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Reportage
"Ils s'attaquent à des beaux chênes qui peuvent valoir entre 500 et 1 000 euros" : comment lutter face au fléau des vols d'arbres en forêts ?
Les vols d'arbres se multiplient en France, alimentés par la hausse des prix du bois. Les propriétaires, souvent pris au dépourvu, peuvent désormais signaler ces actes via un numéro spécial.
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Des chênes, des châtaigniers, des sapins qui se font tronçonner à l'insu des propriétaires de parcelles. Les Français qui se chauffent au bois le savent bien, le prix du bois français a atteint des sommets ces dernières années. Une ressource qui peut donc rapporter gros. Conséquence, les forêts françaises sont touchées par un véritable fléau : le vol d'arbres. Un numéro spécial a donc récemment été mis en place pour tenter de recenser les victimes.
En deux semaines, Fransylva, le syndicat des propriétaires de forêt a déjà reçu une vingtaine d'appels. Des particuliers qui ont constaté que des arbres avaient disparu dans leur parcelle. Les malfrats, eux, peuvent agir de nuit, mais aussi en plein jour, selon Antoine d'Amécourt, le président de Fransylva : "Ils viennent de jour. Ils font une petite enquête. Ils demandent aux voisins qui est le propriétaire du petit bois. Après, les gens autour se disent qu'ils sont en train d'abattre les arbres, mais que c'est peut-être normal puisqu'il y a quelqu'un qui est venu demander à qui ça appartenait..."
Pour ces propriétaires forestiers le préjudice économique peut se compter en milliers d'euros. "Ils s'attaquent surtout à des endroits où il y a des arbres qui sont intéressants, des beaux chênes qui peuvent valoir entre 500 et 1 000 euros le chêne, rapporte le président de Fransylva. Il y a des gens qui y sont attachés parce qu'ils ont reçu ça de leurs parents, leurs grands-parents".
"Ils ont des souvenirs dans leurs bois. C'est vraiment un tsunami pour eux, la perte d'un patrimoine familial."
Antoine d'Amécourt le président de Fransylvasur franceinfo
Malheureusement, il est difficile de remonter jusqu'aux voleurs. Certains propriétaires mettent du temps à se rendre compte du vol. D'autres ne portent pas plainte. Et les enquêtes n'aboutissent pas toujours. "Ils vont voir les gendarmes et pour peu que ce jour-là, les gendarmes soient très pris par d'autres affaires beaucoup plus importantes et ça ne donne pas forcément suite, souligne Antoine d'Amécourt. Les gendarmes aujourd'hui, dans les campagnes sont débordés par plein d'autres choses. C'est à partir du moment où on regroupera, qu'on dira qu'il y a un vrai sujet. Et alors, ce sera plus facile pour eux de savoir comment agir".
Parmi les régions les plus touchées en ce moment : le Grand-Est, où une quarantaine de victimes ont déjà été recensées rien qu'en Moselle.
Dans les Yvelines, des chênes centenaires vendus en Chine
Parfois, les voleurs sont bien identifiés, puisque bien souvent ces vols d'arbres sont commis par des bûcherons professionnels. Des sociétés peu scrupuleuses qui signent des contrats avec des propriétaires, mais coupent beaucoup plus d'arbres que prévu ou débordent sur les parcelles voisines.
C'est ce qui est arrivé dans les Yvelines, dans la commune de Septeuil. "Vous êtes typiquement dans la campagne yvelinoise, avec tous ses petits bosquets au milieu des champs", souligne Virginie, qui fait partie, avec Philippe, de l'association Sauvons la Tournelle. Ils nous emmènent dans l'un de ces bosquets, victime de coupes abusives en 2022. "Ici, atteste Philippe, ils ont dit qu'ils ne coupaient que 50%. Donc ça veut dire qu'il devrait rester 28 chênes équivalents. Vous pouvez les compter, il n'y en a aucun".
Une souche visible, un des rares restes du vol, provenait d'un arbre qui a entre "120 et 150 ans". "La loi ne les autorise pas à faire ça parce qu'on est en espaces boisés classés, ajoute Virginie. C’est-à-dire que les communes, dans leurs plans locaux d'urbanisme, veulent justement préserver et protéger ce type de petite parcelle. Donc ce sont toutes ces petites parcelles qui font aussi nos paysages qui sont gravement menacées".
"Leur seul objectif, c'est le fric. Et il faut absolument qu'on fasse quelque chose pour endiguer cette hémorragie-là, parce qu'on va au drame."
Philippe Heurtevent président de l'association Sauvons les Yvelinessur franceinfo
Des défenseurs de l'environnement ont mené eux-mêmes l'enquête en identifiant les conteneurs dans lesquels les chênes ont été chargés. "En faisant des photos, raconte Philippe Heurtevent président de l'association Sauvons les Yvelines, on a relevé les immatriculations des conteneurs et donc on a pu suivre avec les numéros, les conteneurs et on les a vus prendre le bateau à Anvers, traverser la Manche, arriver en Atlantique, passer la Méditerranée et arriver en Chine".
Dans cette affaire, l'entreprise a finalement été condamnée pour avoir coupé illégalement plus de 250 chênes sur 35 parcelles différentes, pour un préjudice estimé à 160 000 euros. "Ils n'ont aucun respect des autres arbres. Quand ils abattent, ça tombe comme ça tombe, ça casse tout ce qu'il y a autour", fustige Philippe Heurtevent.
Une formation pour les propriétaires ?
Le premier des conseils pour les propriétaires forestiers, c'est de rester vigilants évidemment face aux propositions des sociétés d'exploitation forestière. Augustin Tournyol, gestionnaire forestier, lui, plaide également pour des formations auprès des propriétaires. "Dans les cas que j'ai pu gérer, en tant qu'expert judiciaire en quelque sorte, dit-il, c'étaient des propriétaires qui n'étaient pas très au fait de la valeur de leur bois, qui étaient à peine conscients des limites cadastrales de leurs parcelles et qui ont été attiré par des sommes proposées qui semblent importantes, mais qui sont dérisoires au regard de la valeur réelle des bois".
Pour ce gestionnaire forestier, "être propriétaire forestier, c'est une responsabilité sur un écosystème qui est très riche et je pense que les propriétaires ont le devoir de se former. Et après tout simplement visiter leur forêt". Encore aujourd'hui, les trois quarts des forêts françaises sont privées, avec plus de 3 millions de propriétaires.
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