"Bloquons tout" : "C'est une vraie demande de transformation de la société, avec une demande de démocratie directe", explique Antoine Bristielle de la Fondation Jean Jaurès

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Directeur de l'Observatoire de l'opinion de la Fondation Jean Jaurès, Antoine Bristielle a enquêté sur le mouvement du 10 septembre. Dans "La Matinale", en marge de la mobilisation ce mercredi, il souligne l'ancrage à gauche des revendications économiques et politiques des adhérents au mouvement.

Des tentatives de blocage ont eu lieu tôt ce matin, mercredi 10 septembre, alors que la mobilisation d'ampleur annoncée depuis août sous le mot d'ordre "Bloquons tout", se met en place dans le pays. Au lendemain de la nomination surprise de Sébastien Lecornu à Matignon, "La Matinale" de franceinfo reçoit Antoine Bristielle, directeur de l'Observatoire de l'opinion de la Fondation Jean Jaurès, afin d'évoquer le mouvement de protestation contre les mesures d'austérité budgétaire de François Bayrou.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : Je voulais avoir votre regard sur cette nomination avant de parler de cette journée d'action. Elle est déjà très critiquée par les oppositions et négocier un accord, même juste de non-censure avec le PS, ça ne va pas être simple et ça va coûter très cher. Il va falloir lâcher beaucoup de choses. Comment voyez-vous cette nomination et surtout la tâche qui attend Sébastien Lecornu ?

Antoine Bristielle : La grande difficulté, c'est qu'outre les questions de personnes, outre les questions de personnalités, de Michel Barnier, de François Bayrou, de Sébastien Lecornu, c'est que c'est exactement le même socle à l'Assemblée nationale sur lequel il s'appuie depuis les précédentes dissolutions. Ce n'est quand même pas forcément le meilleur signe d'ouverture quand vous nommez quelqu'un qui est un de vos plus proches, et qui était là depuis 2017, qui était dans tous les gouvernements. Effectivement, ça peut tendre les oppositions, que ce soit à gauche ou que ce soit au sein de l'extrême droite. D'ailleurs, les réactions sont assez unanimes par rapport à cela. Il y a cette impression que c'est toujours finalement la même chose qui se passe depuis la précédente dissolution.

"Jean-Luc Mélenchon a récupéré quelque chose qui lui appartenait déjà de fait"

Et à la fois, on voit bien que nommer un Premier ministre socialiste apparaissait plus comme une posture. Il n'y avait pas la majorité du tout à l'Assemblée nationale pour le faire. Et là, tout le monde a peur de la dissolution. Le PS redoute particulièrement qu'il y ait un retour aux urnes...

C'était la principale difficulté d'Emmanuel Macron, c'est qu'il n'avait aucune vraie bonne solution pour lui, en tout cas, à mettre en place, que ce soit la dissolution, que ce soit de nommer quelqu'un de plus à gauche, que ce soit de renommer quelqu'un de son camp. Finalement, il y a une montagne de difficultés face à lui et face à cette décision qu'il devait prendre.

Vous vous êtes intéressé, notamment dans Le Monde la semaine dernière, au profil de cette journée. C'est quand même particulier parce qu'effectivement, au départ, on a l'impression que c'est plutôt parti de l'extrême droite en général, avec d'anciens Gilets jaunes, même d'anciens anti-vax pour certains, et que ce mouvement est en train de glisser de plus en plus vers la gauche. Qui sont aujourd'hui les manifestants et ceux qui bloquent ?

Dans un premier temps, je suis complètement d'accord avec vous. Les premiers appels, ça venait plutôt de la sphère d'extrême droite, le mouvement "Les Essentiels", la sphère plutôt souverainiste. Mais très rapidement, ça a vraiment été récupéré complètement par la gauche radicale. Et quand j'ai fait cette enquête sur plus de 1 000 personnes dans ces groupes qui appelaient à la mobilisation le 10 septembre, il y avait 70 % de personnes qui avaient voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, auxquels vous pouvez ajouter 10 % qui avaient voté Philippe Poutou. Donc il y a vraiment une surreprésentation.

Donc c'est vraiment la gauche radicale ?

Et ce, même avant les appels de Jean-Luc Mélenchon à rejoindre le mouvement. Ça n'a fait qu'amplifier un mouvement qui existait auparavant. Mais en fait, il a récupéré quelque chose qui lui appartenait déjà de fait, parce que c'était déjà ses sympathisants que l'on retrouvait dans ce mouvement et qui étaient finalement assez exaspérés de tout ce qui se passait dans la société.

Vers un retour des Gilets jaunes ?

Audrey Goutard : Votre enquête était essentiellement sur les réseaux sociaux et sur les boucles Telegram, notamment, où vous avez très bien décrit le profil des participants. Il y a eu aussi tous les Facebook qui se sont rouverts, et notamment les boucles des Gilets jaunes. Et là, on trouve un autre profil, vous en êtes d'accord, je suis sûre, qui est un profil beaucoup plus classique qu'on trouvait à l'époque des Gilets jaunes, avec une France beaucoup plus rurale, avec une France d'"adultes" plutôt, contrairement effectivement à cette France très à gauche et beaucoup plus jeune. Donc, en fait, il y a vraiment deux mouvements qui aujourd'hui se chevauchent et on va voir si cela fonctionne et si le cocktail prend, ça n'est pas gagné.

Jean-Baptiste Marteau : Ce profil Gilets jaunes, justement, est-ce qu'on peut parler d'un nouveau mouvement Gilets jaunes en partie, ou pour vous, c'est quand même très différent ?

Antoine Bristielle : Je pense qu'il y a deux choses, parce que, l'enquête que j'avais réalisée était aussi sur les boucles Facebook et finalement l'activité était très faible sur ces anciens groupes Gilets jaunes comparé à ce qui se passait sur ces nouvelles boucles Telegram, où là, par contre, vous aviez énormément de messages et pas seulement dans une grande boucle nationale, mais dans une multiplicité de boucles à l'échelon local.

Donc c'est davantage pour vous une contestation de gauche radicale plus traditionnelle qu'un mouvement type Gilets jaunes comme on l'a connu il y a quelques années ?

Sachant qu'encore une fois, la particularité de ces mouvements, c'est qu'ils sont extrêmement mouvants. C'est-à-dire que le mouvement des Gilets jaunes, dans un premier temps, c'était seulement le mouvement de contestation d'une taxe contre les carburants. En l'espace de quelques semaines, c'était devenu référendum d'initiative citoyenne, toute une série d'autres demandes.

Là, ça part de quoi, de quel mot d'ordre en particulier, à part juste 'On en a marre, il faut tout bloquer' ?

Ça part au départ de ce budget Bayrou. C'est quand même ça l'étincelle qui crée cet appel à la mobilisation le 10 septembre. Mais finalement, assez rapidement, on se rend compte que c'est beaucoup plus global. Ce sont des personnes qui n'en peuvent plus de la politique mise en place par Emmanuel Macron, qui demandent beaucoup plus de justice sociale, pas seulement des questions de pouvoir d'achat. C'est ça qui est intéressant, la principale revendication, ce n'est pas le pouvoir d'achat personnel, c'est la justice sociale, la lutte contre les inégalités. En vrai, c'est une vraie demande de transformation de la société sur ces questions économiques mais aussi politiques, avec une demande de 90 % de ces personnes de démocratie directe, plus de représentants politiques.

Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.

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