Diplomatie en temps de guerre : Poutine et Zelensky à l’heure des négociations – Analyse avec Bertrand Badie

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Article rédigé par franceinfo - Édité par l'agence 6Medias
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Nathalie Layani accompagnée d’Aude Soufi-Burridge, éditorialiste internationale pour franceinfo TV reçoit Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po et auteur de "L'Art de la paix" (Flammarion) dans le "10 minutes info" de franceinfo le mercredi 20 août. Pour une interview sur les enjeux de la diplomatie et de la paix.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Nathalie Layani :Va-t-on assister pour la première fois depuis le début du conflit à une rencontre Poutine-Zelensky ? Jusqu'à présent, le chef du Kremlin jugeait Zelensky illégitime. On en est maintenant à discuter du lieu de la rencontre. Moscou, proposé par Poutine, a été immédiatement rejeté par les Européens. La Suisse, l'Autriche, on parle maintenant de Budapest. Le premier critère pour Poutine, c'est qu'il puisse repartir libre ?

Bertrand Badie : Oui, bien sûr. D'un certain point de vue, le petit voyage à Anchorage lui a donné une première victoire. Pouvoir se rendre au centre même du camp occidental, même si les États-Unis ne sont pas partie prenante à la Cour pénale internationale, c'était déjà un succès. Personnellement, je suis un peu inquiet à l'idée que la destination pourrait être Genève, le centre de l'Europe, le lieu même des institutions internationales, la capitale du droit international. Je pense que cela peut faire grincer quelques dents du côté de l'UE et des partisans des droits de l'homme.

Mais il est évident que Poutine n'est pas pressé d'avoir cette réunion avec Zelensky. Très longtemps, il a même considéré qu'elle ne devait pas avoir lieu. Cela pourrait même être interprété comme un signe de faiblesse. Donc, il va faire tout ce qu'il faut pour la retarder, pour faire monter les enchères, pour rendre la chose plus complexe et plus avantageuse pour lui, que ça n'a été préalablement annoncé. Bref, j'ai déjà dit une fois sur ce plateau qu'on est dans "Un si grand soleil", c'est un nouvel épisode de ce grand feuilleton télévisé.

Aude Soufi-Burridge : Et c'est d'ailleurs pour ça que Poutine propose Moscou, parce qu'il sait que Volodymyr Zelensky ne peut pas l'accepter. Il n'est pas, comme le disait Bertrand Badie, pressé de tenir ce sommet. Il y a quand même d'autres options. On a beaucoup parlé de Budapest. C'est vrai que Viktor Orbán est proche à la fois de Poutine et de Donald Trump et membre de l'Union européenne. Ce serait en quelque sorte un lieu relativement neutre que chacune des parties pourrait accepter. Moscou a aussi, ce matin, émis l'hypothèse de faire la réunion à Minsk en Biélorussie, c'est ce qu'a dit le porte-parole du président Alexandre Loukachenko. Évidemment, encore une fois, c'est une option que Kiev ne peut pas accepter parce qu'on sait que la Biélorussie est l'alliée, voire la marionnette, du Kremlin. Mais dans tous les cas, en suggérant des options inenvisageables, Poutine ne fait que reculer l'échéance et c'est ce qu'il cherche.

La négociation face à Poutine

Nathalie Layani : Comment vous imaginez ce tête-à-tête Zelensky-Poutine ? D'abord, est-ce que Zelensky arrivera suffisamment armé pour affronter un joueur d'échecs redoutable ?

Bertrand Badie : Oui, alors il faut bien comprendre une chose que je crois qu'on n'a pas suffisamment mise en évidence, c'est que ce conflit se prête très mal aux méthodes classiques de négociation et de transaction. Pourquoi ? Parce que, d'abord, depuis 1945, vous n'avez plus de négociations internationales transactionnelles. Depuis 1945, vous n'avez plus de traités qui viennent authentifier, valider des sessions territoriales. Donc la session territoriale, ordinaire, je dirais, clé banale des relations internationales autrefois, est devenue quelque chose d'exceptionnel et de très difficile à négocier. D'autant que l'un des paramètres nouveaux, c'est la pression de l'opinion publique et des sociétés. La société ukrainienne n'est pas prête à donner un chèque en blanc à Vladimir Poutine pour céder telle ou telle part de son territoire national. Donc déjà, l'idée même de négociation est, je dirais, en opposition avec le courant que nous vivons actuellement en relations internationales.

Nathalie Layani : C'est-à-dire qu'on ne pourra pas aller plus loin qu'un gel des territoires ?

Bertrand Badie : Alors voilà, je pense que c'est quelque chose qui me semblait évident depuis un certain temps. Ce type de conflit, dont on a connu des précédents depuis 1945, ne peut s'éteindre que par un gel, si vous me permettez cette formule, c'est-à-dire par du non-dit, par du de facto, comme on dit. Comme ça s'est fait en Turquie, comme, pardonnez-moi, à Chypre. Comme ça s'est fait dans le Caucase, en Géorgie, comme ça s'est fait en Corée, comme ça s'est fait au Kosovo. Vous savez que le Kosovo n'est toujours pas membre des Nations unies et que la création de cet État n'est pas validée par le droit international. Dans ce type de situation, la négociation n'existe que de façon souterraine et informelle. Il n'y aura pas un traité de Versailles suite à cette négociation et tout le problème est là. Pourquoi ? Parce que l'Europe pourrait exister, très légitimement, se cristalliser sur les questions de garantie de sécurité. Mais que vaudront les garanties de sécurité face à une absence de cessez-le-feu, qu'on nous annonce, et un accord plus informel que formel ?

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