entreprise qui les emploie. Mais ni elle, ni l’association locale des producteurs n’ont répondu à nos sollicitations. Au Maroc, l’industrie de la tomate est un fleuron qui ne souhaite pas s’étendre sur certains de ses secrets de fabrication.
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