"Chercher les petits détails m'a permis de rentrer dans le récit" : Léa Simone Allegria présente "Douce Menace".

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Article rédigé par franceinfo - Anne-Marie Revol. Édité par l'agence 6Medias
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Léa Simone Allegria vient présenter son troisième roman "Douce Menace", aux éditions Albin Michel.

Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

Au centre du roman Douce Menace, de Léa Simone Allegria, il y a un tableau qui s'appelle Le Petit Bacchus malade. Il est signé du Caravage, un très grand peintre italien du 16e siècle qui était connu pour son caractère, pour le moins, volcanique. C'est une jeune femme, spécialiste de l'histoire de l'art, qui l'a déniché. Elle a décidé de l'offrir à Nino, son amant romancier qui est venu à Rome, dédicacé en grande pompe son dernier succès. C'est à sa demande qu'elle l'a rejoint dans son hôtel pour une échappée amoureuse, sauf que celle-ci va se transformer en enquête.

Anne-Marie Révol : Pourquoi avez-vous choisi Caravage comme figure centrale de ce roman ?

Léa Simone Allegria : Au départ, j'ai surtout choisi le tableau, Le Petit Bacchus malade, et ça m'a embêtée d'emblée que ce soit Caravage, parce que c'est un peintre sur lequel on a tellement parlé, on a tellement raconté son histoire, qui est rocambolesque. Il a une vie de roman, on a fait un film sur lui, et je me suis dit : 'mais si j'écris un livre sur Caravage, est-ce que j'aurai vraiment quelque chose de neuf à raconter ? Comment vais-je faire pour parler de ce maître aussi bien que ce que les autres ont fait avant moi ?' Et puis finalement, je me suis dit, 'j'ai une intuition, c'est que Le Petit Bacchus malade a des choses à me dire'. C'est un tableau qui est très ambigu, qui n'est pas très représentatif de l'art de Caravage. On est très loin de la grande période. C'est son premier tableau connu. C'est un autoportrait, il est tout petit. Je me suis dit : 'contournons la difficulté, allons vers Caravage, qui est bien sûr le peintre des extrêmes, le peintre du crime, mais aussi du sacré, le peintre du beau et du laid, du clair et de l'obscur. Dans ce livre, qui parle aussi du double et de l'ambiguïté caravagienne, peut-être que je peux m'en emparer différemment.

Vous venez de prononcer le mot "double" et effectivement, vous filez le motif du double tout au long de votre roman. Qu'est-ce qui vous fascine dans ce motif du double ?

Quand je me suis pris d'amour pour Le Petit Bacchus malade, je me suis dit qu'il y avait ce côté ambigu. Il se recroqueville et en même temps, il y a quelque chose qui nous appelle. Il est plein de désir et à la fois, comme le nom l'indique, il est malade. Il a un timbre jaune, il est tout cerné, il est bouffi. Il y a quelque chose qui fait peur, qui est à la fois repoussant et attirant. On ne sait pas s'il va nous mordre ou s'il va nous embrasser. Ce truc de l'ambiguïté, je l'ai reporté aussi dans l'histoire des amants, parce que c'était une relation de couple très difficile, à la fois sublime et terrifiante. Peut-être qu'étudier un tableau en profondeur, avec cette question de l'authenticité, des doubles de Caravage lui-même, qui a peint à la chaîne plusieurs tableaux différents au cours de sa carrière, c'était peut-être avoir un miroir en face de moi. C'est pour cela que je l'ai choisi, et que le thème du double est si prégnant. C'est une question d'ambiguïté des sentiments et une ambiguïté dans la peinture.

Rome comme personnage central

Douce menace, est-ce que cette menace est le fruit de cette duplicité ?

Pour moi, oui, le tableau évoque cette douce menace. Et d'ailleurs, le couple, au départ, quand ils rencontrent le tableau, Nino se dit qu'il est laid, qu'il est affreux, et Alba a envie de lui faire un câlin. Est-ce qu'il va finir par leur révéler peut-être quelque chose d'eux-mêmes auquel ils ne s'attendent pas forcément ? À la fois, c'est sublime, c'est l'art, c'est Rome, on voyage, on fait une aventure, et à la fois, il y a quelque chose qui plane de dérangeant, de menaçant et qui va finir par s'immiscer dans ce couple. Donc, on peut dire que la douce menace, c'est ce tableau, c'est le ver dans le fruit dans le couple de Nino et Alba.

Rome est quasiment personnage central de cet ouvrage. Vous diriez vraiment que c'est un personnage à part entière ? Vous l'avez travaillée comme ça, Rome ?

Rome a beaucoup aidé dans les allers-retours entre l'époque de Caravage et aujourd'hui. Les personnages débarquent à Rome de nos jours, et puis tout de suite, ils se lancent dans cette enquête un peu folle de se dire, 'et si le tableau qu'on avait découvert chez un antiquaire, c'était un Caravage original ?' Ils vont sur les pas de Caravage, ils vont dans les ruelles, ils vont dans les auberges où il a bu, là où il a été malade à l'hôpital. C'est un parcours que j'ai fait, c'est pour ça que Rome est importante. J'ai marché dans ces rues, j'ai été voir où il était interné. C'est devenu un commissariat. J'ai été dans les églises où il a peint. Et toute cette Rome de Caravage, à force de chercher les petits détails dans les archives et dans les bibliothèques, elle a surgi sous les pierres. Cela m'a permis de rentrer dans le récit, de vraiment mêler les deux temporalités.

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