"Une date devient historique quand elle s’adresse à nous " : Patrick Boucheron reprend sa collection "Quand l’histoire fait dates" sur Arte

Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France, producteur à France Culture et auteur de la collection documentaire "Quand l’histoire fait dates" sur Arte, revient avec quinze nouveaux épisodes. Chaque numéro explore une date clé en une vingtaine de minutes.

Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Patrick Boucheron, historien, le 10 juin 2025. (FRANCEINFO/ RADIO FRANCE)
Patrick Boucheron, historien, le 10 juin 2025. (FRANCEINFO/ RADIO FRANCE)

Pour l'historien, ce qui fait qu’un événement entre dans l’histoire, tient à l’impact direct sur notre perception : "Parce qu'elle s'adresse à nous directement, parce qu'elle s'adresse à nous toutes et tous à l'endroit où on est".  Il donne l’exemple personnel de ses parents évoquant la mort de John Fitzgerald Kennedy. Un événement marquant serait celui qui "vous rentre dans le corps littéralement, et qui plie vos âmes". Mais tous les événements ne sont pas aussi immédiats. Certains s’insinuent de manière plus lente, comme une "ombre projetée de la mémoire". L’émission,"Quand l’histoire fait dates" sur Arte, s’attache ainsi à donner à voir "toute cette grammaire du changement".

Dans la série, certains épisodes peuvent surprendre. Celui consacré au Déluge en est un exemple. Interrogé sur la légitimité historique d’un événement biblique, Patrick Boucheron insiste.: "Le mythe ça fait partie évidemment du territoire de l'historien", explique-t-il mardi 10 juin. Il souligne l’universalité du récit. Avant le mythe biblique, il existait déjà des versions mésopotamiennes, et d’autres civilisations, comme la Chine, ont aussi raconté des histoires de fin du monde. Pour lui, "la fin du monde a déjà eu lieu. Au fond, nous vivons un recommencement".

Mythe, mémoire et science

Le choix du Déluge résonne avec les préoccupations contemporaines : "C'est un effondrement climatique".  L’histoire est ainsi réactivée par les peurs du présent, posant des questions essentielles sur "la vérité et du mensonge" mais aussi sur "ce que nous sommes en train de devenir".

Un autre épisode s’intéresse au discours de Haïlé Sélassié devant la Société des nations en 1936. L’historien reconnaît que le parallèle avec l’actualité ukrainienne peut venir à l’esprit, mais il revendique une posture différente. L’objectif reste de raconter 1936, en laissant au public le soin d’établir les comparaisons.

Ce discours est aussi un moment fort pour d’autres raisons : "C’est la première fois qu’un négus d'Éthiopie, qui est un roi… Un roi sacré, mais noir, […] pose très haut la question du droit des Noirs".

L’histoire pour mieux voir le présent

À ceux qui pensent que les historiens pourraient presque prédire l’avenir, Patrick Boucheron répond avec humilité : "Voir venir le temps, c'est évidemment un rêve de lucidité, mais je ne suis pas sûr que les historiennes et les historiens de profession aient un privilège d'intelligibilité sur le monde". En revanche, feuilleter le passé permet de reconnaître des formes, des rôles, une "grammaire" ou un "répertoire". Les références ne se limitent pas aux années 30. L’émission parle aussi de Charlemagne, de Hastings ou même de Frankenstein, autre mythe lié à un bouleversement climatique.

Dans un monde saturé de fausses informations, les historiens doivent redoubler d’efforts pour se faire entendre. D’où l’importance des médias publics comme Arte : "Il faut trouver d'autres moyens de s'adresser à un public élargi. […] C'est un engagement que Arte prend de défendre une histoire qui est savante et populaire, en même temps.", explique-t-il. Le projet de l’émission repose sur une démarche transparente : "On la fabrique devant vous et c'est ça qui est émancipateur". 

L’émission a trouvé un écho dans les écoles, où elle est largement utilisée. Cela a encouragé l’équipe à prolonger l’aventure au-delà des 30 épisodes déjà réalisés : "On pouvait estimer que ça faisait collection, ça faisait œuvre. […] Mais non, il faut continuer".

Quand on évoque le 26 juillet 2024, jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques – à laquelle Patrick Boucheron a contribué en tant que co-auteur – il affirme que c'est une date : "Je pense que c'en est une, oui. Franchement, honnêtement, je pense que c'en est une".  Reste à savoir si cette date deviendra un véritable événement historique. "Un événement, c'est ce qui advient de ce qui est advenu", rappelait l’historien Pierre Laborie. Ce qui a eu lieu ce jour-là, conclut-il, c’est à la société d’en faire quelque chose.

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