Enquête Aides aux entreprises : quand Michelin envoie à l'étranger des machines achetées avec l'argent public

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Article rédigé par France 2
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Des machines payées par de l'argent public à destination d'une usine française... qui finissent sur d'autres sites européens. C'est la découverte embarrassante qu'ont faite les syndicats du groupe Michelin, l'un des grands bénéficiaires des aides de l'Etat aux entreprises, comme le révèle "Complément d'enquête" dans son émission de jeudi.

Parmi les grands bénéficiaires des aides de l'Etat, le groupe Michelin. En 2024, ce fleuron de l'industrie française en a perçu pour plus de 140 millions d'euros. La même année, il a engrangé 1,9 milliard d’euros de bénéfices, ce qui ne l'a pas empêché d'annoncer la fermeture de deux sites de production en France. A Cholet et à Vannes, c'est plus de 1 200 emplois qui sont supprimés. Une multinationale comme Michelin qui ferme des usines tout en bénéficiant de la générosité de l'Etat, voilà qui choque... et provoque la colère des salariés. Ils accusent le groupe de délocalisations déguisées, une partie de la production de Cholet étant transférée en Italie et en Pologne.

Cet extrait de "Complément d'enquête" se penche en particulier sur l'une de ces aides publiques : le CICE, Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Cet avantage fiscal lancé par François Hollande en 2012 (transformé depuis 2019 en allègement de charges) était censé favoriser la production sur le territoire français, et donc le maintien et la création d'emplois. Sous forme d'aide automatique, il permettait aux entreprises de déduire de leur impôt 6% de chaque salaire inférieur à 2 800 euros. Un gros coup de pouce de l'Etat, qui a fait économiser à Michelin 135 millions d'euros entre 2013 et 2018. Et pourtant, depuis 2012, le groupe a supprimé plus de 4 600 emplois en France. Avant Cholet et Vannes, il y a eu les fermetures des sites de Joué-lès-Tours, Clermont-Ferrand, La Roche-sur-Yon...

A quoi a servi l'argent du CICE ?

En 2016, le groupe Michelin a perçu 17 millions d’euros au titre du CICE. Une partie de cette somme (4,3 millions d’euros) est allouée à l’usine de La Roche-Sur-Yon, pour la moderniser, dans l'objectif d'augmenter sa production de pneus destinés aux poids lourds. Grâce à cet argent public, le groupe fait l'acquisition de six nouvelles machines, le site est même agrandi pour les accueillir. Mais en février 2018, changement de programme : la direction de Michelin gèle l'opération. Un an plus tard, la fermeture de l'usine est annoncée après un demi-siècle d'existence. Quant à ces machines financées aux deux tiers par de l'argent public, où sont-elles passées ?

"Complément d'enquête" a rencontré un ancien salarié du groupe qui a son idée sur la question. Pour Laurent Paillat, ouvrier pendant quinze ans à l'usine de La Roche-sur-Yon, "il n'y a plus en France d'usines poids lourds, donc elles sont sûrement parties à l'étranger", sur les sites où Michelin a transféré sa production.

"Il n'y a pas de raison qu'ils [le groupe Michelin] aient des avantages sur les impôts pour payer des machines et pour les envoyer à l'étranger. C'est l'argent des Français."

Laurent Paillat, ancien ouvrier Michelin,

dans "Complément d'enquête"

Où se trouvent aujourd'hui ces machines ? Dans un premier temps, le porte-parole du groupe Michelin "ne sait pas répondre à cette question". D'après les informations de "Complément d'enquête", elles ont été transférées ailleurs en Europe. En Espagne, Italie et Pologne, finira effectivement par confirmer l'entreprise dans une réponse par mail, quelques semaines plus tard.

Dès lors, Michelin ne devrait-il pas rembourser l'argent public perçu pour l'achat de ces machines ? Devant une commission d’enquête du Sénat, le président du groupe Michelin Florent Menegaux reconnaît : "Si le CICE n’a pas servi aux machines qui sont restées en France, il ne serait pas anormal qu’on les rembourse."

C'est ce que réclame le rapport de la commission sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises datant de juillet 2025. Il préconise aussi que les entreprises qui délocalisent reversent les aides perçues dans les deux années précédentes.

Extrait de "Multinationales : les (vraies) assistées de la République ?", à voir dans "Complément d'enquête" le 18 septembre 2025.

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