Vidéo Intimidations, enlèvements, séquestrations, homicides : quand certains dockers du Havre deviennent complices malgré eux des trafiquants de cocaïne

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Article rédigé par France 2
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Au Havre, principale porte d'entrée de la cocaïne en France, c'est une communauté en première ligne : les dockers, tantôt complices, tantôt victimes des trafiquants. Ceux qui ne se laissent pas soudoyer sont parfois contraints de participer au trafic par des pressions et des intimidations, comme dans ce témoignage extrait d'"Envoyé spécial".

"Pour les trafiquants de stupéfiants, explique le journaliste Frédéric Ploquin, auteur de Les narcos français brisent l'omerta (éd. Albin Michel), toute personne qui travaille dans un port est achetable. Toute personne a un prix : un policier, un douanier, un docker… Et dans leur esprit, personne ne doit résister à l'argent de la cocaïne."  

Résister à l'argent de la cocaïne, à la promesse de grasses rémunérations en échange de son aide pour accéder aux terminaux à conteneurs et en faire sortir la drogue, Paul a tenté de le faire. Il était agent portuaire au Havre. Aujourd'hui, il ne peut plus travailler sur le port, ni même retourner dans la ville. Après avoir reçu des menaces, il a dû déménager dans une autre région. Il raconte dans "Envoyé spécial" un engrenage qui a "complètement détruit [s]a vie". Pour préserver sa sécurité, son témoignage a été reconstitué. 

Il y a deux ans, Paul s'est retrouvé mêlé à un vaste trafic de cocaïne. Consommateur lui-même, il dit avoir été approché par l'intermédiaire de son dealer, par un habitué d'une boîte de nuit qu'il fréquentait. raconte-t-il.

"Quand il a su que je travaillais sur le port, il a eu des étoiles dans les yeux. Il s'est dit 'Lui, ça va être mon pigeon'."

Paul, agent portuaire au Havre

dans "Envoyé spécial"

Pour pouvoir accéder aux conteneurs où est dissimulée la drogue, l'homme veut lui louer ou lui acheter son badge d'accès portuaire. Paul refuse. Alors seraient arrivées les menaces : "Il ne faudrait pas qu'il t'arrive des galères… Une fois, on a dû choper un mec, on l'a séquestré." Des menaces qui se seraient précisées par la suite.

"Alors que je sortais de boîte, quatre mecs me sont tombés dessus. Ils m'ont dit 'On sait où tu travailles, on sait comment tu peux nous être utile.' Et ils sont revenus à la charge plusieurs fois. Ils sont même venus casser ma voiture." Sous pression, le jeune agent portuaire finit par céder à leur chantage. 

Une "mission" à 150 000 euros 

Un soir de mai 2022, Paul accepte de s'introduire grâce à son badge pour l'un des terminaux portuaires du Havre, accompagné de deux complices. La mission consiste à photographier un conteneur "pour envoyer une preuve aux commanditaires". Plus tard, il s'agira de faire entrer des hommes qui doivent récupérer "plusieurs centaines de kilos" de cocaïne dans un autre conteneur. "Ils m'ont proposé 150 000 euros, mais le conteneur était vide : la douane était passée juste avant nous", précise Paul.

Durant les mois qui ont suivi, Paul aurait tenté de faire croire qu'il avait perdu son badge. Relancé, il n'a "pas eu le choix", affirme-t-il. Un jour, alors qu'un commando s'apprête à braquer un camion qui transporte un conteneur renfermant de la cocaïne, la police intervient. Posté à quelques centaines de mètres, Paul est interpellé lui aussi. Après six mois de prison, il est aujourd'hui sous contrôle judiciaire.

Le cas de cet agent portuaire est loin d'être isolé. Un avocat du Havre, Me Guillaume Routel, affirme avoir "énormément de dossiers" dans lesquels des dockers affirment : "J'ai été contraint de le faire, je n'ai pas eu le choix. Ma famille a été menacée, j'ai été menacé, ils savaient où mes enfants allaient à l'école, j'avais le sentiment d'être surveillé..." Depuis 2016, selon Carole Etienne, la procureure de Lille (où sont jugées la plupart des affaires d'importation de cocaïne de la région), on constate "une montée en gravité des dossiers", avec "enlèvements, séquestrations, tentatives d'homicide, homicides". 

Extrait de "Coke en dock", un reportage à voir dans "Envoyé spécial" le 6 mars 2025.

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