Reportage
"J'ai le droit de voter et de participer au changement" : six mois après la chute de Bachar al-Assad, des Syriennes de retour à Damas pour peser sur le renouveau du pays

Elles avaient fui la Syrie de Hafez et Bachar al-Assad. Franceinfo a rencontré Dima et Doua'a, deux femmes syriennes qui ont fait le chemin retour après la chute de Bachar al-Assad, avec un objectif : participer à la reconstruction du pays.

Article rédigé par Valérie Crova - Alexandre Abergel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le drapeau syrien flotte sur les hauteurs de Damas, le 4 juin 2025. (BAKR AL KASEM / ANADOLU via AFP)
Le drapeau syrien flotte sur les hauteurs de Damas, le 4 juin 2025. (BAKR AL KASEM / ANADOLU via AFP)

Il y a six mois, le 8 décembre 2024, le dictateur syrien Bachar al-Assad était renversé par une coalition islamiste emmenée par Ahmad al-Charaa devenu le président syrien par transition. Si de nombreux défis attendent le président intérimaire et que le monde attend de voir ce que le nouvel homme fort compte faire du pays, des femmes ont décidé de ne pas attendre les bras croisés. Franceinfo a rencontré des Syriennes qui ont décidé de rentrer de leur exil après la chute du dictateur pour participer à la construction de la nouvelle Syrie.

C'est comme si un pays tout entier se retrouvait devant une page blanche et que chacun et chacune voulait apporter sa pierre à l'édifice.

"Pas peur de critiquer"

Rendez-vous est pris avec Dima dans un café, dans le centre de Damas. Elle a grandi à Chicago où ses parents, opposants à Hafez al-Assad, le père de Bachar, avaient émigré dans les années 1990. Lorsque la Révolution syrienne a démarré, Dima qui a une formation d'avocate s'est installée en Turquie. Elle donnait des interviews dans les médias pour dénoncer les crimes du régime syrien. Son statut d'opposante l'a empêchée de rentrer dans son pays jusqu'à la chute de Bachar al-Assad. "Nous pensions que nous ne reverrions peut-être jamais la Syrie, que nous ne pourrions plus jamais y revenir", confie Dima. "Parfois quand je pense que je suis en Syrie, je n'arrive toujours pas à y croire. Je pensais que cela n'arriverait jamais. Mais c'est arrivé", dit-elle. La jeune femme a participé à la création du mouvement politique des femmes syriennes en 2017, un mouvement féministe qui a tenu sa première conférence de presse en janvier dernier. Dima a à cœur de partager son expérience d'avocate en animant des ateliers et des réunions.

Dima et Doua'a font toutes les deux partie du mouvement politique des femmes syriennes. (VALERIE CROVA / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Dima et Doua'a font toutes les deux partie du mouvement politique des femmes syriennes. (VALERIE CROVA / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Ce qui frappe le plus cette femme, depuis qu'elle est revenue vivre en Syrie, c'est la liberté de parole retrouvée après un demi-siècle de répression dans un pays où l'on se méfiait de tout le monde, de peur d'être arrêté. "J'entends des gens critiquer le gouvernement actuel dans les lieux publics. Et c'est quelque chose que nous ne connaissions pas auparavant. Ils n'ont pas peur de critiquer certaines mesures prises par le gouvernement". Elle, par exemple, juge "qu'il ne semble pas y avoir encore suffisamment d'inclusion des femmes dans les postes de haut niveau".

"Une seule femme ministre sur 22, ce n'est pas acceptable, parce que les femmes syriennes sont tout aussi qualifiées que les hommes syriens."

Dima

à franceinfo

Le mouvement auquel appartient Dima milite pour que les femmes participent au minimum à hauteur de 30% dans la vie politique. Il est encore difficile de quantifier exactement le nombre de Syriens qui ont pris le chemin du retour. On constate un certain attentisme tant que la situation sécuritaire n'est pas complètement stabilisée. Une autre jeune femme n'a toutefois pas hésité une seconde quand le régime est tombé.

Avancer, "demander", "exiger"


Doua'a avait une dizaine d'années quand la révolution a démarré en 2011. Elle vivait avec sa famille dans la banlieue de Damas qu'il a fallu quitter. Son quartier était assiégé par l'armée de Bachar al-Assad. Elle s'est ensuite réfugiée en Turquie, puis au Royaume-Uni où elle a vécu jusqu'à son retour en Syrie au début de l'année. Doua'a est immédiatement retournée voir son ancien quartier. "C'est vraiment dur parce que mon quartier a été détruit par les bombes. Même ma maison a été en partie détruite. C'était des sentiments très compliqués, en fait. Je n'ai retrouvé aucun de mes proches car certains d'entre eux ont été tués par le régime d'Assad et d'autres sont portés disparus. Nous avons attendu le mois de décembre, après l'ouverture de toutes les prisons, en nous disant peut-être qu'ils sont vivants, que nous pourrons les revoir', mais malheureusement, mon oncle et mes cousins, ne sont pas vivants".

Beaucoup de Syriens ont enfoui leurs sentiments pendant leur exil. C'était une question de survie explique Doua'a. "Pendant les dix dernières années, je n'ai jamais pensé à la dernière nuit où j'ai quitté mon domicile. J'ai commencé à y penser après mon retour en Syrie, à la façon dont nous avons quitté notre maison, comment s'est passé ce soir-là, comment on s'est caché des bombes. J'ai perdu mon frère. Il était un citoyen journaliste. J'ai pu me rendre sur sa tombe seulement après mon retour à Damas". Faire face à ces traumatismes pour avancer, c'est ce que s'efforce de faire la jeune femme de 24 ans. 

"Ce n'est pas le moment de s'effondrer mentalement. J'ai besoin d'être là. Et j'ai besoin d'être dans la rue pour faire partie de la Syrie. Demander et exiger, parce que je suis une citoyenne syrienne et que j'ai le droit d'être ici."

Doua'a

à franceinfo

"J'ai le droit d'exister. J'ai le droit de voter, de faire entendre ma voix et de participer au changement", lance Doua'a. Le départ de Bachar al-Assad n'est qu'une étape préviennent Dima et Doua'a comme un avertissement à l'attention de l'actuel président de transition, Ahmad al-Charaa, qui concentre tous les pouvoirs et ne prévoit pas d'élections avant cinq ans.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.