Reportage
À Marseille, une expérience inédite pour détecter les troubles du neurodéveloppement chez les bébés

Troubles des apprentissages, signes d'autisme, de retard mental ou de troubles de l'attention... Un enfant sur six est concerné en France. Des crèches expérimentent un dépistage précoce chez les nourrissons pour mieux les soigner. Les premiers résultats montrent une nette amélioration chez la plupart des bébés.

Article rédigé par Anne-Laure Dagnet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
La psychomotricienne Emmanuelle Boutté, qui travaille avec l’un des bébés de l'expérience suivie à l’hôpital Valvert de Marseille (Bouches-du-Rhône). (ANNE-LAURE DAGNET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
La psychomotricienne Emmanuelle Boutté, qui travaille avec l’un des bébés de l'expérience suivie à l’hôpital Valvert de Marseille (Bouches-du-Rhône). (ANNE-LAURE DAGNET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Dépister les bébés pour prévenir les troubles du neurodéveloppement. En France un enfant sur six est concerné par ces troubles. Une expérience inédite est menée dans 70 crèches à Marseille (Bouches-du-Rhône), une étude grandeur nature pour évaluer des centaines d'enfants et proposer des soins quand un signal est détecté.

Dans la crèche des 1 000 Roses, un établissement de la Maison de la famille, le personnel remplit régulièrement des grilles d'évaluation, en observant comment l'enfant bouge, comment il communique. Cela leur permet de détecter des signes de troubles des apprentissages, d'autisme, de retard mental ou de troubles de l'attention. C'est comme cela que l'infirmière Melody Masseglia a repéré un problème chez un nourrisson de 9 mois. "Au niveau du langage, il ne fait pas encore de vocalises, observe-t-elle. Côté socialisation, quand on lui demande d'imiter un geste simple, comme faire les marionnettes, bravo ou au revoir, il ne le fait pas encore. Et enfin sur la motricité, il n'a pas des mouvements toujours très coordonnés de ses quatre membres. Donc comme on a trois réponses 'pas encore' à trois items différents, la grille va devenir positive."

Des grilles d’évaluation des bébés, selon leur âge et plusieurs critères, comme le langage, la socialisation ou la motricité. (ANNE-LAURE DAGNET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Des grilles d’évaluation des bébés, selon leur âge et plusieurs critères, comme le langage, la socialisation ou la motricité. (ANNE-LAURE DAGNET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Quand une grille est "positive", c'est-à-dire qu'il y a des signaux d'alerte d'un trouble du neurodéveloppement chez le bébé, les parents sont informés. Si le diagnostic est confirmé, on leur propose des soins à l'unité de soutien au développement du bébé de l'hôpital Valvert, dirigée par la pédopsychiatre Gaëlle Broder, qui milite pour une intervention précoce. "Plus on les prend en charge tôt, plus l'évolution est de meilleure qualité, parce que lorsqu'ils sont jeunes, il y a une plasticité cérébrale et quelque chose de malléable, explique-t-elle. Sur l'ensemble des bébés qu'on a reçus, environ 300, il y a entre 75% et 80% des bébés qui ont repris soit un développement classique, soit quand il y a d'autres choses beaucoup plus complexes, cela améliore le pronostic par la suite et la sévérité des troubles."

Des jeux et une implication des parents

Depuis le début de cette étude menée par le laboratoire PsyCLÉ de l'université d'Aix-Marseille, environ 700 bébés ont été évalués et 50 ont été pris en charge dans cet hôpital. Ces bébés qui présentent des signes de troubles du neurodéveloppement sont soignés avec des jeux et en associant les parents. Ce jour-là, la psychomotricienne et la psychologue reçoivent Mattia, qui ne parle pas et ne marche pas à 19 mois. Elles expliquent à sa maman comment rectifier sa posture. "Je pensais que quand il bougeait les pieds comme ça, c'est qu'il était content, mais en fait c'est le manque de stabilité, c'est ce que vous m'avez expliqué", dit la maman.

Quand il a été détecté à 7 mois, Mattia ne bougeait pas du tout. Au fil des séances, il progresse, comme Noham qui fait aussi partie de l'expérience. À 18 mois, il ne parle pas encore, mais sa maman Myriam a remarqué qu’il est beaucoup moins angoissé. "Le fait d'avoir suivi toutes ces séances avec vous, ça nous a permis de faire évoluer Noham dans cette partie où il était complètement terrorisé, constate-t-elle. Ça ne lui permettait pas d'aller vers les gens, ne serait-ce que jouer ou explorer certains lieux. Je trouve que ça a beaucoup changé depuis l'année dernière."

"Cela doit devenir une politique de santé publique nationale"

D'autres bébés vont rejoindre Mattia et Noham puisque l'expérience va se poursuivre encore un an. Si ce dépistage chez les bébés fait ses preuves, l'idée est de le généraliser dans toutes les crèches. C'est ce que souhaite en tout cas l'adjointe au maire de Marseille chargée de la place de l'enfant dans la ville, Sophie Guérard, qui est à l'origine de l'expérimentation.

"Le but, c'est de prouver qu'il est possible de détecter en amont et que c'est là qu'il faut mettre le paquet."

Sophie Guérard, adjointe au maire de Marseille chargée de la place de l'enfant dans la ville

à franceinfo

"Quand on voit les difficultés que cela pose aux familles, les problèmes de scolarité que cela engendre chez les enfants, les difficultés aussi pour les enseignants d'accompagner ces enfants et le coût que cela représente pour la société, cela doit devenir une politique de santé publique nationale de dépistage ultra-précoce", plaide-t-elle.

Pour l'instant, le gouvernement n'a prévu que deux examens obligatoires pour dépister les troubles du neurodéveloppement chez l'enfant : à 9 mois au cours d'une visite chez son médecin et à 6 ans dans les écoles maternelles.

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