"On a une formidable opportunité de redonner de la compétitivité à la France", affirme Jean-Pascal Tricoire de Schneider Electric
Comment la technologie peut favoriser les économies d'énergie ? C'est le cœur de métier de Schneider Electric, géant français de l'énergie et de l'automatisation, dont le président du conseil d'administration est notre invité.
Schneider Electric est une entreprise mondialisée, qui réalise plus de 90% de son chiffre d'affaires hors de l'Hexagone. L'entreprise reste française, cotée à Paris, 5e valorisation du CAC40. Son cœur de métier est de nous faire des économies d'énergie, à l'heure où de plus en plus d'industries requièrent des quantités très importantes d'électricité, notamment les data centers et les gigafactories.
Après avoir été président du directoire pendant 20 ans, notre invité Jean-Pascal Tricoire est le président du conseil d'administration de Schneider Electric.
En marge de la conférence des Nations Unies sur les océans qui démarre à Nice, lundi 9 juin, le président de la République a poussé un coup de colère contre le détricotage de certains dispositifs écologiques, comme MaPrimeRénov', qui subventionne les Français pour les aider notamment à consommer moins d'énergie.
Franceinfo : Emmanuel Macron a-t-il raison de s'agacer ? Faut-il de la visibilité dans la politique de la rénovation énergétique ou faut-il avant tout de l'efficacité ?
Jean-Pascal Tricoire : Les deux. Il faut à la fois bien sûr de l'efficacité, pour que MaPrimeRenov' soit appliquée là où elle doit être appliquée. Mais il faut aussi de la visibilité parce que derrière, il y a des projets de famille.
"MaPrimeRénov' n'a pas su suffisamment intégrer les nouvelles technologies."
Jean-Pascal Tricoireà franceinfo
MaPrimeRénov' est beaucoup utilisée pour l'isolation traditionnelle. Mais le futur de la décarbonation, ce sera l'électrification, passer aux pompes à chaleur, et puis ensuite la digitalisation qui permet de piloter sa maison et toutes ces facilités de façon automatique. Et ça, ça n'a été pas suffisamment pris en compte à la fois par les filières et à la fois par MaPrimeRenov'.
Aujourd'hui, de plus en plus d'industries, notamment en France, requièrent des quantités de plus en plus importantes d'électricité, notamment les gigafactories et les data centers. La France est-elle compétitive en la matière avec son énergie nucléaire ?
Je pense que c'est formidable pour la France. D'abord, si on prend un peu de recul par rapport à l'équation, le futur est électrique. Donc aujourd'hui, on est dans un monde qui fonctionne à 20% à l'électricité et dans 20 ans, ça sera le double. On n'a jamais vu cette inflexion. Et c'est simple à expliquer : les data centers, ou la pompe à chaleur qui, dans les bâtiments, est quatre fois plus efficace que les procédés traditionnels de chauffage ou de climatisation.
"Le futur est bien évidemment électrique."
Jean Pascal Tricoireà franceinfo
En France, on a un atout incroyable. On est un grand pays d'électricité, avec une électricité décarbonée. Et avec le travail formidable des équipes d'EDF pendant les dernières années, on a aujourd'hui un grand excédent de l'électricité. Tous les ans, on a un excédent aux alentours de quatorze gigawatts, c'est-à-dire dix centrales nucléaires. On a deux choix possibles : soit on le vend à nos voisins, aux Allemands qui en ont besoin ou au Benelux, soit on le transforme. On le transforme en avantage compétitif. Par exemple, les data centers. Le data center, c'est la partie qui donne naissance à l'intelligence artificielle et l'intelligence artificielle, c'est bien évidemment une condition nécessaire de compétitivité dans le futur. Grâce au travail qui a été fait par RTE [Réseau de Transport d'Électricité, filiale d'EDF] et qui a offert une connectivité beaucoup plus rapide au réseau, et grâce à EDF qui a fourni des sites directement clé en main accessibles aux grands constructeurs de data centers, la France a tiré, lors du Sommet de l'intelligence artificielle, 100 milliards d'euros d'investissements dans les data centers. Ce qui va donner lieu à la création de 50 000 postes. Et sur cette base, on peut créer ou donner un terrain de développement à toutes nos entreprises d'intelligence artificielle. C'est un exemple.
Il vaut mieux créer des emplois et des entreprises en France, qui vont consommer l'énergie qu'on produit, plutôt que de la vendre à l'étranger, c'est ça ?
Il faut probablement faire les deux. Mais on a une formidable opportunité de redonner de la compétitivité à la France. Je vais prendre un autre exemple. Le prix du gaz en Europe, comparé aux autres continents : le prix qu'on paye en Europe est de 3 à 5 fois plus cher que ce qu'on paye aux Etats-Unis. Pour l'électricité : c'est le même prix.
"Dès lors qu'on pousse les usages de l'énergie vers l'électricité, on retrouve une compétitivité mondiale."
Jean-Pascal Tricoireà franceinfo
Et je terminerai en disant que très souvent, quand on parle d'énergie, on parle toujours de fourniture, on parle de pétrole, de gaz, électricité. Mais les transitions énergétiques ne se feront que par les usages. C'est à chacun d'entre nous d'adopter un véhicule électrique, d'adopter une pompe à chaleur, d'adopter l'efficacité énergétique et de contribuer à cette transition énergétique.
Les chiffres de croissance de Schneider Electric sont portés en partie par les Etats-Unis, qui représentent presque 15 % de la croissance de votre activité en un an. L'arrivée au pouvoir de Donald Trump et ses tergiversations, notamment sur les droits de douane, change t il la donne pour une entreprise comme la vôtre ?
Pas vraiment pour Schneider, parce que depuis 20 ans, on a construit un modèle d'opération qui est unique, original, qu'on appelle le "multi pôle" ou le "multi hub". Dans ce modèle, on veut que chaque région soit indépendante au niveau de sa "supply chain", de sa fourniture, de sa fabrication, de sa recherche et développement, de son réseau de fournisseurs, de ses usines. Et donc on a aujourd'hui aux États-Unis un dispositif qui marche fondamentalement aux États-Unis pour les États-Unis. Donc, on est peu affecté par les problèmes de douane.
Vous avez aussi une grosse zone Asie-Pacifique.
Oui, 95% du chiffre d'affaires sont réalisés en dehors de France. Notre première zone, ce sont les États-Unis et la deuxième c'est effectivement l'Asie-Pacifique.
Votre atout, c'est d'avoir des chaînes de valeur spécifiques à chaque zone, qui ne sont pas interdépendantes les unes des autres. C'est la clé du succès aujourd'hui pour Schneider Electric, dans une géopolitique extrêmement mouvante ?
Oui, parce que ça permet aux équipes locales de prendre des décisions rapides et d'agir à la vitesse locale. Ça permet aussi à l'écosystème, aux communautés, aux pays de bénéficier de notre présence économique dans tous les domaines. C’est-à-dire qu'on industrialise sur place. Et en Europe, par exemple, tout ce que nous vendons en Europe est produit en Europe, on est presque une société d'origine européenne. On exporte aussi beaucoup d'Europe vers le reste du monde.
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