Reportage
"Aujourd’hui, ce n’est plus tellement une guerre d’infanterie" : sur le front ukrainien, les drones remplacent peu à peu les soldats et les véhicules de guerre

Alors que la guerre se poursuit entre l'Ukraine et la Russie, l'utilisation des drones par les deux belligérants rebat les cartes du conflit sur le terrain.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un robot drone terrestre de l'armée ukrainienne. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)
Un robot drone terrestre de l'armée ukrainienne. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

En Ukraine, malgré les volontés affichées par Moscou et Kiev de parvenir à un accord de paix, la guerre continue de faire rage sur le front. Ces derniers mois, l’armée russe a complètement modifié sa stratégie militaire. À Sloviansk, dans le Donbass, à quelques kilomètres du front le plus actif, la guerre a totalement changé de visage.

Ces dernières années, dans le Donbass, on entendait surtout les grondements quotidiens de l’artillerie sur le front au loin. On voyait aussi sur les routes, des chars d’assaut, des engins blindés, du matériel lourd. Mais actuellement, rien de tout ça. Désormais, le bruit de la guerre, c’est surtout celui des drones.

Quand les drones remplacent les soldats

"Aujourd’hui, ce n’est plus tellement une guerre d’infanterie, mais une guerre de drones", atteste le sergent Illitch, de la 20e brigade de la Garde nationale d’Ukraine. Nous l’avons rencontré dans une maisonnette à l’arrière des combats. Dans une petite pièce de 10 m2, plusieurs écrans retransmettent les images du front, filmées en direct par six drones différents. "Là, par exemple, c’est le village de Katerynivka, les pilotes de drones sont en train de contrôler ce bâtiment. Ils pensent que l’ennemi s’y cache", indique le sergent.

Sur l’écran, un des drones munit d’une grenade s’approche d’une maison en ruine. Le commandant Sarmat commente l’image sobrement : "Le drone vient de larguer l’explosif. Pas sûr à 100% qu’on ait tués quelqu’un. Mais il faut constamment frapper". Il faut frapper des petits groupes de fantassins qui tentent de percer la ligne de front. C’est une nouveauté, parce qu’actuellement, il y a tellement de drones dans le ciel, qu’il est impossible pour les Russes de mener des attaques massives. Elles seraient tout de suite repérées et annihilées.

"L’efficacité de cette tactique est évidente"

"Les petits groupes" de soldats, "c’est un plus pour eux. Ils sont plus agiles et moins visibles" explique le commandant Sarmat. Les Russes "avancent par deux ou trois soldats. Et même parfois, on a vu un seul soldat qui se déplaçait à découvert avec juste une cape de protection contre les détections thermiques." Ces petits groupes russes installent ensuite de nouvelles positions dans le dos des Ukrainiens pour les prendre à revers. "L’efficacité de cette tactique est évidente" rit, jaune, le sergent Illitch, "il n’y a qu’à regarder les cartes" constate le militaire.

"Le mois dernier, on a reculé sur beaucoup de zones du front. L’ennemi arrive sans arrêt. Ça leur demande du temps, ça leur cause beaucoup de perte, mais ils n’ont pas d’autre solution."

le commandat Sarmat, de l'armée ukrainienne

à franceinfo

Les drones ont complètement rebattu les cartes. Aujourd’hui, les chars d'assaut ont beau être en première ligne, ils ne sont quasiment plus utilisés. "Les drones kamikazes chassent les engins blindés qui ne peuvent plus atteindre la ligne de front. Et ça, aussi bien du côté russe que du nôtre. Donc aujourd’hui, les gros assauts avec des tanks sur le front, de fait, c’est impossible" explique encore le sergent Illitch.

Par ailleurs, pourquoi les Russes prendraient-ils le risque de perdre un char d’assaut, quand le réservoir de fantassins russes semble inépuisable ? Taras, un officier, raconte que "le champ de bataille est semé de corps de soldats russes et ils ne les récupèrent jamais. Pour eux, pas de corps, pas d’indemnisation pour les familles. Alors qu’un char d’assaut, ça, ça coûte cher. Un tank détruit, c’est 3 millions de dollars de perte" estime-t-il. Enfin, l’artillerie n’est plus adaptée à ces petits groupes mobiles. Un obus touche sa cible dans 20 % des cas, quand un drone, lui, l’atteint 8 fois sur 10.

La logistique ukrainienne à rude épreuve

Tous les militaires interrogés par franceinfo disent la même chose. La supériorité numérique des drones russes est claire, ce qui pose de gros problèmes logistiques aux Ukrainiens. Grâce à leurs drones kamikazes, les Russes parviennent à couper les lignes de vie ukrainiennes, ces routes qui relient les bases arrière aux positions sur le front et qui permettent de ravitailler les fantassins en eau, en nourriture ou en munitions.

"On ne va pas vous le cacher, notre logistique est en miettes. En face, on a des ennemis très sérieux qui ne comptent pas leurs drones. Ils en ont à l’infini. C’est l’Etat qui leur fournit les drones. Ils ont des pilotes de drones professionnels et donc ils détruisent facilement notre logistique", admet le sergent Illitch.

Alors pour assurer un minimum de ravitaillement, tout en limitant les pertes humaines, les Ukrainiens se servent de drones terrestres. Une sorte de robot, de forme cubique, monté sur chenille, et conduit à distance par le sergent-chef "Miami". Il décrit "un véhicule sans pilote, qui va apporter des provisions à nos gars sur les positions. Et puis un deuxième véhicule ramènera le corps d’un de nos frères d’armes décédé". Omniprésents en Ukraine, les drones servent même désormais d’ambulance pour récupérer sur le front les blessés et les morts.

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