Journalistes tués à Gaza : "La question est de savoir pourquoi les Israéliens n'ont pas ouvert leurs portes à la presse internationale", estime Micheline Ishay, spécialiste du Moyen-Orient

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Micheline Ishay, directrice du Centre d'études du Moyen-Orient de l'Université de Denver (États-Unis), est l'invitée du "10 minutes info" de franceinfo mardi 12 août 2025.

Six journalistes palestiniens ont été tués dans des frappes israéliennes lundi 11 août. Cinq d'entre eux travaillaient pour la chaîne qatarie Al Jazeera. La théoricienne politique américaine Micheline Ishay, directrice du Centre d'études du Moyen-Orient à l'Université de Denver, aux États-Unis, est l'invitée de franceinfo pour parler de cette thématique au micro de Nathalie Layani et Richard Werly.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Nathalie Layani : Six journalistes palestiniens ont été tués dans des frappes israéliennes. Est-ce qu'on est, nous, trop naïfs sur le double jeu parfois joué par des militants du Hamas ou est-ce que la France et l'Occident ont raison selon vous de s'émouvoir de ces journalistes morts sur le terrain à Gaza ?

Je crois que l'Occident a le droit de s'émouvoir du sort de ces journalistes. On sait très bien que la Convention de Genève, article 79, nous dit très clairement que les journalistes ne doivent pas être ciblés. Mais il se peut, et ça, on ne peut pas le savoir maintenant, qu'il y ait eu des liens beaucoup plus proches entre le Hamas et ces journalistes, en tout cas un de ces journalistes. La question est en fait pourquoi les Israéliens n'ont pas ouvert leurs portes à la presse internationale, ce qui aurait permis de raconter l'histoire de manière différente. Maintenant, on s'est attachés à des journalistes qui, de par leur terrain, pourraient être beaucoup plus proches du Hamas.

Richard Werly : Est-ce qu'on peut dire qu'il y a une volonté du gouvernement israélien de faire un black-out de l'information justement au moment où il s'apprête à une nouvelle offensive militaire ?

C'est un argument très plausible. Je ne pourrais pas dire si c'était la raison pour laquelle ils ont décidé de faire cette frappe contre ces journalistes, mais c'est une possibilité.

Benyamin Nétanyahou dit vouloir ouvrir Gaza à des journalistes dans les semaines qui viennent, on imagine que ce sera forcément très encadré. Certains ont pu déjà rentrer, mais uniquement accompagnés par l'armée.

Oui, c'était le cas tout au début de la guerre, après le 7 octobre. Après, le gouvernement israélien n'a plus permis cela, et a interdit à la presse étrangère d'arriver. Cette opportunité sera une meilleure stratégie pour le gouvernement israélien qui se sent piégé en ayant fermé toutes ces possibilités aux journalistes.

"Terminer le travail"

Le monde entier réagit ces derniers jours aux annonces de Benyamin Nétanyahou, le Premier ministre israélien qui veut, je cite, "terminer le travail pour finir de contrôler militairement la bande de Gaza". Est-ce que vous diriez, comme Emmanuel Macron, qu'il s'agit là d'une fuite en avant et d'un désastre annoncé ?

La position de Benyamin Nétanyahou n'est pas nouvelle. Ça fait déjà 22 mois qu'il nous dit qu'il veut terminer le travail et il ne l'a pas encore terminé. Ce qui est intéressant, c'est qu'il nous a dit ses objectifs dans une conférence de presse il n'y a pas très longtemps dans laquelle il exprimait le fait qu'il voulait le désarmement du Hamas, l'éradication du Hamas, que l'armée israélienne prenne le dessus dans tout Gaza. Il voudrait aussi le retour des otages. Ce qui est nouveau est qu'il aimerait qu'il y ait un gouvernement civil qui opère à Gaza.

Il parle aussi d'un déploiement dans deux enclaves, dans la ville de Gaza, d'une part, et aussi dans ce qu'on appelle la zone humanitaire. C'est intéressant parce que ce n'est pas l'occupation totale dont il parlait au tout début. C'est en fait une occupation par phases, ce qui nous permet de nous demander quel est vraiment son objectif. Veut-il vraiment réoccuper Gaza ou essaie-t-il de faire un petit peu ce que M. Trump fait, à savoir hausser la barre des négociations pour retourner à la table d'échange pour le relâchement des otages en contrepartie de prisonniers palestiniens ? Les jours à venir nous le diront.

Une fracture au sein du gouvernement israélien

Il est sous pression à la fois de l'extrême droite israélienne, qui est membre de son gouvernement, et de l'opinion publique, en tout cas d'une grande partie de l'opinion publique, qui veut d'abord la libération des otages. Donc est-ce qu'à votre avis, la société israélienne peut encore plus se fracturer si l'armée lance une nouvelle offensive sur Gaza ?

C'est vrai qu'il y a cette fracture, mais aussi une fracture au sein de son propre cabinet. Donc ce n'est pas seulement M. Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich qui sont les ministres de l'extrême droite, mais c'est aussi au sein de son propre parti. Des ministres du Likoud s'opposent à une occupation totale. À part ça, on ajoute l'armée Eyal Zamir, son chef d'État-major, qui est contre une offensive de l'ampleur dont M. Nétanyahou parle. Et maintenant la société civile menace d'organiser une grève générale ce week-end avec le syndicat principal, la Histadrout.

Il me semble que le syndicat principal ne veut pas s'engager dans cette grève parce qu'il en a déjà été empêché juridiquement. Ça pourrait évidemment peser sur l'importance du mouvement. On comprend que pour certains, Benyamin Nétanyahou va trop loin, pendant que pour d'autres, il ne va pas assez loin. Est-ce qu'il poursuit aujourd'hui un autre but de guerre que celui de se maintenir au pouvoir ?

Mais je pense qu'il y a une convergence entre sa destinée politique et le destin politique du pays. Il pense qu'il est absolument nécessaire et essentiel pour lui de rester au pouvoir. En fait, ça l'aide aussi à ne pas confronter la justice israélienne. Mais d'autre part, il pense que lui et seulement lui peuvent amener le pays à une victoire totale ou partielle.

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