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Reportage
"C’est vraiment crucial qu’on ait cette base" : dans les coulisses de la station polaire Tara, qui s'apprête à partir vers l'Arctique
Après un an et demi de chantier à Cherbourg, Tara va bientôt dériver dans les glaces arctiques. Véritable laboratoire flottant conçu pour résister à -50 degrés, ce vaisseau unique embarquera chercheurs et marins au cœur de la banquise.
Après un an et demi de chantier, la station polaire Tara va enfin pouvoir partir à l'aventure. Le navire va être baptisé jeudi 24 avril à Lorient, avant de se diriger vers les eaux glacées de l'océan Arctique. C'est un bateau hors du commun qui ressemble à une soucoupe volante posée sur l'eau ou à un igloo équipé de hublot.
La coque en aluminium rappelle celle de l'autre navire de la fondation Tara, un voilier scientifique aux couleurs grise et orange. La comparaison s'arrête là puisqu'il n'y a pas de voiles sur cette station polaire, mais une structure étudiée pour affronter la banquise. Elle a été fabriquée aux chantiers navals de Cherbourg (CMN).
"On ne croyait pas qu’il y aurait autant de place dans un bateau pareil"
Vincent Lebredonchel, responsable navire, construit d'habitude des frégates militaires : "On n'a jamais travaillé des bateaux qui vont en Arctique. La peau extérieure qui est en contact avec l’extérieur, on doit une isolation de 300 millimètres. Ça a été des défis que nous, on n’a pas l’habitude de faire au CMN. Regardez la laine que j’ai là, regardez l’épaisseur que j’ai. Condition extrême, extérieur -50 degrés et on doit avoir 18 degrés dans le bateau".
Des conditions extrêmes à l'extérieur, mais à l'intérieur, les scientifiques peuvent travailler en toute sécurité. Ludovic Marie, directeur de projet, se livre à une visite guidée : "Là, ce sont les chambres froides qu’il y a sur les côtés. Le milieu, c’est le 'wet lab', donc le laboratoire humide qui est vraiment fait pour la science". Martin Van Copenolle, chercheur spécialiste de la banquise, continue la visite : "Il y a pas mal de place, on ne croyait pas qu’il y aurait autant de place dans un bateau pareil. Ça, c'est la 'moon pool', l’accès à l’eau".
"On va pouvoir déployer le sous-marin, enfin le véhicule motorisé. Ça remplace des plongeurs, parce que c'est compliqué quand on a envie d’aller voir sous la glace ce qu’il se passe."
Martin Van Copenolle, chercheur spécialiste de la banquiseà franceinfo
Analyse de l'eau et de l'air, prélèvement de carottes de glace, etc., les missions seront variées pour ce navire qui a, en guise de premier voyage, quitté Cherbourg pour rejoindre son port d'attache Lorient où l'équipage va préparer la dérive arctique.
Le projet de dérive arctique se traduit par 18 personnes à bord, des marins, des scientifiques, un médecin, une cuisinière qui mettra le cap sur l'océan Arctique et sa banquise. Marcel Babin, l'un des responsables scientifiques, explique plus précisément ce projet : "On pourrait penser que la banquise est un couvercle rigide sur l’océan, ce n’est pas le cas du tout. C’est finalement une pellicule assez mince, ça fait un mètre et demi d’épaisseur en moyenne, qui dérive au gré du vent et des courants".
"L’idée, c’est d’aller se mettre en amont, côté russe, se laisser prendre dans les glaces, puis se laisser dériver sans avoir à se déplacer. Il n’y a pas besoin du coup d’allumer le moteur, de casser la glace, on se laisse dériver avec la banquise."
Marcel Babin, l'un des responsables scientifiques du projet de dérive arctiqueà franceinfo
Ce projet de dérive arctique s'apparente à une autoroute de glace qui permet de traverser l'océan jusqu'au Groenland via le Pôle Nord. Ils ne seront alors que 12 pour vivre l'hivernage, huit mois confiné à bord, la nuit 24 heures sur 24, - 40 degrés à l'extérieur et les ours polaires.
"Tout le monde ne peut pas vivre ce genre d'expérience, souligne Clémentine Moulin directrice des expéditions à la fondation Tara Océan. "Il faut que ça soit des personnes qui n’ont pas peur de vivre dans le froid polaire, dans la nuit polaire, loin de leur conjoint. Et aussi qui n’ont pas peur de tâches répétitives parce qu’on ne peut pas aller se balader en forêt, on ne peut pas aller faire un tour pour changer d’air tout simplement. Donc chaque personne qui va embarquer sur l’hivernage de la Tara Polar Station passera un test psychologique", ajoute-t-elle.
La première expédition, baptisée Polaris 1, est prévue en 2026. D'ici là, le navire et ses équipements vont être testés au large du Groenland dès cet été.
Un suivi scientifique essentiel sur le long terme
L'Arctique est la région qui se réchauffe le plus rapidement. Un suivi scientifique sur le long terme est donc essentiel, rappelle la glaciologue Heidi Sevestre : "Ce qu’il se passe dans l’Arctique ne reste pas en Arctique. Si on ne sait pas ce qu’il se passe au niveau de la banquise polaire, on aura vraiment du mal en France à anticiper les changements au point de vue de notre santé, de notre économie, de notre agriculture. Et des frontières de notre pays, qui sont sensibles à l’élévation du niveau des mers. C’est vraiment crucial qu’on ait cette base qui va pouvoir mener des projets dans un des territoires les moins connus, les moins explorés sur terre. Un peu comme la station spatiale internationale".
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est un astronaute qui va baptiser le 24 avril la station polaire. Thomas Pesquet a été choisi pour être le parrain de la première expédition avec la styliste Agnès B, fondatrice de Tara Océan.
L'aventure de la station polaire Tara et les enjeux de la recherche en Arctique sont à suivre dans la saison 2 du podcast L'Exploration Tara, disponible début juin.
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