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Reportage
"On était un peu des marchandises" : l'histoire méconnue de ces enfants, nés de soldats français et de mère allemande juste après 1945, adoptés sous la pression des autorités
Ces enfants sont nés d'une mère allemande et d'un père soldat de l'armée française dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Une grande partie ont été adoptés par des familles françaises, sous la pression des autorités.
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C'est un épisode encore méconnu de l'immédiat après-guerre : le sort des enfants nés dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, de mère allemande, mais de père français et soldats de l'armée stationnés dans le sud de l'Allemagne. Des enfants dont une partie a été adoptée par des familles françaises pour être élevés en France, sous une très forte pression des autorités d'occupation, pour la plupart entre 1946 et 1949. L'Allemagne est alors divisée en quatre zones (française, britannique, américaine et soviétique) après 1945, conséquence de sa défaite dans le conflit mondial.
C'est dans ce contexte, dans l'immédiat après-guerre, que se tient cette histoire méconnue qui concerne plusieurs centaines d'enfants. Marie, 78 ans aujourd'hui et donc né juste après la Seconde Guerre mondiale, est le fruit d'une relation entre un père marocain, soldat de l'armée française, et d'une mère allemande. Elle se souvient, pour franceinfo, de sa mère adoptive qui l'a recueillie et élevée dans la région parisienne quand elle avait deux ans.
"Comme elle était souvent en colère, elle me disait que ma mère était une boche et que mon père, c'était un 'bougnoule'. Parce qu'à l'époque, elle n'aimait pas les Allemands. Il y avait la guerre d'Algérie et tout ça, donc ça a toujours été assez dur."
Marie, née d'un père soldat de l'armée française et d'une mère allemandesur franceinfo
Les reproches incessants sur son origine lui ont donné l'irrépressible envie de retrouver cette mère biologique, mais ce n'était pas pour la prendre dans ses bras. "Une fois, j'en avais eu assez, témoigne Marie, j'ai dit que je retrouverais ma mère. Et quand je me suis mariée en 1968, on est allés, avec mon mari, chercher ma mère. Quand je verrai ma mère, je lui cracherai à la figure. Tous mes soucis que j'avais eus avec ma mère adoptive, c'était à cause d'elle. Et puis, pourquoi elle m'avait abandonné ? Et en fin de compte, elle ne m'avait pas abandonnée au démarrage." Marie apprendra que sa mère ne voulait pas l'abandonner, mais qu'elle avait subi la pression de sa famille et des autorités militaires françaises.
C'est aussi l'histoire de Claudine, également enfant naturel d'une mère allemande et d'un soldat de la première armée. Sa mère, mineure au moment de la naissance de Claudine, avait une première fois refusé de se séparer de sa fille, mais a finalement accepté sous la contrainte. "On était quand même un peu des marchandises", explique-t-elle.
"Je trouve que les deux nations ont eu chacune une responsabilité énorme dans cette histoire-là. Les uns, de nous vendre et de nous abandonner et puis l'Etat français, en vainqueur, qui est arrivé et s'est dit qu'ils allaient prendre ces enfants-là."
Claudine, née d'un père de l'armée française et d'une mère allemandesur franceinfo
Yves Denéchère, professeur à l'université d'Angers, a consulté toutes les archives de l'époque en France et en Allemagne et a comptabilisé 1 500 adoptions d'enfants de mère allemande et de père militaire français entre 1946 et 1949.
"Les autorités locales allemandes sont tenues de déclarer la naissance d'enfants de pères français, explique-t-il. Des officiers vont être chargés d'aller au-devant de ces mères allemandes pour leur proposer de les décharger du fardeau que représente cet enfant-là. Les femmes allemandes qui refusent gardent leur enfant. Il n'y a pas d'arrachement d'enfant. Il y a une pression. Le discours, c'est en gros, tu as cet enfant, qu'est-ce qu'il va devenir dans cette Allemagne ruinée ? Est-ce que tu as les moyens de l'élever ? Si tu veux refaire ta vie avec un Allemand, évidemment, tu ne peux pas garder cet enfant. Donc confie-le aux autorités françaises, on le fera adopter, il aura une chance dans la vie."
Des enfants qui étaient destinés à repeupler la France, où les naissances avaient fortement fléchi, qui voulait ainsi combler son déficit de population avec l'Allemagne, encore considéré comme l'ennemi héréditaire. Avant leur adoption, les enfants étaient regroupés dans une pouponnière dans la Forêt-Noire, et certains avaient plus de chances que d'autres de trouver une seconde famille.
Les enfants ne trouvaient pas toujours de familles adoptives
Une écrivaine allemande, Anke Feuchter, a publié plusieurs ouvrages sur le sujet. "Les enfants devaient être en bonne santé, qu'ils ne soient pas retardés mentalement. Et bien sûr, on privilégiait les enfants blancs parce que c'était plus facile. Après, les dossiers étaient confiés au service d'adoption et bien sûr, tout le monde préférait les enfants à la peau bien blanche", explique-t-elle.
Les enfants qui n'étaient pas adoptés étaient rendus à leur famille allemande. Quelques cas d'enfants métis, issus de soldats d'Afrique Noire ont, eux, été envoyés dans des orphelinats en Afrique.
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