À Stains, des lycéennes ne comprennent pas l'interdiction de l'abaya à l'école : "J'ai l'impression qu'on nous force à nous découvrir"
Une dizaine de jours après la rentrée scolaire, l'interdiction de l'abaya semble respectée dans les établissements. Mais le sujet n'est pas forcément clos pour autant. Rencontre avec des lycéennes scolarisées à Stains en Seine-Saint-Denis.
Les établissements scolaires n'ont pas fait remonter d'incidents particuliers, ou presque, concernant l'interdiction de l'abaya. Le jour de la rentrée scolaire, lundi 4 septembre, 298 élèves sur un total de 12 millions se sont présentées en abaya et 67 d'entre elles ont refusé de la retirer, selon le ministre de l'Éducation.
Une dizaine de jours après la rentrée, des jeunes femmes qui souhaiteraient porter une abaya s'expriment sur cette interdiction, à la sortie du lycée. Elles sont en classe de seconde à Stains, une ville populaire du département de la Seine-Saint-Denis. Certaines sont voilées, d'autres non.
Des vêtements larges à la place de l'abaya
Aya, par exemple, est en colère contre cette interdiction. "J'aimerais porter le vêtement que je veux", raconte-t-elle, précisant qu'en remplacement de l'abaya, elle porte des vêtements larges. Alors que l'aspect religieux de ce vêtement fait débat dans la société, une autre lycéenne explique que cette envie de porter une abaya n'est pas poussée par le Coran. "J'ai l'impression qu'on nous force à nous découvrir, à nous montrer", explique l'une des adolescentes.
"Si tu n'aimes pas ton corps, tes formes, que tu veux cacher ton corps en portant des robes longues, ça n'est pas religieux."
une élève de seconde qui aimerait porter l'abayaà franceinfo
Ces lycéennes, qui acceptent toutes d'enlever le voile en passant la grille du lycée, ne comprennent pas pourquoi l'abaya est visée tout particulièrement, plutôt que les kimonos qui sont à la mode ou encore les robes longues, mais à fleurs. Elles ont l'impression que leur religion est ciblée et que l'autorisation ou non d'une tenue se fait en fonction de la religion supposée de l'élève.
"Pour le voile, on comprend et on le retire. Mais pour un habit, je ne vois pas pourquoi on est obligées de le retirer. Maintenant, on est obligées de s'habiller comme ils le veulent et on ne se sent pas à l'aise", explique l'une des élèves. Une autre ajoute : "On est censés être dans une République libre et égalitaire mais moi, je ne me sens pas libre. À partir du moment où tu ne peux pas t'habiller comme tu veux, pour moi, c'est que tu n'es pas libre."
La loi de 2004 n'était pas assez claire
Pourtant ce nouveau texte, c'était une demande formulée par certains syndicats de chefs d'établissement. Des proviseurs se sentaient parfois un peu démunis, même si le phénomène était extrêmement minoritaire. La loi de 2004 sur les signes religieux à l'école ne liste pas précisément quels vêtements sont interdits, il y a une part d'appréciation.
"Le fait de rappeler que, quand on regarde une salle de classe, on ne doit pas pouvoir déterminer les appartenances religieuses, permet de lever une petite ambiguïté, tout simplement."
Stéphanie Hamm, proviseure-adjointe de la cité scolaire Kléber, à Strasbourgà franceinfo
Stéphanie Hamm, proviseure-adjointe de la cité scolaire Kléber, à Strasbourg, représentante les personnels de direction au syndicat Snalc, défend l'interdiction de l'abaya à l'école. Pour elle, il n'y a pas d'ambiguïté sur ce qu'elle représente : "Je pense qu'il y a une différence entre être habillé comme on le souhaite et respecter la laïcité." Pour elle, l'abaya se définit comme "une robe longue qui recouvre d'autres vêtements". Dans son lycée, seulement deux élèves se sont présentées en abaya le jour de la rentrée et elles ont accepté de la retirer.
Le débat n'est pas clos pour autant
Pour la sociologue Agnès de Féo, qui a beaucoup travaillé sur le voile et le niqab, le débat n'est pas forcément clos. Depuis la rentrée, elle s'est entretenue avec plusieurs jeunes femmes qui portent l'abaya. Pour elle, porter l'abaya, c'est surtout une expression de la jeunesse, subversive, pas forcément reliée à une pratique religieuse intense.
"J'ai rencontré des filles qui n'apprenaient pas l'arabe, mais le japonais, parce qu'elles sont fans de la culture 'manga'. C'est juste un 'look musulman' qu'elles veulent se donner, c'est quelque chose d'identitaire mais ça ne va pas chercher plus loin", raconte Agnès de Féo. La sociologue déplore que ces jeunes femmes soient acculées à cette identité religieuse et craint justement que "cela les renferme dans cette identité".
"Pour moi, l'interdiction de l'abaya va multiplier l'abaya. Peut-être qu'elle sera enlevée au collège et au lycée mais elle sera davantage portée à l'université et dans l'espace public."
la sociologue Agnès de Féoà franceinfo
Pour la chercheuse, le fait d'interdire cette tenue risque de provoquer un effet contraire à celui souhaité au départ, une "sorte d'effet boomerang" : certaines femmes pourraient commencer à la porter, pour son côté transgressif. "D'ailleurs, commercialement, c'est un vrai succès. Les commerçants de ces tenues à connotation musulmane se félicitent d'en vendre davantage. On aura d'autres expressions de cet islam visible, chez des personnes qui, peut-être, n'y pensaient pas avant", argumente-t-elle.
La sociologue avait constaté ce phénomène pour l'interdiction du voile dans les établissements scolaires en 2004 puis l'interdiction du niqab en 2010.
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